Rick Barry a 80 ans : « connard » génial et légende sous-estimée

Aussi insolent de talent qu’insupportable d’arrogance, Rick Barry, 80 ans aujourd'hui, n’aura jamais la place qu’il mérite dans l’histoire.

Rick Barry a 80 ans : « connard » génial et légende sous-estimée

C'est aujourd'hui l'anniversaire de Rick Barry (80 ans). L'occasion de publier l'article que nous luis avions consacré dans le numéro 56 de REVERSE et de revenir sur la carrière d'un des joueurs les plus talentueux et les plus détestés qu'ait connu la NBA.

On ne retient guère plus de Rick Barry que ses lancers-francs à la cuiller, sa flopée de fils basketteurs (Scooter, ancien de Cholet, puis Jon, Brent et Drew, tous trois passés avec plus ou moins de succès par la NBA) et cette réputation d’être humain détestable qui lui colle salement à la peau et que Bill Simmons s’est fait un plaisir de remettre au goût du jour dans son bouquin The Book of Basketball.

« On s’en souviendra comme du connard le plus notoire de l’histoire de la NBA », écrit-il ainsi.

Que l’opinion de ses contemporains à son sujet ait été partagée, c’est indéniable. Mais si le portrait que Simmons en dresse paraît réducteur, c’est qu’il l’est...

Rick Barry

La divine comédie

 Même à son meilleur, ceci dit, Rick Barry ne pouvait que diviser. Prétentieux, arrogant, impulsif, sa réputation ne s’est pas faite à l’insu de son plein gré. Dès la NCAA, où il joue pour son futur beau-père Bruce Hale à l’université de Miami, il se forge une réputation de tête brûlée que quelques bastons (dont une dont son adversaire sort la mâchoire fracturée) et une poignée de pétages de plombs cimentent définitivement.

« C’est en partie de ma faute, je le sais », admet-il dans son autobiographie, Confessions of a Basketball Gypsy, parue en 1972.

« Je joue de façon agressive et avec arrogance. Ça se voit sur mon visage que je suis très vaniteux. Je provoque beaucoup, je chambre des mecs et je m’énerve quand ils s’énervent contre moi. Je suis comme un enfant, parfois. J’ai essayé de me contrôler, mais je ne peux pas. »

Le talent est pourtant bel et bien là. Brillant dès sa saison sophomore (les freshmen étaient à l’époque privés de compétition officielle), dominateur pour son année junior et totalement injouable lors de sa dernière campagne (meilleur marqueur NCAA avec plus de 37 points et 18 rebonds de moyenne, 11 matches à plus de 40 pts, 6 au-dessus de 50 !), il s’attire entre autres les compliments de Joe Lapchick, alors coach de St John’s et légende du basket new-yorkais, qui lui glisse après leur affrontement, perdu de 2 points par Miami malgré 39 pions de Rick :

« Jeune homme, vous êtes l’un des meilleurs joueurs de basket que j’aie vus de ma vie, et je suis dans le basket depuis 1912 ».

Deuxième choix de la draft 1965 derrière Bill Bradley, un autre ailier blanc moins taillé pour le basket pro mais à la réputation impeccable que lui ont préféré les Knicks, Rick Barry passe d’une côte à l’autre, direction San Francisco, où les Warriors sortent d’une saison désastreuse et viennent de se débarrasser de Wilt Chamberlain. Grand, rapide, mais frêle, il est immédiatement testé par les vétérans, qu’il s’agisse de son rugueux coéquipier Tom Meschery ou de ses adversaires, soucieux de voir ce que le gamin a dans le ventre.

« Il y a un événement qui m’a énormément aidé à me mettre sur la bonne voie et je ne l’oublierai jamais », confie-t-il dans son bouquin.

« Nous avions joué des matches de présaison contre Los Angeles et nous étions dans un avion avec les Lakers pour aller en disputer un autre à Las Vegas. J’avais joué de façon inégale et je craignais pour mes chances. Jerry West s’est assis à côté de moi et m’a dit ‘‘Hé, si ça ne te dérange pas que je te dise ça, tu es trop tendu, tu forces trop. On passe tous par là quand on commence. Mais je sais que tu peux jouer dans cette ligue. Tout ce que tu as à faire, c’est de te détendre et de jouer ton jeu’’. »

Les conseils du Logo portent leurs fruits : Rick est bon dès le début de la saison (17 pts pour son premier match, 25 au deuxième), claque 57 points au Madison Square Garden dès sa trentième sortie pro et aligne près de 31 points de moyenne après le All-Star Game (dont il est titulaire). Quatrième marqueur de la ligue derrière les monstres sacrés que sont alors (et toujours) Chamberlain, Jerry West et Oscar Robertson, il est logiquement élu Rookie Of the Year.

