Qui sont ces Sixers qui battraient les Warriors selon Dr. J ?

Coincés entre les règnes surmédiatisés des Lakers de Magic et des Celtics de Larry, les Sixers de 83 ont sorti une saison inoubliable au moment même où la ligue explosait. Pourtant, personne ne semble s’en rappeler…

Qui sont ces Sixers qui battraient les Warriors selon Dr. J ?
Après Magic Johnson, c’est Julius Erving qui a affirmé que ses Philadelphia Sixers version 1983 taperaient les Golden State Warriors. Peu importe qu’il s’emballe ou pas, cette équipe, bâtie autour de l’immense Moses Malone, de Maurice Cheeks, Andrew Toney et donc de Dr. J est l’une des meilleures de l’histoire de la ligue. Et l’une des plus sous-estimées. L’occasion donc de ressortir le Good Ol’Dayz qu’on lui avait consacré.

FO-RMIDABLE

L’histoire de la montée en puissance de la NBA, tout le monde la connaît. Respectivement propulsés par Larry Bird et Magic Johnson, Boston et Los Angeles ont relancé l’intérêt pour le basket pro, sauvé la ligue de sa sale image, et se sont partagés tous les titres entre 1980 et 1988. Tous, sauf un, en 1983. Ce qui passe aujourd’hui pour une anecdote, voire une anomalie, est l’une des pires injustices du patrimoine historique comme il est consommé dans le sport pro. Ces Sixers remarquables, guidés par la classe de Julius Erving, le génie de Moses Malone, le flegme de Maurice Cheeks et l’instinct d’Andrew Toney, se sont fait voler leur place tant méritée au Panthéon du basket. Sans motif valable. Les faits parlent pour eux. Les Sixers du Docteur ont été l’une des équipes les plus dangereuses de la ligue pendant dix solides saisons. De leur défaite en finale 76 contre une armada de Portland galvanisée par l’impact inquantifiable de Bill Walton à leur élimination crève-cœur en demi-finale de conf’ en 86 (défaite d’un point au Game 7 contre Milwaukee), Julius Erving a porté sa franchise quatre fois en finale et trois fois en finale de conférence, pour une seule défaite au premier tour. « Même s’il n’avait que 26 ans quand il est arrivé à Philly, il avait les genoux d’un vieillard », raconte Darryl Dawkins dans son autobiographie, Chocolate Thunder. « Il avait à peu près autant de mouvement latéral qu’une bouche d’incendie. » Mais cela ne l’a jamais empêché de survoler les défenses adverses et d’imposer son leadership. Grâce à sa présence et une infusion perpétuelle de talent, les Sixers abordent la saison 1982-83 blindés et bien décidés à terrasser les Lakers, qu’ils ont été forcés de voir sortir le champagne en 80 et en 82. Renforcés par Moses Malone, MVP la saison précédente avec Houston, ils dominent la saison régulière (65-17) et arrivent en playoffs plus confiants que jamais. Connu pour être aussi bavard qu’un rhododendron, Malone se lance dans une semi-prévision mal interprétée et lâche son célèbre « Fo-Fo-Fo ». Les médias s’en saisissent : les Sixers pensent sweeper chaque série : Four-Four-Four (les premiers de chaque division étaient alors exemptés du premier tour). Un pronostic irréalisable qui n’en était probablement pas un, mais dont Philly va passer tout près. Les Knicks de Bernard King sont éjectés en 4 matches serrés. Les Bucks, coachés par l’apprenti sorcier Don Nelson, arrachent au désespoir le Game 4 avant de s’incliner 4-1. En finale, les Lakers, privés de James Worthy mais tout de même bourrés de talent, ne sont pas à la hauteur. Malone est royal au rebond (18 de moyenne sur la finale, contre seulement 7 à Abdul-Jabbar), Toney est en mode assassin, et c’est tout le collectif, parfaitement coaché par Billy Cunningham, qui s’offre enfin le scalp des Californiens. Champions NBA avec une seule défaite en playoffs (ce que seuls les Lakers de 2001 ont fait depuis) et le meilleur bilan en saison régulière depuis le 68-14 de Boston en 73, on pense alors que la place de ces Sixers dans la légende de la ligue est assurée. Et pourtant…

