“Jordan, la loi du plus fort” – L’interview

A l'occasion de notre jeu-concours vous permettant de gagner le livre culte "Jordan, la loi du plus fort", nous avons posé quelques questions à Lucas Saïdi, qui a traduit l'ouvrage en français.

BasketSessionPar BasketSession  | Publié  | BasketSession.com / MAGAZINES / Interview
“Jordan, la loi du plus fort” – L’interview
Depuis quelques jours, nous vous proposons, en partenariat avec Mareuil Editions, de gagner 5 exemplaires du mythique livre de Sam Smith, « Jordan, la loi du plus fort ». Jusque très récemment, cet ouvrage, pourtant l’un des plus importants sur la NBA, n’était pas disponible en français. Un véritable manque tant cette plongée durant une année au sein des Chicago Bulls permet de découvrir, outre les coulisses de la saison de leur 1er titre, toutes les facettes de la personnalité complexe de Michael Jordan. Ce manque, c’est Lucas Saïdi, traducteur mais aussi passionné et activiste de la balle orange, qui l’a comblé en s’attelant à la traduction de ce livre. Son travail titanesque méritait bien un coup de projecteur. BasketSession : Tu n’es pas juste un traducteur à la base, peux-tu te présenter rapidement ? Tu es notamment un gros passionné de basket et un activiste. Lucas Saïdi : Je suis traducteur de métier, mais effectivement j’écris sur la NBA et le basket en général depuis un peu plus de sept ans. Je suis moins productif depuis que j’anime le podcast hebdomadaire l’Écho des Parquets mais j’essaie tout de même de publier de temps à autre. J’écris pour Basket Infos, principalement des articles au format magazine ou des traductions d’articles issus de magazines américains, je tiens également un blog consacré aux Phoenix Suns sur Débats Sports, et j’écris parfois sur la WNBA quand j’ai le temps. Je lis Reverse depuis mes 16 ans, je joue au basket avec plusieurs équipes loisirs, j’entraîne les jeunes de mon club, et donc, j’ai traduit The Jordan Rules de Sam Smith qui a été publié en juillet dernier chez Mareuil Éditions. BasketSession : Quand as-tu eu l’idée de traduire « Jordan Rules » ? LS : L’idée m’est venue à l’époque où je vivais en Irlande. J’avais mis beaucoup de projets d’écriture en veille, mais l’arrivée de BeIN Sports sur le marché français et surtout son rachat des droits de diffusion de la NBA a largement redistribué les cartes. Deux ans avant, la NBA était gelée par le lockout, et voilà que soudainement le nombre de matches retransmis se voyait multiplié par cinq, en plus de la croissance continue du League Pass. Il y a eu un gain d’intérêt immense auprès du public français qui a engendré une vraie demande pour davantage de contenu francophone de qualité sur la NBA. Je suis revenu en France, je me suis remis à écrire, encore plus qu’avant, je suis entré en contact avec des magazines américains pour traduire leurs articles en français, j’ai publié à tour de bras. Et à chaque fois, le contenu proposé plaisait. J’ai ressenti une vraie demande pour du contenu à la fois long et pointu, de la part d’un lectorat NBA qui n’existait pas dans de telles proportions par le passé, ou du moins qui se faisait plus discret ou moins demandeur. Beaucoup ont réalisé qu’ils étaient passés à côté de beaucoup de choses en se limitant à la NBA telle que Canal+ la proposait, sans s’intéresser au contenu que l’on trouvait dans la presse magazine et dans la presse web, un contenu déjà bien plus pointu et bien plus fouillé qui avait éduqué son lectorat à une certaine culture basket. Certains ont même eu l’impression d’avoir été privés d’un accès à l’information, et tout comme les néo-spectateurs de la NBA, se sont mis à chercher à accéder à toutes les histoires et toute la création basket qui leur avait échappé pendant toutes ces années. Ce public a toujours été dans une démarche que je trouve très positive, une démarche de chercher à la fois à découvrir une vision nouvelle mais également à s’imprégner d’un savoir passé. De ce fait, il a voulu trouver des textes longs et fouillés qui le prenaient au sérieux en n’hésitant pas à utiliser des termes ou des références non explicitées, partant du principe que le lecteur disposait d’une culture basket suffisante pour qu’on n’ait pas besoin de l’éduquer tout au long du texte. Ce lectorat voulait qu’on le prenne au sérieux, il voulait avoir accès à un savoir dont il s’estimait avoir été privé, par manque de diffusion de ce savoir ou plus simplement à cause de la barrière de la langue. J’ai estimé que publier en français