Le fabuleux destin de Jimmy Butler, le “meilleur joueur” des Bulls

Jimmy Butler est l'une des clés du prochain titre des Chicago Bulls. Portrait d'un jeune homme marqué par la vie et dont les progrès font de son équipe un favori pour le sacre.

Antoine PimmelPar Antoine Pimmel | Publié  | BasketSession.com / MAGAZINES / Focus
Le fabuleux destin de Jimmy Butler, le “meilleur joueur” des Bulls
La vie n’a pas fait de cadeau à Jimmy Butler. Dès l’adolescence, le gamin originaire de Tomball, une petite ville du Texas située à proximité de Houston, a dû se trouver ses propres repères, créer ses propres codes et surtout chercher sa propre maison. Sa première famille, au sens biologique du terme, l’a abandonné.
[superquote pos="d"]"Je ne t'aime pas, vas-t'en !" sa mère l'a mis à la porte à 13 ans. [/superquote]« Je ne t’aime pas, vas-t'en », lui avait balancé sa mère alors que le jeune Jimmy n’avait que 13 ans.
Sans père et sans argent, il a vagabondé d’un coin à l’autre. Il a dormi chez des amis sans jamais rester trop longtemps. Jusqu’au jour où il a trouvé sa deuxième famille, adoptive cette fois-ci. Butler et Jordan Leslie étaient tous les deux passionnés de basket et leur hobby commun les a rapprochés. Dans un très bel article consacré au joueur des Chicago Bulls, Chad Ford raconte que Leslie a défié Butler lors d’un concours à trois-points. Un challenge évidemment accepté. Les deux jeunes hommes sont ensuite devenus inséparables et Michelle Lambert, la mère de Jordan Leslie, a donc pris la décision de faire du jeune Jimmy un membre de la famille alors qu’elle avait déjà sept enfants à sa charge.
« Je lui ai dit que mes enfants s’inspiraient de lui. Il devait montrer l’exemple, ne pas s’attirer de problèmes et travailler dur à l’école. Et vous savez quoi ? Jimmy l’a fait. Il a fait tout ce que je lui demandais sans poser de question. »
[caption id="attachment_212751" align="alignleft" width="200"] Jimmy Butler, Jordan Leslie et sa mère. Une nouvelle famille pour le jeune homme, une vraie.[/caption] Quelques années plus tard, Jimmy Butler reproduit le même schéma en NBA. Son éthique de travail est irréprochable et il est l’un des chouchous du staff de Chicago. Il exécute sans broncher les tâches réclamées par son coach, Tom Thibodeau. C’est justement dans l’Illinois que la vie du jeune homme a pris un nouveau tournant. En 2011, quelques semaines avant la draft, il a épaté les dirigeants et les scouts présents à l’occasion des workouts organisés pour les jeunes prospects à Chicago. En juin, il est sélectionné en trentième position par les Bulls. Il ne le sait pas encore mais Butler vient de trouver une troisième famille. La « Windy City » a adopté ce col bleu dur au mal à qui on confie les basses besognes chaque soir en NBA. Les fans des Bulls l’adorent. Un amour qui a évidemment touché le joueur révélé pendant sa saison sophomore à la suite d’une blessure de Luol Deng. Bombardé dans le cinq par Tom Thibodeau, il a cumulé 18 points et 8 rebonds pour sa première titularisation le 19 janvier 2013. Il est depuis devenu l’un des joueurs essentiels de l’équipe. Un statut que son agent n’a pas manqué de souligner au moment où les représentants du jeune homme et les dirigeants chicagoans se sont assis à la même table pour parler affaires. Butler était éligible à une extension de contrat cet automne mais les deux parties n’ont trouvé aucun accord. Le joueur de 25 ans ne s’inquiète pas pour autant.
[superquote pos="d"]"Chicago, c'est chez moi."[/superquote]« Je vais rester à Chicago, je le sais. Ici, c’est chez moi. Je veux jouer pour cette équipe et représenter cette ville. »
A Chicago, Jimmy Butler a enfin trouvé une nouvelle maison.

