Analyse : Comment Blake Griffin est devenu un joueur complet

Il est temps de mettre fin au mythe qui entoure Blake Griffin. Considéré à tort comme un simple dunkeur, la star des Los Angeles Clippers a progressé dans tous les aspects du jeu. Au point de devenir l'un des meilleurs joueurs de la ligue.

Analyse : Comment Blake Griffin est devenu un joueur complet
Les Los Angeles Clippers sont mal-aimés. Et ce pour tout un tas de raisons. Depuis son déménagement dans la cité des anges en 1984, la franchise s’est taillé une réputation de losers. Les Clippers ont longtemps été considérés « les autres » pensionnaires du Staples Center, en référence aux Lakers. Un statut bouleversé par l’arrivée de Chris Paul en 2011. Du jour au lendemain, la franchise est sortie de l’ombre et s’est mise à gagner des matches. Mais aussi des nouveaux supporteurs. Forts d’un succès soudain et d’un jeu très spectaculaire, les Clippers sont devenus populaires. Qui dit « hype », dit détracteurs. La franchise a le don d’agacer : a) en raison de son afflux de nouveaux fans, b) pour son côté « Lob city » qui déplaît aux puristes, c) pour son exposition médiatique, d) pour Chris Paul, aussi talentueux que vicieux (De plus, « CP3 » est coupable, pour de nombreux français, d’être considéré comme le meilleur meneur NBA au dépend de Tony Parker). Blake Griffin est le parfait symbole des Clips. Il est classé dans le top dix des ventes de maillots, preuve d’une popularité évidente. Pourtant, « Quake » est au centre des critiques. Ses pleurnicheries auprès des arbitres et son attitude de « faux dur » font de lui une cible facile. Griffin serait soft et unidimensionnel au possible. Il ne saurait que dunker et ne serait pas là sans les caviars délicieux de son meneur All-Star. Même son concours de dunks, il l’a « volé » à JaVale McGee après être passé au-dessus d’un de ses sponsors. Blake serait un produit marketing mis en avant par la ligue. Un joueur surestimé. Et bien c’est faux.