des livres marquants dans la culture basket était une manière de lui offrir ce contenu qu’il réclamait, et j’ai décidé de commencer par le livre fondateur qu’était « Jordan Rules ». BasketSession : Comment t’y es-tu pris pour trouver un éditeur ? LS : Au départ, j’avais pris l’initiative de contacter Simon & Schuster, la maison d’édition américaine qui avait publié Sam Smith. Après quelques échanges de courriers et de mails, le département en charge des droits d’auteur m’a indiqué qu’il n’était pas dans ses habitudes de négocier directement avec les traducteurs, il m’a donc demandé de revenir avec un éditeur. J’ai alors pris contact avec plusieurs maisons d’édition françaises, et notamment les éditions Jacob-Duvernet, qui avaient publié « Né pour gagner », la biographie de Tony Parker par Armel Le Bescon. À l’époque, Louis de Mareuil, mon éditeur actuel, travaillait pour cette maison d’édition et l’idée de publier le livre en français lui plaisait. Nous avions trouvé un accord avec Simon & Schuster, mais malheureusement, les éditions Jacob-Duvernet ont été placées en liquidation judiciaire, mettant de fait un terme brutal au projet. Louis a alors lancé sa propre maison d’édition et m’a téléphoné pour savoir si j’étais toujours partant. Nous avons repris contact avec Simon & Schuster, et quelques semaines plus tard, j’entamais la traduction du livre. BasketSession : Traduire n’est clairement pas ta seule activité, et c’est pourtant un boulot énorme que tu as abattu. Comment t’es-tu organisé ? LS : Effectivement, j’ai traduit le livre tout en passant un Master en traduction assez exigeant tant au niveau du volume horaire que du travail à fournir. Mais c’est un challenge qui me plaisait. Dès que j’ai pu estimer correctement le temps que chaque page me prenait, j’ai établi un planning avec des totaux de pages à atteindre à la fin de chaque mois. J’avais tablé sur deux heures par jour en semaine et cinq le weekend, ce qui implique une discipline très rigoureuse. Il suffit de se dire en rentrant que non, pas aujourd’hui, trop fatigué, ou bien pas ce soir, il y a entraînement, et on prend du retard semaine après semaine. Après trois mois, j’étais assez loin de mes estimations, mais je n’ai pas paniqué pour autant. Quand on traduit un livre, les cent premières pages sont toujours difficiles, parce qu’on doit s’habituer au style de l’auteur et à la manière dont on veut le retranscrire. Au départ, il faut se fixer des règles d’écriture, une terminologie à laquelle on se tiendra, ce à quoi on veut que le livre ressemble. Mais une fois que tout est assimilé, qu’on a fixé une manière de retranscrire telle chose de telle manière, tels dialogues de telle façon, tout devient plus facile et le livre s’écrit tout seul. Dès que j’ai eu dompté le livre, j’ai avalé les pages qu’il restait à traduire et j’ai terminé avec trois semaines d’avance sur mon planning, ce qui m’a permis d’approfondir encore davantage l’harmonisation du livre — encore heureux d’ailleurs, puisque mon ordinateur m’a lâché deux semaines avant la remise du manuscrit. Lors des derniers mois de traduction, j’avais trouvé mon rythme et je me tenais à la discipline que j’avais choisi de m’imposer. Je traduisais de 18h à 20h, je partais à l’entraînement, je reprenais la traduction aux alentours de minuit et je bouclais à 6h pour regarder la fin du match des Suns. BasketSession : Pourquoi ce livre en particulier ? LS : Comme je l’expliquais plus tôt, il y avait une réelle demande du lectorat français pour un savoir basket dont il n’avait pu bénéficier par le passé. Par exemple, quand on parle de Kobe, on entend souvent « c’est un sale type, mais si Jordan avait vécu à l’époque d’internet, ça aurait été bien pire », et force est de reconnaître que c’est probablement vrai. Mais toutes ces informations, ces connaissances, à l’époque de Jordan, on ne les avait pas, du moins pas en France. Même aux États-Unis, c’est la sortie de Jordan Rules qui a pour la première fois écorné l’image de l’icône. Dans le rôle qu’il a eu et surtout dans la manière dont il a été écrit, le livre de Smith est profondément fondateur d’une manière d’écrire et d’une manière de penser le journalisme basket mais aussi l’écriture du basket en général, si ce n’est le sport. Passer une saison entière en immersion avec les Bulls de Jordan, et considérer le sportif simplement comme la matérialisation des relations qui régissent la vie d’une équipe, comme un simple fil rouge du parcours d’un groupe