Le syndrome de la « contract year »

16 octobre 2014, United Center. Les Bulls étaient menés de 19 points par les Atlanta Hawks à l’entame du quatrième QT de cette rencontre à priori anodine typique de la pré-saison NBA. Moment choisi par Michael Jordan pour prendre le contrôle du corps de Jimmy Butler, pour reprendre les déclarations en substance de Stacey King, commentateur et consultant pour les Bulls. Héroïque et déchaîné, il a inscrit 20 de ses 29 points dans les cinq dernières minutes de la rencontre. A une seconde du buzzer final, alors qu’Atlanta comptait encore deux points d’avance, une lumière a traversé la salle de Chicago. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=5-QRI53loOM[/youtube] (À écouter avec le son !) Le joueur des Bulls a fait forte impression ce soir-là. Mais il ne s’agissait pas d’une performance isolée. Alors en pleine négociation avec ses employeurs – pour cette fameuse extension de contrat – Jimmy Butler a fait sensation en pré-saison en cumulant les cartons en attaque. Jim Paxson et Gar Forman, le président et le GM de la franchise, ne lui ont pas offert pour autant le contrat souhaité par le joueur. Après trois semaines de compétition, les Bulls occupent actuellement la troisième place de la Conférence Est avec 8 victoires et 3 défaites. Après avoir manqué les deux premiers matches en raison d’une blessure au pouce, Butler est revenu en force dans la rotation et il a confirmé les progrès entrevus en pré-saison. Il s’est même imposé comme le meilleur joueur de sa franchise depuis le début de saison – une belle mention pour Pau Gasol tout de même – en cumulant 21,3 pts, 6,2 rbds et 3,9 pds en 9 matches.
« Il est l’un des joueurs clés de notre succès », répète Tom Thibodeau depuis déjà un an.
[caption id="attachment_135107" align="alignright" width="300"] Jimmy Butler, une arme "anti-LeBron" ?[/caption] Cet arrière-ailier très athlétique et robuste de 2 mètres s’est d’abord fait un nom dans la ligue grâce à ses capacités défensives. C’est un stoppeur défensif de tout premier plan – il a été nommé dans le deuxième meilleur cinq défensif de la saison l’an passé – et il est chargé de ralentir le meilleur scoreur extérieur adverse chaque soir. Pas une mince affaire au sein d’une ligue qui compte des LeBron James, Kevin Durant, Carmelo Anthony, etc. Et pourtant, Butler fait le boulot avec détermination. Sans jamais se plaindre. Sa vitesse de déplacement lui permet de rester face à son vis-à-vis et de voler des ballons (presque deux interceptions de moyenne la saison dernière). Sa puissance lui offre la possibilité de contenir des adversaires plus costauds. L’association de ces deux données fait du joueur des Bulls l’un des meilleurs défenseurs du pays. Selon NBA.COM, les adversaires directs de Jimmy Butler shootaient à 44,8% l’an passé, soit 3,2 point de moins que leur pourcentage habituel. Il contribuait activement aux performances des Bulls en défense – deuxième meilleure équipe de la NBA dans ce secteur l’an passé – et ses oppositions avec les attaquants les plus prolifiques de la ligue ont marqué les esprits. En avril dernier, il limitait Carmelo Anthony à 17 points. Même tarif pour LeBron James (auteur d’un piètre 8/23) le soir où Chicago a mis fin à la série de 27 victoires consécutives du Miami Heat en mars dernier. [superquote pos="d"]LeBron a souffert face à Jimmy Butler lors des playoffs 2013[/superquote]Le « King » a d’ailleurs quelques antécédents avec le jeune stoppeur des taureaux. James est impossible à arrêter sur un terrain de basket, nous en sommes tous conscients. Mais, à l’instar de Kawhi Leonard, Butler est l’un des rares joueurs NBA susceptibles de gêner la superstar sur l’intégralité d’une rencontre. Voire même sur une série de playoffs. En 2012-2013, année du deuxième sacre du Heat, LeBron a désossé toutes les défenses. Sauf celle des Bulls. Si les Floridiens ont éliminé les hommes de Tom Thibodeau sans trop de difficultés – en cinq manches – le quadruple MVP a souffert face à l’ancien joueur de Marquette. Il a été « limité » à 23,6 points et surtout 43,8% aux tirs, ce qui est relativement faible comparé aux standards habituels de James. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=LHwMkn6tvnE[/youtube] Ses aptitudes défensives lui ont permis de se faire un nom et elles lui garantissent une longue carrière en NBA. Les joueurs de ce profil – souvent assimilé à des « 3 and D » - des extérieurs capables de défendre dur et de shooter, sont appréciés et recherchés. Butler s’est donc rapidement vu coller cette étiquette. Un statut honorable mais qui peut brouiller la vision des observateurs. Si certains s’offusquent à l’idée d’offrir un contrat maximum à Jimmy « Buckets » – tout comme certains pensaient (pensent toujours ?) que Kawhi Leonard n’était pas la future star des Spurs – c’est justement pour la simple et bonne raison que l’on n’imagine pas un « 3 and D » comme une star. Dans l’imaginaire collectif, un joueur de cette trempe est un homme de l’ombre, certes essentiel au succès de son équipe. Mais Butler a peut-être un potentiel plus élargi.