Coachés par Alex Hannum, les Warriors ratent les playoffs de très peu, mais leurs progrès, dans le sillage du duo Rick Barry-Nate Thurmond, sont énormes. Ils continuent d’ailleurs la saison suivante. En confiance malgré le changement de coach (Hannum, qu’il tient en haute estime, est remplacé par Bill Sharman, dont il déteste les méthodes), il explose et livre la plus belle saison de sa carrière, l’une des plus fantastiques de l’histoire. Lui qui attaquait le panier comme personne a énormément travaillé son shoot extérieur pendant l’été et les résultats sont édifiants.

Trop vif sur jeu rapide, alimenté qui plus est par la domination au rebond de Thurmond, il punit d’un tir à mi-distance les défenseurs qui lui laissent trop d’espace et provoque faute sur faute en drivant comme un acharné. Il dépasse 28 fois les 40 points, ce que seuls Michael Jordan et Wilt Chamberlain ont fait sur une saison, et 6 fois les 50. Sur une série de 7 matches joués en 11 jours en février, il tourne à près de 46 pions de moyenne, avec trois sorties consécutives à 49, 50 et 52.

Premiers à l’ouest derrière ses 35,6 points, les Warriors, pitoyables deux ans avant, accèdent à la finale pour y rencontrer les Sixers de Chamberlain et Hannum, qui viennent de signer la meilleure saison régulière de l’histoire de la ligue. Le titre semble joué après les deux premières rencontres, remportées par Philly grâce à deux triple-doubles monumentaux de Wilt (16 pts - 33 rbds - 10 pds, puis 10 - 38 - 10 avec un magnifique 2/17 aux lancers), mais les 55 points de Rick Barry au match suivant sonnent la révolte des Californiens qui laissent filer le Game 4, avant de remporter le 5ème à Philadelphie contre toute attente.

Trop puissants, les Sixers remportent le titre, le premier de Chamberlain, mais Barry, à seulement 23 ans, écrit une page d’histoire : ses 40,8 points de moyenne sur la finale ne seront battus que d’une toute petite unité par Michael Jordan 26 ans plus tard. Meilleur scoreur de la ligue, déjà détenteur d’un record prestigieux, passé tout près du titre, Rick Barry est clairement promis à un avenir radieux. Il va pourtant réussir à tout foutre en l’air.

L’idiot

Depuis plusieurs mois déjà, une ligue rivale s’organise et Oakland fait partie des villes ciblées par la American Basketball Association. De nombreuses stars sont approchées et, parmi elles, les deux piliers des Warriors, Barry et Thurmond. L’apparition de la ABA ouvre une ère nouvelle : les joueurs NBA, dont la mobilité professionnelle est abusivement limitée par la « reserve clause », y voient un moyen de pression dans leurs négociations dont ils n’osaient pas même rêver encore quelques mois auparavant.

Les propriétaires des Oakland Oaks lui proposent un salaire quasiment deux fois plus élevé que celui qu’il touche aux Warriors, lui offrent en prime 15% de la franchise et, surtout, ont une idée de génie en signant parallèlement Bruce Hale, son entraîneur en NCAA et accessoirement le père de sa femme Pam. Or les jeunes mariés vivent une période difficile. L’adaptation au rythme du basket pro est laborieuse. La perspective de jouer pour son beau-père (plutôt que pour Sharman) et de se rapprocher ainsi de ses beaux-parents à un moment où son couple bat de l’aile le séduit. Il décide de traverser la Baie.

Franklin Mieuli, le propriétaire des Warriors avec lequel il a pourtant une relation privilégiée, n’a pas d’autre choix que d’attaquer en justice. Selon les règles NBA et cette fameuse (et odieuse) « reserve clause », un joueur doit attendre un an après la fin de son contrat pour pouvoir signer où il veut. Rick Barry et ses avocats la contestent. Mieuli l’invoque. Les tribunaux tranchent : le joueur n’aura pas le droit de jouer en ABA pendant un an.

« Je ne voulais pas attaquer en justice, mais il le fallait », se défend le proprio.

« Je le devais à la franchise, aux actionnaires minoritaires, aux fans, à la ville. Il fallait que j’essaie de le récupérer. Et j’ai gagné. Qu’est-ce que j’ai gagné, au juste ? Était-ce une victoire de le garder hors des terrains pendant un an ? »

Évidemment pas, d’autant qu’en son absence les Oaks terminent la saison inaugurale en dernière position de la ligue et choisissent de remplacer son beau-papa par son ancien coach Alex Hannum.

« Je ne savais pas que je serais le seul joueur de renom sur lequel la ABA mettrait la main », explique-t-il dans son bouquin.

