Kris Dunn : Du cauchemar au rêve, parcours d’un survivant

Kris Dunn : Du cauchemar au rêve, parcours d’un survivant

Kris Dunn, 30 ans aujourd'hui, a peut-être un peu de mal à peser en NBA, mais c'est déjà un miracle qu'il soit arrivé aussi loin.

Antoine PimmelPar Antoine Pimmel | Publié  | BasketSession.com / MAGAZINES / Portrait

Kris Dunn, 30 ans aujourd'hui, a trouvé un rôle dans la rotation du Utah Jazz. Au-delà de ce nouvel épisode de sa carrière de "grinder" voici le portrait que nous avions fait de lui dans le numéro 58 de REVERSE, alors qu'il venait tout juste d'être drafté. 

Kris Dunn est un joueur NBA, sous contrat avec les Portland Trail Blazers. Un rêve encore impossible à imaginer il y a quelques années, lorsqu’il luttait non pas pour sa carrière, mais pour sa survie.

Le curriculum vitae de Kris Dunn, l'un des jeunes joueurs les plus forts et les plus intrigants à débarquer en NBA la saison prochaine, a de quoi séduire les dirigeants des quatre coins des Etats-Unis. Plus de 16 points, 5 rebonds et 6 passes en moyenne lors de sa dernière année à l'université de Providence. Deux titres de meilleur joueur de la Big East auxquels s'ajoutent deux trophées de meilleur défenseur de sa conférence, une poignée d'autres distinctions individuelles mais aussi un diplôme en sciences sociales, l'aboutissement de son cursus complet à la faculté. Mais sa réussite n’est pas l’aspect le plus intéressant de son parcours.

Les erreurs et les difficultés rencontrées ont elles aussi leur place sur un CV. Elles témoignent de notre capacité à rebondir et à traverser les épreuves les plus dures. Dans le cas de Dunn, elles définissent la personnalité du basketteur mais aussi de l'homme qu'il est devenu. Car pour apprécier pleinement le succès de ce jeune homme, il faut savoir d’où il vient… ou plutôt d’où il « revient ».

Mamanoutai

« Je me suis levé un matin et j'ai demandé à mon frère où était maman. Elle n'était pas rentrée à la maison depuis trois ou quatre jours. Personne ne savait où elle était avant qu'un voisin ne nous prévienne qu'elle était en prison pour vol. »

Non, il ne s’agit pas une réplique tirée de « The Wire », mais bien d’un souvenir « d’enfance » de Kris, le plus jeune des deux fils de Pia James Dunn. La vie n'était pas facile pour la mère de famille et ses deux gamins, John Jr et Kristopher. Ils ont fui leur Connecticut natal lorsque Pia s'est séparée de John Seldon, prenant soudainement la direction d'Alexandria, en Virginie, sans avertir leur père.

« Je me souviens du jour où nous avons quitté le Connecticut. Kris devait avoir cinq ou six mois », raconte l'aîné. Les deux frangins partageaient leur chambre du petit deux pièces dont elle peinait à payer le loyer. « Il n'y avait parfois pas d'eau chaude », ajoute Kris.

Pour lui qui n'avait pas connu d'autre réalité, c'était presque normal. En revanche, les absences répétées de sa mère semaient le doute dans sa tête.

« Je ne comprenais pas pourquoi elle volait alors qu'elle avait un boulot. Puis c'est devenu une manie. »

Conduite sous l'influence de stupéfiants, fraude à la carte de crédit, vols... Pia multiplie les courts séjours en prison jusqu'au jour où ses deux enfants se sont retrouvés livrés à eux-mêmes. John Jr était de passage quelques jours chez leur père dans le Connecticut quand son petit frère l'a appelé.

« Il m'a dit que maman était partie, qu'elle était en prison. »

A respectivement 13 et 9 ans, les deux garçons ont dû lutter pour survivre. Seuls.

« Nous n'en avons parlé à personne parce que nous ne voulions pas être séparés. Je me levais à six heures pour préparer Kris pour l'école. »

C'est justement au sein de leur établissement scolaire qu'ils prenaient parfois des douches. Bien que vivant dans des conditions particulièrement instables, ils avaient décidé de ne jamais ouvrir la porte à quiconque venait frapper.

« On s'assurait que personne ne sache ce qui nous arrivait. On faisait tout pour survivre. Mon frère vendait ses fringues. Je jouais contre des gars au basket ou aux dés, au blackjack, tous ces trucs-là. Mais je misais de l'argent que je n'avais pas donc je faisais tout pour gagner. Si je perdais, je devais courir le plus vite possible. » Ils ont tenu comme ça pendant cinq mois ! « C'était l'enfer. On ne souriait jamais », ajoute Kris.

« Je joue avec beaucoup, beaucoup de colère. C'est pour ça que je joue aussi dur. » Kris Dunn

Cette période infernale est gravée à jamais pour celui qui a dû grandir vite et dire adieu à l'insouciance de l'enfance bien avant l'âge. Il en a d’ailleurs gardé des traces. Cette souffrance, il y a souvent repensé à chaque fois qu'il mettait les pieds sur un terrain.

