France Vs Espagne : les origines du mal

Mais pourquoi tant de haine ? C'est la question qui se pose avant et après chaque nouvelle confrontation entre l'équipe de France et l'Espagne. Le passif est lourd, très lourd.

France Vs Espagne : les origines du mal
Dans notre grand dossier sur la "haine" et les grandes rivalités du basket de notre numéro 56 de REVERSE, nous nous étions bien entendu attardés sur la relation sulfureuse entre deux des plus grandes nations de basket de ces dix dernières années : la France et l'Espagne. Comme il est impossible d'aborder un tel sujet en étant totalement objectif, nous l'avions divisé en deux parties, l'une pro Français signée de notre journaliste Shaï Mamou et l'autre pro Espagnol de la main de Fernando Ganzo, co-rédacteur en chef de Sofilm et natif de Santander. Voici le point de vue franco-français.

Beat Spain !

Avec autant de mauvaise foi que d’arguments fondés, on vous explique pourquoi la France voit rouge dès qu’elle croise la Roja. « Vamos ! » Vous aussi, ils vous rendent fous ces mecs sur les playgrounds qui se sentent obligés de beugler le cri d’auto-encouragement de Rafael Nadal et de tous ses compatriotes quand ils marquent un panier ? Le pire, c’est que la plupart du temps, ils n’ont foutrement rien d’espagnol. Ils ne sont ni petits, ni râblés et n’ont même pas le poil hirsute (pour enchaîner les clichés honteux comme Ricky Rubio enchaîne les blessures). Ils n’ont pas non plus ce goût du vice et cette arrogance naturelle qui font qu’on ne peut pas décemment se réjouir d’un succès sportif ibérique, que ce soit en curling (on a une médaille olympique de plus qu’eux dans ce domaine, même si ça remonte à 1924, c’est qui les patrons ?) ou en basket. En la matière, celle qui nous touche de plus près, voilà quinze ans que l’on subit en bronchant les sacres ou breloques de la Roja, aussi forte collectivement qu’insupportable dans la victoire. Il y a bien eu ces deux succès de suite, aussi inespérés que beaux pendant l’Euro Slovène en 2013 et chez eux, lors du Mondial 2014. On a même eu le fol espoir de pouvoir leur faire la nique à chaque compétition grâce à ce déclic psychologique. Mais l’idée que les Bleus puissent devenir la bête noire de Gasol and Co pour leur faire payer des années de sévices (10 défaites en 11 matches entre 2007 et 2013) a vite été balayée l’an dernier en demi-finale du championnat d’Europe… en France.