« Je pensais que Nate (Thurmond) et d’autres iraient. On entendait dire que Wilt Chamberlain, Elgin Baylor, Oscar Robertson et d’autres hésitaient. Il faut vous mettre à ma place. »

Sa première (et seule) saison à Oakland démarre sur les chapeaux de roue mais se termine dans la douleur. Pas pour les Oaks, sacrés champions, mais pour lui individuellement, qui se blesse au genou et ne joue que 35 matches, à 34 points de moyenne. Surtout, les propriétaires, qui lui avaient pourtant promis qu’ils avaient des visions à long terme, revendent leur franchise, qui déménage à Washington. Ce sera l’histoire de sa carrière ABA : des imprévus, des déceptions, des blessures, mais des perfs impressionnantes

Rick BarryPour lui, c’est un cauchemar. Persuadé qu’un déménagement de la franchise le libère automatiquement de ses obligations, il refuse de suivre et attaque en justice. Mais son contrat ne contient aucune clause de ce type et il ne parvient pas à prouver l’accord verbal qu’il avait avec ses premiers propriétaires. Pire, ce n’est pas la franchise en tant que telle qui a été rachetée, mais seulement ses avoirs. Ses 15% de parts partent en fumée. Il finit par jouer à Washington, puis refuse encore une fois de déménager, cette fois-ci en Virginie, d’autant qu’il a entre-temps resigné – sans attendre que son procès soit fini – avec les Warriors.

Déprimé par la tournure de son aventure ABA, pris dans l’engrenage d’un système judiciaire au rythme incompatible avec les exigences du sport professionnel mais qui le force à honorer les deux dernières saisons de son contrat ABA, il propose au boss des Virginia Squires de payer pour être libéré. Celui-ci refuse mais, au terme d’un bras de fer qui voit Rick dénigrer la Virginie et ses habitants dans une interview pour Sports Illustrated, il finit par s’entendre avec le proprio des New York Nets.

Excité par l’idée d’évoluer dans le gigantesque marché new-yorkais, il y joue deux saisons, toujours aussi brillantes, et ponctue son passage dans cette ligue mineure d’une finale perdue contre les Pacers. Une anecdote tirée de l’incontournable Loose Balls de Terry Pluto témoigne de son statut en ABA :

« Je commentais un match des Floridians et nous jouions les Nets », raconte Sam Smith, un journaliste de l’époque.

« Earl Strom (arbitre NBA légendaire qui avait lui aussi fait le saut en ABA – ndlr) et lui s’étaient embrouillés toute la soirée. Finalement, Earl lui a collé une technique. Rick Barry ne voulait pas la fermer, alors Earl lui en a mis une deuxième et l’a éjecté du match. Dans notre ligue, personne ne l’expulsait. La ABA des premiers temps, c’était lui. Alors Rick ne voulait pas sortir. Il faisait quelques pas, se retournait et criait après Earl, et Earl lui mettait une autre technique. Quand ils ont enfin réussi à le faire sortir, il en avait pris six. »

Son contrat ABA enfin terminé, les Warriors attendent le retour de l’enfant prodigue, pionnier épuisé d’une guerre des ligues qui finira par bouleverser le paysage du basket pro.

« Je ne pense pas qu’il ait fait une erreur en venant chez nous », résume Ken Davidson, l’un des propriétaires des Oaks, dans Confessions of a Basketball Gypsy.

« Ça n’a pas marché comme il l’aurait espéré. Ça n’a marché pour aucun d’entre nous comme on l’aurait espéré. Mais je pense que tenter sa chance a fait de lui un homme meilleur. Tout le monde n’a pas l’occasion d’être un pionnier. »

Un avis que ne partage pas Jack Kent Cooke, alors proprio des Lakers :

« Le bon dieu a donné à certains un excès de maestria et le talent pour jouer au plus haut niveau, et il semble parfois compenser en leur ôtant quelque chose au niveau du jugement. Jamais, dans l’histoire du sport, un jeune homme n’a fait plus de choses pour gâcher ses opportunités que Rick Barry – pas délibérément, mais en prenant de mauvaises décisions. »

Rick Barry à la recherche du temps perdu

Rick aime jouer à New York, il aime se sentir star. Mais c’est aux Warriors, qui en son absence sont restés compétitifs, qu’il revient. S’il a laissé ses cartilages en ABA, il y a tout de même gagné en expérience et a même ajouté une nouvelle dimension à son jeu : le scoreur fou est devenu un passeur brillant. Mais il faut attendre la troisième saison après son retour pour le revoir dominer la ligue comme il l’avait fait en 1967.