Blake Griffin, une menace dos au panier

Premier mythe, Blake Griffin ne saurait donc que dunker. Pourtant, son jeu s’est vraiment diversifié depuis son arrivée dans la ligue, en 2010 (il a été drafté en 2009 mais il n’a pas joué lors de sa saison rookie en raison d’une blessure au genou). Selon la base de données Synergy Sports, 30% des possessions disputées par l’intérieur des Clippers le sont dos au panier (seules sont prises en compte les possessions amenant à un tir, une balle perdue ou des lancers-francs). Los Angeles marque 0,97 point par possession lorsque son ailier fort se retrouve en position au poste bas, ce qui classe Griffin parmi les 30 meilleurs joueurs de la NBA (21). Jusqu’ici, rien d’extraordinaire. Mais notons tout de même que le joueur des Clippers se positionne devant LaMarcus Aldridge (0,85 point par possession dos au panier), Kevin Love (0,93), Zach Randolph (0,88), Anthony Davis (0,82), DeMarcus Cousins (0,86), Tim Duncan (0,88 – mais bon, l’âge y est pour quelque chose) ou encore Nikola Pekovic (0,89), que des intérieurs considérés comme plus techniques ou plus efficaces que lui. [caption id="attachment_136091" align="alignnone" width="640"] Blake Griffin, après un spin move, tête en avant afin de créer l'écart avec son défense et de conclure en jump shoot avec l'aide de la planche.[/caption] Le joueur de 24 ans a tendance à réceptionner la balle du côté gauche – normal pour un droitier – afin de prendre le dessus sur son adversaire dos au cercle. Une fois en bonne position, Blake Griffin laisse parler son jeu. « Petit » pour son poste (2,08 m), il compense son manque d’envergure par sa puissance. Il n’a pas les longs bras de LaMarcus Aldridge ou de Dirk Nowitzki, dont les tirs en fadeaway sont quasiment impossibles à contrer. Griffin se sert de ses coudes et de ses épaules pour se frayer un chemin jusqu’au cercle. Si ses dunks sont spectaculaires, son jeu dos au panier est plutôt brutal, rugueux et peu élégant. Premier paradoxe. Mais il est très efficace (Cf. Les chiffres ci-dessus). Aucun joueur NBA n’a inscrit plus de panier que lui près du cercle cette saison. Les « puristes » préfèrent l’efficacité au spectacle ? Alors ils n’ont aucune raison de ne pas apprécier Blake Griffin. Pourtant, il est l’une de leurs cibles favorites. Deuxième paradoxe. Mais la star des Clippers n’est pas qu’une brute. Il a développé quelques moves dos au panier, notamment un spin move qu’il utilise de plus en plus. Il peut conclure en hook. Son manque de taille est aussi compensé par de nombreuses feintes. Blake Griffin cherche souvent à déséquilibrer son adversaire ou à le faire sauter afin de conclure : a) près du cercle grâce à sa mobilité et à un footwork en constante progression, b) en déséquilibre avec la faute (plus de 8 lancers tentés en moyenne par match, c) les deux. Illustrations. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=mwxvZmPcKaU[/youtube] Dans une brillante colonne accordée à l’évolution du joueur, Zach Lowe de Grantland a souligné les performances de Blake Griffin en l’absence de Chris Paul en janvier dernier. Sans leur meneur All-Star, les Los Angeles Clippers se sont appuyés principalement sur leur jeune intérieur pour faire la différence en attaque. Durant ce passage, Griffin rapportait 1,03 point par possession lorsqu’il jouait doc au cercle. Seuls quatre joueurs font mieux cette saison parmi ceux qui ont terminé au moins 50 possessions dos au panier : Boris Diaw, Brook Lopez, LeBron James et Dirk Nowitzki. « Quake » se plaçait donc en cinquième position. Il a élevé son niveau de jeu au moment même où son équipe avait besoin de lui. Jusqu’à preuve du contraire, cela reste la marque des grands joueurs.
« A Dallas (lorsque Chris Paul s’est blessé le 3 janvier dernier), Blake et moi nous nous sommes regardés et nous avons tout de suite compris ce que cela signifiait », racontait Jamal Crawford à ESPN. « On ne savait pas combien de temps Chris serait indisponible, mais on a compris ce que l’on aurait à faire. »   « J’ai parlé à Jamal durant cette rencontre », ajoute Griffin. « On a compris que c’était sérieux. On a tout de suite su que c’était à nous d’hausser notre niveau de jeu. Je devais être plus agressif, marquer plus de points mais aussi rendre la vie de mes coéquipiers plus facile. »
L’enfant d’Oklahoma City est devenu un homme, un patron. Durant cette période, les Los Angeles Clippers ont remporté neuf des douze rencontres qu’ils ont disputé. Alors, certes, les hommes de Doc Rivers ne se sont pas frottés aux cadors de la ligue en janvier (ou alors ils ont perdu, comme face aux Spurs, aux Pacers ou aux Warriors) mais on a pu avoir un meilleur aperçu de l’étendue du jeu de Blake Griffin.