de joueurs et d’entraîneurs, c’est quelque chose qui a changé la façon dont on écrit le basket, et c’est un livre qui a beaucoup joué sur ma manière de concevoir le sport en général. Plus encore, dans la culture basket, c’est un incontournable. Au même titre que certains films sont incontournables pour un cinéphile, Jordan Rules est incontournable pour un lecteur qui cherche à parfaire sa culture basket. BasketSession : Qu’as-tu appris sur Michael Jordan au cours de la traduction ? Ce livre a-t-il changé ton regard sur lui ? LS : J’avais lu le livre pour la première fois quand j’avais dix-sept ans, et effectivement j’avais aimé découvrir la vision de Jordan qu’il proposait, la possibilité de voir Jordan l’homme, la façon dont il se comportait avec ses coéquipiers, etc. C’était surtout ce que j’en avais retenu. Mais en lisant à nouveau, j’ai découvert des enjeux plus profonds auxquels j’avais accordé moins d’attention au cours de ma première lecture, et notamment la dimension « Jordan avant qu’il ne devienne Jordan ». Smith a débuté l’écriture de son livre avant que Jordan ne remporte son premier titre, et on y découvre une dimension de Jordan qui est absolument impensable quand on sait l’icône qu’il est aujourd’hui. Un joueur pointé du doigt pour être juste un scoreur génial mais incapable de faire gagner une équipe, c’est ce qu’on disait d’Iverson, de Kobe, même encore aujourd’hui de Carmelo, mais difficile de s’imaginer quelqu’un parler en ces termes de l’invincible Michael Jordan. Pourtant, dans le livre, on trouve ce Jordan humain, rongé par l’angoisse d’être considéré comme un loser, qui se demande si ses coéquipiers sont trop nuls pour lui ou si c’est lui qui est trop bon pour eux, qui jalouse la réussite de Magic, qui enrage de voir ses rivaux réussir là où lui échoue. Ce Jordan humain, plombé par ses angoisses et ses doutes, c’est une image incroyable. Durant s’est fait allumer pour avoir rejoint Golden State, mais on occulte complètement cette dimension psychologique qui fait partie de ce qu’est un homme. C’est Jerry West qui a convaincu KD de signer aux Warriors, et il l’a fait en mettant l’accent sur ce point-là, lui qui a sombré dans l’alcoolisme parce qu’il avait peur d’être un loser toute sa vie après ses échecs répétés face aux Celtics. En lisant le livre, on voit que Jordan lui-même était hautement tourmenté par ces doutes permanents, qu’il ne supportait plus de ne pas arriver à faire gagner son équipe, qu’il ne supportait plus la façon dont les gens le voyaient, qu’il voulait partir. Jamais on ne pourrait s’imaginer une chose pareille en évoquant le nom de Michael Jordan. Mais une fois qu’on sait que même lui était sujet à pareils démons, je trouve inimaginable de ne pas y songer avant d’évoquer le cas de Kevin Durant. Ce sont des hommes avant d’être des joueurs de basket, et dans le cas de Jordan, c’est un homme avant d’être une icône. Le fait d’avoir cette vision de lui, le Jordan qui a peur de perdre et non le Jordan qui fait coucou à Bugs Bunny sur les paquets de Chocapic, c’est un témoignage hautement intéressant qui permet de mieux comprendre les angoisses et les doutes auxquels sont sujet les sportifs de haut niveau, aussi forts soient-ils. BasketSession : Quels passages et anecdotes t’ont le plus marqué ? LS : J’aime beaucoup le moment où Jackson parle des combines des équipes NBA pour avoir l’avantage à domicile. Les Pistons qui vissent trop fort le cercle pour avoir un panier moins permissif, les Lakers qui surgonflent les ballons pour que Magic puisse dribbler haut sans se faire intercepter, les Celtics qui montent le chauffage dans le vestiaire visiteurs, les Knicks qui gardaient des aiguilles dans leurs shorts pour dégonfler la balle pendant les temps-morts… C’est assez cool de voir des pros parler de leurs adversaires comme n’importe qui parlerait des siens, peu importe le niveau. « Chez machin, les douches sont froides », « chez bidule, on a le soleil dans les yeux aux lancers », tous ces trucs dont tu parles dans la voiture quand tu joues en déplacement, ça existe en NBA, et un LeBron ou un Curry en parle aussi avant d’aller jouer à Los Angeles ou à Houston. Et ce malgré le fait que ça soit pro, malgré les règlements hyper stricts, malgré les télés, malgré l’impression que tout est toujours lisse. Ça me fait marrer de m’imaginer Westbrook qui râlerait avant d’aller jouer à Milwaukee parce que les bières étaient tièdes l’année d’avant. BasketSession : Quelles ont été les