Pleurnichages, saloperies et condescendance

[superquote pos="d"]« Il faut reconnaître que le basket espagnol est beau. Il faut dire aussi qu’ils font des choses fatigantes. » David Cozette[/superquote]David Cozette a commenté tous ces matches au couteau et a été un témoin privilégié de ces douloureuses mandales. L’ancien de Canal + était en première ligne lorsque l’Espagne a sciemment laissé filer des matches de poule (contre le Brésil aux JO 2012, pour ne citer que le plus évident) pour affronter des Français considérés comme plus abordables dans le tableau final, poussant Nicolas Batum à déverser toute la frustration du public français sur Juan Carlos Navarro. Ou quand l’EdF a pris deux avoines mémorables en poule, puis en finale, à l’Euro 2011 malgré la présence de Joakim Noah, attendu comme l’antidote contre les frères Gasol. Le commentateur phare de L’Equipe 21 nous a donné son point de vue objectif sur la question.
« L’Espagne, c’est cette équipe qu’on adore détester. Il y a une forme de jalousie, mais c’est un phénomène qu’on retrouve dans tous les sports vis-à-vis des équipes qui dominent. On ne l’a pas ressenti parce qu’on est Français, mais nos handballeurs ont dégagé cette espèce de sur-confiance en soi qui passe pour de l’arrogance et qui fait que c’est jouissif de les battre. Il faut reconnaître que le basket espagnol est beau. Il faut dire aussi qu’ils font des choses fatigantes. Ces pleurnichages, ces protestations et provocations permanentes, je trouve que ça leur enlève le côté grands seigneurs auquel ils pourraient prétendre. »
Et de citer celui qui a longtemps incarné l'ennemi public numéro 1.
« L’exemple-type, c’est Rudy Fernandez, un paradoxe à lui tout seul. Je peux avoir envie de l’encenser quand il pète un dunk comme celui sur Dwight Howard en finale des JO 2008, mais perdre tout respect pour lui quand je le vois faire des saloperies. »
[superquote pos="d"]« On ne cache pas le fait qu’on ne les aime pas et eux non plus. » Evan Fournier[/superquote]Le fait que la bande de Vincent Collet puisse maintenant affronter l’Espagne d’égal à égal, rend évidemment les débats plus passionnés. S’il y a toujours eu un petit antagonisme par le passé, proximité géographique oblige, le fait que les deux nations aient désormais les mêmes objectifs favorise les chicaneries et prises de bec sur le parquet. Les acteurs se connaissent et s’apprécient plutôt en dehors du terrain, puisqu’ils se sont souvent côtoyés à un moment dans les meilleures équipes d’Europe ou de NBA. Du coup, les stars du groupe France confessent rarement leur aversion pour le voisin pyrénéen en public. On peut les comprendre, ce ne serait pas forcément bon pour leur image, même si on adorerait voir Tony Parker avouer en interview qu’il « rêve de leur faire fermer leur putain de bouche », comme Pau Gasol l’avait fait au cœur d’un regroupement avant les retrouvailles du dernier Euro. On se contentera du souvenir de son discours à la mi-temps du match fondateur en 2013 en Slovénie, sous l’œil des caméras d’Intérieur Sport. « Ils nous prennent pour de la merde, ça se voit sur leurs visages », avait placé TP, plus franc et lucide que jamais. http://www.dailymotion.com/video/x4oxa7p_tony-parker-a-la-mi-temps-france-espagne_sport Heureusement, Evan Fournier n’est pas vraiment du genre à filtrer ses propos et à ne pas dire ce qu’il pense. Lorsqu’on a demandé à l’arrière d’Orlando ce qu’il ressentait quand il affronte un type avec un maillot rouge et jaune et un accent sifflant, le naturel a fusé.
« Je ne les aime pas, c’est tout. Et je ne parle pas que du groupe actuel, puisque ça avait déjà commencé chez les jeunes. C’est notre plus gros rival, sans comparaison possible. On ne cache pas le fait qu’on ne les aime pas et eux non plus. Il n’y a rien de malsain, il faut des rivalités comme ça. En fait, les joueurs que je n’aime pas trop sont plutôt ceux qui évoluent en Europe. J’ai du respect pour les frères Gasol ou pour José Calderon par exemple. On ne va pas non plus se parler, mais dès qu’on se croise en NBA, on se dit bonjour et on se serre la main. Après, il y en a d’autres… Je ne vais pas donner de noms, mais, en gros, les gars du Real quoi… »