Jimmy Butler, une nouvelle solution pour les Bulls

[caption id="attachment_212787" align="alignleft" width="300"] Jimmy Butler, treizième meilleur marqueur NBA après trois semaines de compétition.[/caption] Après neuf matches, Jimmy Butler est le treizième meilleur marqueur de la ligue avec 21,3 points de moyenne. Il se mêle ainsi à des scoreurs confirmés comme Kyrie Irving, Blake Griffin, LaMarcus Aldridge et compagnie. Certes, il ne s’agit peut-être que d’une tendance éphémère du début de saison. Mais les progrès du jeune joueur en attaque sont réels.
« Je suis en confiance car j’ai travaillé mon jeu tout l’été. Je suis vraiment content. »
S’acharner à l’entraînement pour gommer ses points faibles est l’une des caractéristiques propres des joueurs à l’éthique de travail irréprochable. Ces derniers prennent alors confiance lorsque les premiers résultats se font ressentir. C’est exactement ce qui se passe actuellement avec Butler. Il a bossé cet été sur plusieurs aspects de son jeu en attaque et il est aujourd’hui une menace offensive crédible pour Chicago. Il a notamment perdu du poids ce qui lui permet d’être plus rapide balle en main – son dribble est bien plus sûr également. Il a conservé une certaine puissance et, une fois lancé, il est difficile de l’arrêter sans faire faute. Le jeune homme tire 8 lancers en moyenne par match (à 80% de réussite), soit 3 de plus que la saison dernière. Les Bulls vont d’ailleurs beaucoup plus souvent sur la ligne cette saison (26 lancers tentés en moyenne). Plus à l’aise dans ses drives, le Texan provoque des fautes et conclut en force près du cercle (plus de 60% de réussite dans la restricted area).
« Grâce à lui, on se retrouve rapidement dans le bonus et on obtient des lancers supplémentaires », explique Tom Thibodeau.
C’est d’ailleurs sur des lancers-francs qu’il a offert la victoire aux Bulls lors de son premier match de la saison face aux Minnesota Timberwolves. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=7J80gcwBZsw[/youtube] Jimmy Butler a de plus en plus de responsabilités en attaque comme le démontre la hausse significative de son « taux d’usage », passé de 16,9 à 21,1% d’une saison sur l’autre et ce malgré le retour de Derrick Rose et l’arrivée de Pau Gasol, deux scoreurs bien plus réputés que lui. Il est devenu monnaie courante de le voir créer des opportunités offensives – d’abord pour lui et ensuite pour les autres (3,9 passes, sa meilleure moyenne en carrière dans le domaine) – en jouant le pick&roll avec Joakim Noah. Mais son apport en attaque ne se limite pas à cette capacité à provoquer des fautes. Il a notamment travaillé son tir – principalement après le dribble – et ses pourcentages de réussite sont dignes des meilleurs attaquants de la ligue (50% dans le champ et 37% à trois-points).
« Le shoot après le dribble était ma principale préoccupation cet été. J’ai travaillé tellement dur sur cet aspect du jeu. Je suis content car ça porte ses fruits aujourd’hui et je me sens en confiance », assurait-il il y a quelques jours.
[superquote pos="d"]"Jimmy a grandi, il a plus le profil d'un scoreur que celui d'un shooteur pur." Tom Thibodeau[/superquote]Il est devenu une machine à scorer à mi-distance (47% de réussite). Le plus souvent, il joue le pick&roll avec Joakim Noah et profite que son adversaire anticipe la pénétration en passant sous l’écran pour dégainer immédiatement après le dribble. Son jeu dos au panier est en nette amélioration et il profite de sa puissance et de sa taille pour se dégager un chemin jusqu’au cercle. Jimmy Butler est plus grand et plus costaud que la majorité des arrières de la ligue et les Bulls n’hésitent plus à lui confier la balle au poste bas lorsqu’ils sont à la recherche d’un panier facile en isolation. Il excelle également sans le ballon. Ses coupes lignes de fond, dans le dos de la défense, sont dévastatrices, de même que sa capacité à cavaler en transition à 80 reprises chaque soir. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les Bulls jouent beaucoup plus vite que l’an passé (NB : le retour de Rose y est aussi pour beaucoup).
« Jimmy a grandi. Il a plus le profil d’un scoreur que celui d’un shooteur pur. C’est un scorer complet. Il va trouver le moyen de marquer des points à chaque match », s’exclame Tom Thibodeau.
Jimmy Butler est devenu ce que les Bulls cherchaient désespérément depuis plusieurs saisons, à savoir un scoreur de plus sur les lignes arrières. C'est à peine si nous avons été surpris par ses 32 points, son nouveau record en carrière, lors de la défaite contre les Indiana Pacers. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=xSxYojgLqG8[/youtube]

Le facteur X des Bulls ?