principales difficultés que tu as rencontrées au cours de l’exercice ? LS : Les seules vraies difficultés sont les contraintes liées à l’édition, principalement les désaccords avec les relecteurs, mais de manière générale je n’ai pas ressenti de vraie difficultés sur ce livre. Je le connaissais bien, j’avais les connaissances nécessaires à la compréhension du vocabulaire, du contexte, des personnages impliqués, du propos de l’auteur et des enjeux soulevés par son texte, donc je n’ai eu que très peu de recherches documentaires à faire, d’autant que je savais déjà où trouver les informations dont je pouvais avoir besoin. En revanche, je pense qu’un traducteur chevronné mais au bagage NBA limité aurait eu bien plus de mal à traduire ce livre, ce qui a d’ailleurs engendré les désaccords que je mentionnais plus tôt. De la même manière, un rédacteur NBA chevronné mais sans le savoir-faire d’un traducteur professionnel aurait rendu un texte insatisfaisant, tant le style d’écriture de Smith est spécifique à la manière d’écrire des auteurs américains, tout en phrases courtes et avec une structure de texte très saccadée. Ma tâche était donc de rendre à la fois une traduction fidèle du livre, mais avec un style littéraire plus fluide et plus proche de ce qu’est un livre écrit en français. Des auteurs récemment traduits en français comme Smith ou McCallum ont un style très américain, mais qui bénéficie déjà d’une certaine fluidité à la base, là où d’autres comme Lazenby ont un style assez lourd qui rend le travail de traduction bien plus exigeant et bien plus difficile. Si l’on décide de trop coller au texte de base en terme de style, ou de trop chercher à expliciter en terme de vocabulaire, la traduction ne peut pas être satisfaisante. Le tout est de trouver un juste milieu, et de créer un texte nouveau qui fonctionne de manière autonome, avec un style et un ton qui lui sont propres. J’ai eu la chance d’avoir un éditeur qui m’a fait confiance et j’ai pu imprimer à ce livre le style que je voulais lui donner, pour qu’il fonctionne en tant que livre et pas seulement en tant que traduction. C’est une démarche que j’estime primordiale dans l’exercice : un livre bien traduit mais mal écrit est une expérience de lecture désagréable, et un livre bien écrit mais mal traduit est irrespectueux vis-à-vis du livre source et de son auteur. Sam Smith est l’auteur de son livre, je suis l’auteur de sa traduction : ce sont deux livres distincts destinés à deux lectorats différents. Mais bien entendu, le second ne pourrait exister sans le premier. BasketSession : Est-ce qu’il y a d’autres projets qui te tentent ? D’autres livres ? LS : Pour le moment, je travaille dans une agence berlinoise de localisation de jeux vidéo (j’ai d’ailleurs croisé sur un playground Patrick, l’un des graphistes de Reverse, comme quoi le monde est petit) mais j’ai vraiment envie de travailler sur un autre livre. Beaucoup de lecteurs ont tenu à me dire à quel point ils étaient heureux d’avoir accès à ce livre dont ils entendaient parler depuis longtemps, et beaucoup m’ont suggéré d’autres titres importants dans la culture basket mais auxquels ils n’ont pas accès du fait de la barrière de la langue. Moi-même, j’ai beaucoup de livres et d’auteurs que j’aimerais pouvoir partager et dont j’aimerais pouvoir discuter. Traduire ce livre a été une expérience plaisante, sa réception par le public a été une expérience extraordinaire. Plus que de la reconnaissance, c’est un véritable échange autour de la culture basket, un savoir commun que chacun cherche à partager et à parfaire, quelque chose de très collectif. La communauté basket a révélé ces dernières années beaucoup d’auteurs francophones de talent et fonctionne désormais de manière totalement autonome dans la création de contenu, qu’il soit écrit, audio ou vidéo. Sa littérature, en revanche, en est encore à ses premiers pas. Je suis content de voir que beaucoup de livres basket soient sortis cette année, mais j’ai envie d’en voir encore davantage dans les librairies. Je pense même que la communauté attend désormais d’en voir plus chaque année et j’ai envie d’y contribuer autant que je le pourrais. Il y tant de livres qui attendent d’être traduits, et tant de livres qui attendent d’être écrits…   Pour gagner l'un des 5 livres "Jordan, la loi du plus fort", il vous suffit de vous abonner à notre compte Twitter (@reversemagazine) et de retweeter ce Twitt : [html] [/html]
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