Ceux qui ne te tuent pas, rendent plus fort

Il y a un autre facteur à prendre en compte au moment d’analyser cette antipathie qui nous prend aux tripes dès que l’on assiste à un énième triomphe de la Roja. Le Français, dans toute sa mauvaise foi et son goût pour la théorie du complot, aime remettre en question les faits établis et la légitimité des hégémonies. Beaucoup ont ainsi cette impression que les Espagnols ont soudainement découvert une potion magique fournie par des druides du nom de Fuentes ou Terrados et l’ont faite ingurgiter à leurs athlètes pour dominer le sport mondial. Difficile pour le Gaulois lambda, persuadé que tout le monde est dopé sauf lui, de croire que le Barça de Guardiola ait pu tourner uniquement à l’eau claire et prospérer grâce à la consanguinité technique des joueurs issus de sa formation. Que Rafael Nadal ait pu gagner neuf Roland-Garros à la seule sueur de son front et à la faveur de son bras gauche. Ou que l’Espagne de Pepu Hernandez, Aito Garcia Reneses et Sergio Scariolo ait dominé son sujet et pu répéter les efforts sans que cela ne cache quelque chose… Le blog de Clément Guillou, lors du dernier Euro, a symbolisé ce scepticisme cher à nos compatriotes. Le journaliste y évoquait les accointances de Pau Gasol avec un compatriote toubib impliqué dans l’affaire de dopage de l’équipe cycliste Festina à la fin des années 90. Résultat : une plainte du Conseil Espagnol des Sports et un million d’euros de dommages et intérêts réclamés au journal Le Monde. On est mauvais perdants, mais ils sont susceptibles… L’un des cadres du groupe tricolore est particulièrement bien placé pour évoquer la relation orageuse que l’on entretient avec l’Espagne. Si on n’aimait pas autant Nando De Colo, on l’aurait presque traité de "Judas". Mais puisqu’il est toujours disponible et agréable en plus d’être un joueur monstrueux, on se contentera du terme « d’ambassadeur pour la paix ». Nando a joué pendant trois ans à Valence et a fraternisé avec « l’ennemi ». Rendez-vous compte : non seulement il a adoré la ville, le pays et la mentalité des gens, mais il a poussé le vice jusqu’à faire sa vie avec une locale, Veronica, la maman de sa petite Lola.
« Evidemment, c’est encore plus particulier pour moi quand on joue contre l’Espagne. Il y a une saveur très spéciale. Avec ma copine et surtout ma belle-famille, on se chambre pas mal, même si ça reste correct. Pour moi, c’est surtout le fait que l’on parle de deux équipes fortes et qui visent la gagne qui provoque tout ça. Surtout depuis qu’on a prouvé qu’on pouvait les battre. Mais on le ressent sur le terrain, il y a un trop-plein d’émotion qui est aussi provoqué par les supporteurs. On peut comprendre qu’ils prennent ça particulièrement à cœur puisqu’ils nous ont souvent fait des misères par le passé. Je sais que le public français n’aime pas trop les Espagnols, mais je peux vous dire que l’on a beaucoup plus de préjugés sur eux qu’ils n’en ont sur nous. »
Nando avance même que, de l’autre côté des Pyrénées, les gens, comme les athlètes, sont agréables et sociables, qu’ils « ne se plaignent pas malgré la crise économique qu’ils connaissent depuis longtemps » et que c’est pour cette raison qu’il se voit bien y passer une bonne partie de son temps après sa carrière.
« Avec ma copine, on est toujours dans une relation d’échange culturel, on se fait découvrir des trucs. » Un pacifiste, qu’on vous dit…
[superquote pos="d"]"Oui ça cogne dur et oui ça en rajoute. Mais ce sont des putains de matches à chaque fois !" Monclar[/superquote]Et si c’était Jacques Monclar qui avait la meilleure approche du phénomène ?
« Vous voulez que je vous dise ? Je m’en fous royalement de leur comportement. Et je me fous du hashtag #BeatSpain qu’on voit partout dès qu’on joue contre eux. Vous ne me voyez jamais l’utiliser sur Twitter. Que ce soit contre des Espagnols, des Polonais ou des Afghans, ce que je veux voir ce sont des Français qui gagnent. Oui ça se chique, oui ça cogne dur et oui ça en rajoute quand ça joue bien au basket. Mais bon sang, ce sont des putains de matches à chaque fois ! Ces affrontements, ça appartient à la légende », nous a-t-il lancé.
Le physiologiste rhodanien Claude Bernard – à ne pas confondre avec le philosophe ariégeois Claude Bergeaud – disait que « la haine est ce qu’il y a de plus clairvoyant après le génie ». Si on déteste autant l’Espagne du basket, c’est aussi parce qu’elle nous pousse, arrogants que nous sommes, à reconnaître son talent, sa beauté et parfois, donc, son génie. Qu’elle ne compte toutefois pas sur nous pour la ménager et la laisser brandir des trophées dans les années à venir. Nous aussi, on veut être détestés par l’opposition et voir notre style envié, copié, mais jamais égalé. Puisqu’une compétition sans France-Espagne n’a pas la même saveur, prenons rendez-vous l’été prochain du côté de Rio. Avec, on l’espère, un nouveau match « de puta madre ». Cet article est extrait du numéro 56 de REVERSE, disponible sur notre boutique [product id="314220" sku=""]