Il y a 20 ans, Rik Smits faisait enrager le Shaq

Le 29 mai 1995 eurent lieu les 13 secondes les plus dingues de l'histoire de la NBA, entre Indiana et Orlando.

Il y a 20 ans, Rik Smits faisait enrager le Shaq
Au bord du terrain, Shaquille O'Neal a la tête des mauvais jours. Le regard grave, l'air sérieux, il prie pour que ses coéquipiers fassent le boulot sans lui. Et pour cause : avec six fautes au compteur, il ne peut plus jouer. Loin des clowneries qui deviendront sa marque de fabrique, Shaq est là, les bras ballants, frustré plus jamais. Il cogite. Ressasse ses regrets dans sa tête. Comment a-t-il pu tomber dans le piège que lui ont tendu Reggie Miller et sa bande ? Et dans un match de cette importance... S'il n'en est qu'à sa troisième saison parmi l'élite, il le sait : à l'avenir, il devra prêter main forte à ses coéquipiers plus longtemps que durant les 30 minutes qu'il a disputées ce soir. En bon monstre physique, il fait face à cette situation si rare qu'il haïra à chaque fois aussi férocement au fil de sa carrière : l'impuissance. Alors il s'en veut. Stresse. Puis, comme les 16 477 fans présents à la Market Square Arena ce soir-là, ainsi que tous les téléspectateurs de ce Game 4 de finale de conférence entre Indiana et Orlando, il découvre le célèbre principe de l'ascenseur émotionnel. À quatre reprises, précisément, son cœur s’emballera. À quatre reprises, l'équipe en tête au tableau d'affichage changera de nom. Et ce en seulement treize secondes.

L'invité surprise

[superquote pos="d"]"J'ai tout imaginé avant d'entrer sur le parquet donc, non, je n'étais pas surpris de le réussir."[/superquote]Six ans avant de devenir coach assistant chez les Indiana Pacers, Brian Shaw n'avait pas vraiment de sympathie pour la franchise d'Indianapolis. A treize secondes de la fin, l'arrière porte donc le score à 89-90 en faveur du Magic grâce à un trois-points annonciateur d'un fabuleux festival. Car si Orlando croyait là tenir cette quatrième manche, cette partie de ping-pong ne faisait que commencer. Résultat : ce tir derrière l'arc est vite imité par un autre. Reggie Miller dégaine à son tour pour les Pacers. 92-90. Il reste seulement six secondes de jeu. Le sophomore Anfernee « Penny » Hardaway y va de son trois-points. 92-93. L'enceinte des locaux subit une nouvelle douche froide. Mais le héros de la rencontre ne sera ni Brian Shaw, ni Reggie Miller, ni Penny Hardaway. Son nom : Rik Smits. Alors qu'il ne reste plus que 1,3 seconde de jeu, le géant néerlandais (2m24) récupère la balle aux abords de la ligne des lancers-francs, prend le temps de feinter Tree Rollins, et réalise un léger jump shoot. Switch. 94-93. La Market Square Arena exulte. Pour de bon, cette fois.
« J'ai tout imaginé avant d'entrer sur le parquet donc, non, je n'étais pas surpris de le réussir », répond-t-il à un journaliste qui apparemment, lui, était étonné de sa réussite. « Je pensais avoir assez de temps pour le feinter. Il a mordu. J'ai tiré. C'est rentré. Et maintenant, c'est une toute nouvelle série. »
Les Pacers ont rattrapé leur retard. Deux partout, la balle au centre.

Quand Shaq maudit les Pays-Bas

Le cœur de Shaquille O'Neal bat de nouveau normalement. Sur le chemin qui le ramène en Floride, il a du mal à oublier. La veille, c'est bien un autre pivot qui a donné la victoire à son adversaire. Un pivot auteur d'un buzzer-beater, mais aussi de 21 points, à 6/16 au shoot, de 7 rebonds, 7 assists et 2 contres. L'exclusion d'un de ses coéquipiers, Horace Grant (seul joueur du cinq d'Orlando à ne pas avoir inscrit 10 points), ne lui permet pas de se consoler en se disant : « Je n'ai pas été le seul à céder ». En réalité, elle ne faisait que le conforter dans l'idée qu'il avait commis le pire. En réalisant le seul double-double de la soirée (16 points, 10 rebonds), c'est lui qui devait jouer les héros ce soir. Pas Rik Smits. Mais ne ce dernier ne s'était rendu coupable « que » de quatre fautes. Résultat : il avait pu jouer 36 minutes. Dont ce fameux money time. Le Shaq devait l'admettre : ce Néerlandais lui avait donné la leçon. En se rendant disponible auprès de ses coéquipiers toute la rencontre. En inscrivant le panier de la gagne. Et en faisant preuve d'adresse. Quand Rik Smits réalisait un joli 9/11 sur la ligne des lancers-francs, lui affichait un affreux 0/8  handicapant pour les siens (quatre échecs dans le dernier quart). Ce soir-là, c'était acté : Shaq détesterait les Pays-Bas.