FO-REVER

David Stern s’est toujours bien gardé de trop mettre en avant la ABA et son influence sur la NBA. La ligue n’a jamais fait grand-chose de plus que de remercier son éphémère rivale pour la ligne à trois-points (que la ABA n’a pas inventée, mais popularisée) et le concours de dunks. Le niveau de jeu de l’association rebelle a toujours été passé sous silence et marginalisé. La ligne de pensée officielle ? Oui, la ABA avait dans ses rangs plusieurs excellents joueurs, mais elle les avait « volés » par des moyens détournés. Oui, les équipes (Nets, Pacers, Spurs et Nuggets) qui ont fait le grand saut n’ont pas eu de difficultés particulières à s’adapter au niveau NBA, mais aucune d’entre elles n’a gagné le titre avant que San Antonio ne finisse par profiter du lockout de 99, 23 ans après la fusion, sans le moindre vestige ABA dans ses rangs. Techniquement, effectivement, les Spurs sont la première (et la seule) équipe ABA à avoir gagné le titre NBA. Mais de fait, les Sixers de 83 les ont largement devancés. De leurs deux stars, Julius Erving et Moses Malone, à leur coach, Billy Cunningham, en passant par Bobby Jones, leur indispensable 6ème homme, les Sixers ont été sous l’influence ABA dès la fusion de 1976. Qu’ils gagnent le titre NBA 7 ans après avec une colonne vertébrale bleue-blanc-rouge est loin d’être un hasard ou un miracle. C’est tout simplement le testament implacable du véritable niveau de jeu d’une ligue chaotique, mais incroyablement talentueuse. « La différence entre les deux ligues est la suivante », explique Ron Grinker, ancien agent de joueurs, dans Loose Balls, témoignage référence de Terry Pluto sur la ABA. « Le standard d’excellence en NBA était les Celtics, qui étaient les maîtres des fondamentaux. (…) La ABA, c’était Julius Erving, ça brillait (…) La NBA était une symphonie ; la ABA, c’était du Jazz. Les gens ne savaient pas vraiment ce qu’ils venaient de faire même une fois qu’ils l’avaient fait. Ils sentaient quelque chose et ils l’essayaient. » « J’ai joué dans les deux ligues », rappelle Billy Cunningham, qui a même été All-Star dans les deux ligues, dans le même ouvrage. « Et je peux dire sans le moindre doute que la ABA a eu un impact énorme sur la NBA. Les joueurs et les coaches ABA ont donné au jeu un rythme plus rapide, ils poussaient la balle en contre-attaque, ils ont créé un style de basketball plus excitant, le genre de basket que l’on voit en NBA aujourd’hui. » Aux antipodes des histoires de cas sociaux qui ont alimenté l’imaginaire collectif sur la ABA, Erving est tellement un gentleman qu’il a fini par devenir un ambassadeur évident pour sa nouvelle ligue. Si Julius Erving n’est clairement plus le joueur fabuleux que tous ceux qui l’ont vu survoler la ABA décrivent avec une admiration sans borne, si son génie se fait parfois éclipser par son déclin physique, son impact sur ses coéquipiers et le respect qu’il impose n’ont pas changé. Lui qui ne ratait jamais un entraînement en ABA, une ligue qui ne survivait que par lui et dans laquelle, par conséquent, il aurait pu se permettre tous les abus, est resté un sportif d’exception, toujours classe, toujours discret, toujours impliqué une fois en NBA. Sur le terrain, ses inspirations se font de moins en moins nombreuses, mais son jeu a évolué. Moins dominateur que dans ses jeunes années, Dr. J sait quand porter son équipe et quand déléguer. Avec Moses Malone pour porter l’essentiel du fardeau, c’est forcément plus simple. Symbole du conflit NBA/ABA autour de la signature des jeunes joueurs, Malone est l’un des meilleurs rebondeurs offensifs à avoir jamais foulé un parquet et une véritable machine à l’intérieur. Trois fois MVP NBA, il est aussi le seul joueur de l’histoire à l’avoir été deux ans de suite avec deux équipes différentes. Il n’y a rien de flashy dans le jeu du grand Moses. Rien. Mais son activité au rebond est constante. Comme l’est l’investissement de Bobby Jones, increvable ailier spécialisé dans le colmatage de brèches et la défense rugueuse.
Peut-être manquait-il une once de polémique, un zest de scandale et d’arrogance à cette équipe-là pour qu’elle puisse vraiment passer pour autre chose qu’un vulgaire accident de parcours de Los Angeles et de Boston.
Que ce trio ABA ait pu autant complémenter des joueurs comme Maurice Cheeks et Andrew Toney, qui ont fait leurs débuts pros après la fusion, est une belle preuve que le mariage forcé entre les deux ligues s’est aussi traduit par une rencontre de styles, plutôt qu’une opposition. Avec son expérience de joueur dans les deux ligues, Cunningham était idéalement placé pour comprendre l’évolution du jeu. Il n’a d’ailleurs jamais coaché après son passage aux Sixers, conscient, peut-être, qu’il ne se retrouverait pas deux fois dans une position aussi favorable.