[caption id="attachment_198563" align="alignleft" width="300"] Jimmy Butler, un homme enfin au centre des projecteurs.[/caption] A l’instar du joueur, les Bulls sont réputés pour leur défense de fer depuis l’arrivée de Thibodeau aux manettes. Et pourtant… la franchise se classe actuellement à la huitième position en termes de points marqués sur 100 possessions (106,8) alors qu’elle occupait le vingt-huitième rang dans cette catégorie la saison dernière. Les taureaux compensaient leur manque de génie offensif par une défense imperméable. Cette saison, ils trustent donc une place parmi les dix meilleures franchises de la ligue en attaque comme en défense (légère régression presque logique : septième équipe NBA avec 100,4 pts encaissés sur 100 possessions). Le meilleur spacing en attaque et le retour de Derrick Rose profitent à Jimmy Butler qui est donc nettement plus adroit. Les blessures répétées des cadres l’ont forcé à prendre le jeu à son compte l’an passé alors qu’il n’était pas encore prêt. Mais avec l’ancien MVP, un All-Star de la trempe de Pau Gasol et un shooteur comme Mike Dunleavy à ses côtés, il dispose d’une plus grande liberté de manœuvre, ce qui explique en partie ses performances. Et Chicago en tire déjà les bénéfices.
« On lui a toujours dit de prendre plus de tirs. Dieu merci, il a trouvé son rythme et il a pris confiance en lui. Cela nous offre une menace supplémentaire en attaque », confie Derrick Rose.
[superquote pos="d"]"Je viens de Tombale dans le Texas. Je ne suis même pas supposé être en NBA. Star, remplaçant, joueur de l’ombre… peu importe. Laissez-moi juste gagner."[/superquote]La superstar locale a encore quelques pépins physiques et elle est forcée de s’économiser au maximum, du moins pendant la saison régulière. Avec Butler dans cet état de forme, Rose peut se reposer l’esprit tranquille. Ses progrès en attaque lui permettent de prendre le relais de son meneur, libre de garder ses forces pour les moments les plus importants de la saison. En playoffs, on attendra nettement plus du plus jeune MVP de l’histoire et Jimmy « Bucket » passera probablement à nouveau sous le radar. Il serait sans doute même encore plus performant avec un Derrick Rose en pleine forme – capable de slasher et de ressortir la balle sur ses coéquipiers démarqués. A eux deux, ils forment un backcourt complet capable de défendre dur (enfin, dans le cas de Butler) et de marquer dans diverses positions (coupes, pénétrations, dos au panier, shoots extérieurs). Ajoutez-y une raquette redoutable technique et athlétique et vous obtenez sans contestation possible l’un des grands, grands favoris pour le titre NBA. Une bague serait pour Jimmy Butler la garanti de toucher le contrat qu’il souhaite. Mais l’argent n’est pas une priorité pour lui, loin de là.
« Je viens de Tombale dans le Texas. Je ne suis même pas supposé être en NBA et encore moins une star. Je veux juste être désiré, je veux jouer dur et nous aider à gagner. Fin de l’histoire. Star, remplaçant, joueur de l’ombre… peu importe. Laissez-moi juste gagner. »
[caption id="attachment_212109" align="alignleft" width="300"] Jimmy Butler, futur titulaire d'un contrat maximum... et d'une bague de champion NBA ?[/caption] Il gagne déjà bien sa vie. Ses performances pourraient lui permettre de négocier un contrat similaire à ceux signés par Gordon Hayward (63 millions sur quatre ans) ou Chandler Parsons (46 millions sur trois ans) lorsqu’il sera restricted free agent l’été prochain. Les Bulls, qui paieront déjà 50 millions pour quatre joueurs (Rose, Noah, Gasol et Taj Gibson) la saison prochaine, auront la possibilité de s’aligner sur n’importe quelle offre. Il veut se sentir désiré et il considère Chicago comme sa nouvelle maison, lui qui a tant cherché son « chez-soi ». Ses dirigeants ont l’occasion de lui donner encore un peu d’amour afin de renforcer la belle histoire naissante entre le joueur et la franchise. A propos de belle histoire, que dire de celle du gamin de Tomball abandonné par sa mère…
« C’est l’une des plus remarquables que j’ai connu depuis le début de ma carrière », témoignait un dirigeant en juin 2011. « Il était condamné à l’échec à tellement de reprises au cours de sa vie… il a toujours su faire face à l’adversité. Lorsque vous lui parlez, vous avez le sentiment que ce gamin a de la grandeur en lui. »
Quoi qu’il arrive dans les prochains mois et quelles que soit les performances des Chicago Bulls, Jimmy Butler a pris une belle revanche sur la vie.
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