Quand Rik Smits joue les Reggie Miller

[superquote pos="g"]Larry Brown : "Je n'ai jamais vu 28 secondes plus folles que celles là".[/superquote]Était-ce lui le fabuleux druide qui avait fait de Rik Smits le héros d'un soir quand personne ne s'y attendait ? En conférence de presse, Larry Brown, le technicien d'Indiana, ne cache pas sa joie. Il explique qu'il savait que Reggie Miller et Byron Scott seraient marqués à la culotte sur cette dernière action. Qu'ils n'auraient pas eu l'espace pour shooter correctement. Et donc qu'il a confié le sort de la franchise à ce géant drafté en deuxième position en 1988 et qui a tourné toute sa carrière à plus de dix points par match. Pourtant, si le second de ses arrières n'avait que 5 points au compteur, à 1/8 au shoot et 0/4 à trois-points, le premier avait inscrit 23 points, le plus haut total des Pacers, à 8/16 au shoot et 5/9 à trois-points. Encore sous le choc de ce finish de folie, Larry Brown est fier de sa tactique payante.
« Je n'ai jamais vu 28 secondes plus folles que celles là », se réjouit-il, heureux de finir du bon côté de l'histoire, dans des propos rapportés par le New York Times. « Je ne sais pas quoi dire. Nous jouons avec une équipe très spéciale. Ils n'ont pas tremblé. Ils sont toujours revenus. »
Reggie Miller n'en revient pas. Rik Smits lui a volé son petit plaisir. Alors pour que personne n'oublie sa propre performance, il partage aussitôt l'heure de gloire du Néerlandais en s'infiltrant dans l'interview au bord du parquet. Avouant à demi-mots qu'il aurait apprécié ajouter une cerise sur le gâteau que fut sa belle performance.
« Je suis tellement jaloux de Rick », rigole-t-il. « Je suis content que l'on ait gagné, mais au fond, ça me fait mal. »
N'était-il pas déjà agacé par la prestation de son adversaire, Penny Hardaway, qui l'avait devancé au scoring avec 26 points ? Mais au contraire du Shaq qui a refait le match plusieurs fois dans sa tête suite à ce revers, Reggie Miller est vite passé à autre chose. Même sans shoot de la gagne.

Un monstre en Floride

Car oui, il fallait bien passer à autre chose. Même quand on a perdu. Oublier cet échec. Leur faire payer ce braquage. Shaquille O'Neal s'est donc remis en route. Qu'importe que Rik Smits ait grandement participé à ce que les fans des Pacers appellent depuis le « Memorial Day Miracle ». De toute façon, il aura lui aussi l'occasion de faire son entrée dans le cœur des fans. C'est certain. La suite permet au Shaq de se rattraper de la plus belle des façons. Dès le Game 5, il inscrit 35 points et 13 rebonds. Lors du Game 6, il remet ça avec 26 points. Enfin, il termine la série avec un nouveau double-double, à 25 points et 11 rebonds. Une dernière manche remportée haut la main par le Magic (105-81). Dix ans plus tard, devenu consultant, il rappelle à Reggie Miller que « le Hack-a-Shaq n'a pas fonctionné », l'invitant à arrêter d'utiliser la fameuse expression. Et ce même s'il n'a réussi que trois de ses onze tentatives sur la ligne lors du Game 7... Alors malgré ce match 4, à l'issue de cette longue et houleuse confrontation, Shaq a le sourire. Pour le moment.

Les larmes de Shaq O'Neal

Nous sommes le 14 juin 1995. Shaq rentre dans le couloir qui le mènera aux vestiaires. Sur son visage, il laisse échapper quelques larmes. Sur le parquet, les Rockets font la fête. Encore plus que les Pacers il y a quelques semaines. Normal : ils viennent de remporter un titre NBA. Le deuxième consécutif, et le tout en sweepant leur adversaire. Lui vient d'inscrire 25 points et de récupérer 11 rebonds. Un nouveau double-double, mais en vain. L'histoire se répète. Son bourreau a changé de nom. C'est encore un pivot, il s'appelle Hakim Olajuwon, et vient de briser son rêve si proche du but. Si Shaq a brillé, avec un Game 1 à 26 points, un Game 2 à 33 points, un Game 3 à 28 points et un Game 4 à 25 points, « The Dream », auteur de 31, 34, 31 puis 35 points, l'a dominé. Ce 14 juin, Shaquille O'Neal a pu aider ses coéquipiers jusqu'à la fin. Il ne s'est pas fait exclure. Mais il a passé la nuit à cogiter autant que le 29 mai. [html]https://www.youtube.com/watch?v=oLhIn3_v8CM[/html]