Dans une équipe pourtant en transition qui ne vit que par ses exploits (Jamaal Wilkes, le deuxième marqueur, n’est encore qu’un rookie), il monte en puissance tout au long des playoffs, qui finissent en apothéose avec un sweep retentissant des Washington Bullets, pourtant la meilleure équipe de la ligue. Gagner le titre avec l’équipe de ses débuts après un tel parcours du combattant est pour lui la récompense ultime. D’autant qu’il s’est fait voler un titre de MVP qui aurait dû lui revenir haut la main pour une raison aussi simple que désolante : ce sont alors les joueurs qui élisent le meilleur joueur de la saison, et ses pairs, dans leur grande majorité, le détestent. Les témoignages en sa défaveur ne manquent pas. En cela, Bill Simmons a raison.

« Quand il était en ABA », raconte l’ancien joueur Steve Jones dans Loose Balls, « c’était un peu comme s’il n’était pas l’un des nôtres, presque comme s’il nous faisait une faveur de jouer avec nous. [...] C’ÉTAIT l’un des nôtres, mais il ne se voyait pas comme tel, parce qu’il pensait toujours qu’il avait l’option de retourner en NBA. C’était comme s’il était là sans vraiment être là. »

Rick BarryCette distance qu’il a toujours semblé mettre entre lui et les autres ne l’a manifestement pas aidé à se faire aimer. Pas plus que son autobiographie, dans laquelle il démolit Wilt Chamberlain (« Je vais dire ce que la plupart des joueurs pensent, c’est-à-dire que Wilt est un loser. [...] Il est atroce dans les matches importants. [...] Quiconque a déjà joué avec lui est d’accord avec moi, qu’il l’admette publiquement ou non. ») et se paie les arbitres NBA (« Il y a des bons arbitres, mais pas beaucoup. Je ne vais pas balancer de noms. Qu’ils pensent tous que ce sont eux les bons. »).

Était-il facile à vivre ? De son propre aveu, probablement pas.

« Ça me met hors de moi quand des gars échappent des passes ou foirent des lay-ups », admet-il.

« J’essaie de ne rien dire, mais des fois je marmonne à voix haute. Certains n’ont pas aimé ça ou ont pu me trouver trop exigeant. Mais c’est plus fort que moi, je n’ai aucune patience pour la médiocrité. Je ferais vraiment un coach pourri. La plupart des stars ou des gars à qui le jeu est venu naturellement sont nuls comme coaches. »

Des propos prophétiques quand on sait ce qu’en dira Darryl Dawkins dans sa propre autobiographie, Chocolate Thunder, une vingtaine d’années plus tard :

« Un coach blanc dont je serais surpris qu’il ait un poste en NBA un jour, c’est Rick Barry. Il pense toujours qu’il est le cadeau de Dieu au basket. »

Sa propre femme ne l’a pas aidé non plus en déclarant, en plein milieu de sa carrière ABA, que son comportement sur le terrain lui faisait honte.

« Je déteste quand il fait ça », avait-elle ainsi confié à Associated Press.

« Je l’ai vu se prendre un coup et faire une espèce de double salto en tombant et gémir et se plaindre. On aurait pensé que son dos était fracturé. Et il s’avère que c’est juste une foulure de la cheville. À cet instant, il est plus énervé parce que la faute n’a pas été sifflée que parce qu’il s’est fait mal. Et tous ces enfants dans les tribunes qui peuvent l’entendre. Il me fait honte. J’imagine qu’il est fragile. Même à la maison, à chaque fois que je lui demande de faire quelque chose, il se fait mal. Il change une ampoule et la casse. Il se frappe le pouce avec le marteau. Quand il fait un barbecue, il se brûle. C’est son complexe. »

Rick Barry était-il avant tout un pionnier incompris ou une diva arriviste ? Le jury n’a toujours pas rendu son verdict.

Richard Francis Dennis Barry III

Ailier/2,01 m
Draft : Sélectionné en 2ème position en 1965 par les San Francisco Warriors
Equipes : Miami (NCAA), San Francisco Warriors, Oakland Oaks (ABA), Washington Capitols (ABA), New York Nets (ABA), Golden State Warriors, Houston Rockets
Palmarès : Rookie Of the Year en 1966, 8 fois All-Star (1966-1967 et 1973-78), MVP du All-Star Game 1967, élu 5 fois dans la All-NBA 1st Team (1966-67 et 1974-76), meilleur scoreur NBA en 1967, élu 4 fois dans la All-ABA 1st Team et 4 fois ABA All-Star (1969-72), Champion NBA et MVP des finales en 1975, entré au Hall of Fame en 1987, sélectionné parmi les 50 plus grands joueurs de l’histoire en 1996.
Stats en carrière : 24,8 pts à 46%, 6,7 rbds, 4,9 pds et 2 steals de moyenne

Cet article sur Rick Barry est issu du numéro 56 de REVERSE