Blake Griffin, une menace face au panier

« J’attends de lui qu’il se comporte comme un grand joueur. Il a fait des choses (en l’absence de Paul) que ne le savions pas capables de réaliser. Notamment ballon en main. Maintenant on sait », expliquait Doc Rivers après le mois impressionnant de son All-Star en janvier (25,7 pts à 55%, 8,1 rebonds et 4,3 passes de moyenne).
Sans le maître d’orchestre des Clips, Blake Griffin ne s’est pas contenté de dominer sous le cercle. Il s’est montré dans un tout autre registre de créateur – et de finisseur – face au cercle. A l’heure où les intérieurs se doivent d’être de plus en plus complet, il a prouvé sa capacité à remonter la balle en dribble, afin de finir au panier. C’est un « grand » mobile, capable de courir et de se retrouver rapidement de l’autre côté du terrain après un rebond. Ce qui explique pourquoi il dunk aussi souvent. Un intérieur incapable de cavaler au même rythme que ses arrières ne se retrouve pas aussi souvent en position de claquer un alley-oop en contre-attaque. Avec 1,4 point rapporté par possession en transition, Griffin se classe parmi les 15 meilleurs joueurs de la ligue (14). C’est mieux que Gerald Green, LeBron James, Goran Dragic, Russell Westbrook, Lance Stephenson ou James Harden, des spécialistes du jeu de transition. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=U9k4A6TzIFI[/youtube] Pouvoir compter dans ses rangs un intérieur capable d’initier la contre-attaque de la sorte est évidemment une force. Même si les « Big Men » traditionnels tendent à disparaître pour laisser la place aux pivots mobiles, toutes les franchises ne disposent pas d’un intérieur capable de suivre le rythme de Blake Griffin en transition. Les hommes de Doc Rivers sont donc en surnombre (Cf. La vidéo ci-dessus) et le All-Star peut foncer jusqu’au cercle ou distribuer un caviar pour les différents shooteurs démarqués. Ce n’est évidemment pas une surprise, la formation de Los Angeles est l’une des meilleures équipes de la ligue en contre-attaque. [caption id="attachment_136093" align="alignnone" width="640"] Face au cercle, Blake Griffin peut prendre son adversaire de vitesse, distribuer le jeu ou shooter à mi-distance.[/caption] Cette saison, Blake Griffin tourne à 3,6 passes par rencontre. N’allez pas croire que c’est une nouveauté, le jeune joueur a toujours cumulé plus de trois caviars par rencontre depuis son arrivée dans la ligue (3,8 – 3,2 – 3,7 lors de ses trois premières années en NBA). Pourtant, cette qualité est rarement soulignée lorsque l’on évoque le jeu de la star des Clippers. Comme la plupart de ses autres statistiques, ses chiffres à la passe sont en hausse depuis le mois de janvier. Face au panier, il a appris à faire la différence en dribble – il est souvent plus rapide et plus agile que son défenseur – pour aller au cercle mais aussi pour ressortir la gonfle. De quoi donner une nouvelle dimension à l’attaque des Angelenos.
« Nous avons maintenant deux joueurs capables de faire la différence balle en main », assure Doc Rivers (trois avec Jamal Crawford, actuellement blessé).
Griffin est extrêmement polyvalent en attaque. Il est capable de faire la différence de différentes manières – avec ou sans le ballon – mais aussi de plusieurs zones du terrain. Il l’a encore prouvé lundi soir face aux Phoenix Suns. Il a tout simplement écœuré la franchise de l’Arizona. 37 points, 14/16 aux tirs et 8/8 en dehors de la raquette. Une performance à l’image des progrès du joueur. Les défenses adverses ne peuvent plus se contenter d’éloigner Griffin du cercle. Au contraire, il a de plus en plus confiance en son shoot. [caption id="attachment_136095" align="alignnone" width="640"] Pick&pop ou pick&roll, l'évolution de Blake Griffin offre d'avantage de solutions aux Clippers en attaque.[/caption] Autre légende urbaine, Blake Griffin serait donc incapable de s’écarter du panier. Un rapide coup d’œil à sa shotchart montre qu’il est en réalité dans la moyenne des joueurs NBA (tous postes compris) à mi-distance. Sur les sept « zones » situées entre la raquette et l’arc à trois-points, il affiche un pourcentage supérieure à la moyenne dans deux d’entre-elles, équivalent à la moyenne dans trois d’entre-elles et inférieures à la moyenne dans les deux dernières. Aucune de ces zones n’étaient teintés de vert (la couleur synonyme d’un pourcentage de réussite supérieur à la moyenne des autres joueurs NBA) l’an passé. Sa progression est donc évidente. Voici quelques statistiques plus précises. Griffin tourne à 39,7% de réussite entre 4,5 et 5,5 mètres du panier et 39,5% entre 6 et 7 mètres. L’an passé, il affichait une adresse de 33,5% et 34,2% sur les mêmes distances. Notons que des shooteurs comme Dirk Nowitzki et Channing Frye ont de moins bons pourcentages que lui à plus de six mètres du cercle. Entre quatre et cinq mètres, Griffin est une bête plus efficace que LeBron James, DeMarcus Cousins, Kevin Love, Anthony Davis ou encore Marc Gasol. Il n’a donc pas les mains carrées. En revanche, sa mécanique de tir et sa gestuelle sont laides. Son style de jeu est, une nouvelle fois, peu académique, pas très séduisant mais il demeure efficace.