FO-RGOTTEN

Quatre équipes seulement ont perdu moins de matches dans une saison normale (sans compter le lockout de 99 et les saisons à moins de 82 matches des années 50) que les 18 (17 en saison et un en playoffs) des Sixers en 1982-83. Aucune d’entre elles ne comptait dans ses rangs Magic Johnson ou Larry Bird. Et aucune d’entre elles n’a joué pendant la période dorée de Magic et Larry. Philly n’a pas volé son titre. Ne l’a pas non plus eu par accident, par chance, par charité administrée par des Lakers et des Celtics se sentant coupables de tout rafler. Non, cette équipe-là a dominé sa saison comme tout juste une poignée d’autres l’ont fait. Pourtant, sa trace s’est effacée dès la présaison suivante. Pourquoi ? Si l’on entend régulièrement parler de la supériorité des Bulls de 96 et 97, des Lakers de 72 ou des Sixers de 67, est-ce finalement pour leur bilan sportif ou parce que Michael Jordan et Wilt Chamberlain étaient des personnalités fascinantes ? Julius Erving était peut-être trop bien élevé, Moses Malone trop muet, Andrew Toney trop concentré sur le basket, Maurice Cheeks trop calme et Billy Cunningham pas assez zen pour que leurs exploits résonnent aujourd’hui de toute leur force. Peut-être manquait-il une once de polémique, un zest de scandale et d’arrogance à cette équipe-là pour qu’elle puisse vraiment passer pour autre chose qu’un vulgaire accident de parcours de Los Angeles et de Boston. Peut-être que si Darryl Dawkins était resté plus longtemps ou si Charles Barkley était arrivé plus tôt, le débat déjà passionné autour de la meilleure équipe des années 80 ne se limiterait pas aux Celtics de 86 et aux Lakers de 87. Arrivé avant la fusion, Pete Maravich s’est toujours heurté au conservatisme des coaches NBA, comme s’il s’était trompé de ligue ; Magic aurait-il eu autant de liberté à imposer le sien si les deux cultures n’avaient pas fini par s’apprivoiser ? Y aurait-il eu un Michael Jordan sans un Julius Erving et un David Thompson ? Peut-être que si la NBA assumait réellement son héritage ABA, les Sixers de Doc et Moses seraient célébrés pour ce qu’ils étaient : le laboratoire à l’origine de la fusion réussie entre le basket posé et cérébral de la vieille NBA et celui, souvent improvisé, parfois hors de contrôle, mais toujours imprévisible, de la culottée ABA.