Les chemins de la dignité

A quelques semaines de la fin de la saison, Blake Griffin affiche des statistiques monstrueuses (24,4 pts à 53,9%, 9,6 rebonds et 3,6 passes). Hormis Kevin Love, dont la franchise n’est pour l’instant pas qualifiée en playoffs, aucun intérieur ne marque plus que lui en NBA. Il s’est même installé à la sixième place du classement des meilleurs scoreurs de la ligue. On a vu que son arsenal offensif s’est diversifié et qu’il est désormais capable de se montrer performant dans plusieurs positions (pick&roll, pick&pop, poste bas, poste haut, transition), ce qui fait de lui un cauchemar pour les défenses adverses. Une telle évolution n’aurait jamais été possible sans une vraie charge de travail. Accusé – à tort – de s’appuyer uniquement sur les dons et les qualités athlétiques qui lui ont été donnés, Griffin a travaillé plusieurs aspects de son jeu.
« Il est incroyable. Je ne le savais pas en venant ici mais ce gars travaille extrêmement dur. Il veut devenir un meilleur joueur. Il veut être un très grand joueur », assure Jamal Crawford.   « J’aimerais tellement que vous puissiez le voir. Il travaille tellement dur », ajoute Doc Rivers dans un papier d’USA Today consacré aux Los Angeles Clippers. « Son travail est en train de payer. »   « Son jeu s’est vraiment développé. C’est ce que font les grands joueurs. Il est capable de faire beaucoup de choses, il ne se contente pas de courir et dunker », conclut Jeff Hornacek, le coach des Phoenix Suns.
Présenté comme un clown (il a déjà fait part de son désir de se reconvertir comme comédien une fois sa carrière de basketteur terminée), Blake Griffin a fini de rire. Les différents cadres des Los Angeles Clippers n’étaient pas sur la même longueur d’onde lors des derniers playoffs. Les « anciens » comme Chauncey Billups et surtout Chris Paul reprochaient aux plus jeunes comme Griffin et D.J. de trop prendre les rencontres à la légère. Si aucun clash n’a filtré dans la presse, les deux hommes ont confirmé leurs divergences d’opinion lors de leur déplacement en Chine avant le début de la saison. Ils ont profité de ce road trip commercial pour discuter longuement et mettre les choses au point. « CP3 » était frustré. Frustré car le meneur s’est senti seul dans les moments les plus importants de la saison. Frustré de sortir une nouvelle fois au premier tour des playoffs. Les deux hommes ont mis les choses à plat. Ils partagent le même objectif, le même rêve. Alors le jeune joueur a suivi les conseils de son aîné. Il a travaillé dur pendant l’intersaison. Il a promis de revenir plus fort et mieux préparé. Et il l’a fait. Ceux qui estiment que Blake Griffin et Chris Paul ne sont pas des compétiteurs n’ont sans doute jamais vraiment regardé un match des Clippers. La franchise a pris des allures de candidat sérieux aux finales de Conférence. Et Blake Griffin est pour beaucoup dans ce nouveau changement de statut. Comme si son équipe avait grimpé une marche au même rythme que lui. Il est le facteur X et il est décisif. Du moins, il tend à l’être. Vous aurez peut-être remarqué que son adresse aux lancers-francs est en nette amélioration cette saison. « Quake » flirte avec la barre des 70% de réussite sur la ligne. Difficile dans ces conditions de faire volontairement faute sur l’intérieur des Clippers juste pour l’envoyer sur la ligne de réparation, sous peine de subir la punition. Même défensivement, il a fait des (léger) progrès. Selon 82games.com, les Los Angeles Clippers sont moins bons en défense lorsque Griffin se repose sur le banc (un différentiel de 0,6 pt sur 100 possession – un écart minime donc). Le jeune homme a encore des progrès à faire dans ce domaine, notamment en termes de communication avec son ami et partenaire dans la raquette DeAndre Jordan. Mais avec ses qualités athlétiques et sa mobilité alliées à sa détermination, Griffin a tout pour devenir un défenseur correct. Comme quoi la réalité des chiffres et celle du terrain ne sont pas tout à fait similaires. De même que la perception des fans. Les Clippers ont commencé à gagner des matches mais pas encore suffisamment pour gagner le respect de la majorité des suiveurs de la NBA. Seules des succès en playoffs pourront mettre fin pour de bon au « mythe » qui entoure le jeu de Blake Griffin. Voici le prochain défi qui attend la star dans son ascension vers les sommets de la ligue. Un challenge qui approche à grand pas. « Quake » y est désormais préparé…