« Je joue avec beaucoup de colère. Beaucoup, beaucoup de colère. C'est mon passé. Mon passé et mes difficultés. C'est pour ça que je joue aussi dur. J'ai créé cet animal en moi et maintenant je n’ai même plus besoin de repenser à mon passé et à mes galères. C’est inscrit en moi. »

Ses adversaires sont comme les épreuves qu'il a dû traverser. Il doit les surmonter pour atteindre ses objectifs. Cette fougue et cette détermination caractérisent le meneur le plus dominateur du circuit universitaire au cours des deux dernières saisons. Une fois sur un parquet, la douleur emmagasinée pendant son enfance se transforme en force et en motivation. Le basket l'a aidé à faire de ses sentiments les plus sombres une énergie pour avancer.

Au nom du père

Le sport a d'abord été un outil pour assurer sa survie lorsque sa mère était incarcérée. Il a ensuite été une échappatoire aux pièges du quotidien. Surtout, il a permis à Kris Dunn de créer des liens forts avec son père. Pendant des années, John Seldon ne savait même pas où vivaient ses deux garçons. C'est en épluchant les factures téléphoniques après la visite de son aîné, juste avant que Pia James ne se retrouve en prison pour une plus longue durée, qu'il a fini par retracer des appels en Virginie.

« Une fille a fini par me dire qu'ils habitaient dans la maison de l'une de leurs tantes. » Seldon n'a pas perdu de temps. Il a voulu récupérer ses fils immédiatement. « Il m'a appelé pour me dire qu'il savait où ils étaient. On a pris la voiture et on a roulé jusqu'en Virginie », se souvient Troy Peters, le parrain de Kris.

Kris DunnIls ont roulé de nuit, avalant d'une traite les cinq cents bornes séparant les deux états. Après s'être assuré auprès de la police qu'il était dans son bon droit et qu'il ne s'agissait pas d'un kidnapping, le paternel a fini par arriver à la porte de la baraque occupée par les fils Dunn. Le plus jeune des deux s'est retrouvé nez à nez avec les deux colosses que sont Peters et Seldon. John Jr a alors expliqué à son petit frère que c'était bien son père face à lui.

« Je ne le connaissais pas. Je me suis mis à pleurer parce que je n'arrivais pas à y croire. »

Cela a alors été le début d’une toute nouvelle vie. Un retour à New London, dans le Connecticut, pour emménager avec son père, sa belle-mère et ses deux demi-soeurs. De nouvelles règles à intégrer et une nouvelle période d'adaptation pour un gamin perturbé par les années de débrouille. Il peinait à canaliser son énergie, se battait à l'école et ne trouvait pas sa place au sein de cette famille pourtant aisée. Il ne manquait de rien, si ce n'est de repères. Mais la balle orange a une nouvelle fois été la solution à ses problèmes, désormais d'une autre nature.

« Mon père savait que le basket pourrait créer une connexion entre nous car il adorait le sport. »

« Ce jeune homme a vécu l'enfer. » Ed Cooley

John Sr s'est investi dans la passion de son fils. Il l'a encouragé avec ferveur et l'accompagnait parfois à l'autre bout de la région pour le voir jouer, quitte à faire des nuits blanches ou à dormir quelques heures dans la voiture. Une attention à laquelle l'adolescent renfermé a fini par s'attacher, s'ouvrant ainsi enfin à lui. Mais le basket lui a aussi offert l'opportunité de rencontrer une autre figure paternelle forte, qui a influé sur sa destinée. Il était encore un petit meneur lycéen surnommé « Peanut » lorsqu'Ed Cooley a flashé sur lui. Les scouts n'avaient d'yeux que pour Andre Drummond, son coéquipier en AAU, mais le coach nommé plus tard à la tête de l'équipe universitaire de Providence a été bluffé par l'énergie déployée par Kris Dunn, tout comme il a été touché par son histoire troublante. « Ce jeune homme a vécu l'enfer. » Cooley sait de quoi il parle. Il a lui même grandi sans son père, entouré de ses sept frères et sœurs. Quatre d'entre eux dormaient dans le même lit. Il a connu les jours sans manger et les déboires classiques des jeunes d'un quartier défavorisé. Le feeling est tout de suite passé entre le lycéen talentueux et son futur mentor.

« Le coach a grandi en étant à la rue, il ne savait pas où était son père. Il m'a vu comme quelqu'un qui avait traversé les mêmes épreuves que lui. Il avait un message clair : peu importe l'adversité que vous affrontez, vous pouvez la vaincre. Son histoire m'a marqué parce que j'ai connu tout ça. Je voulais être entouré de quelqu'un comme ça. Quelqu'un qui comprend pourquoi vous êtes parfois frustré mentalement. Quelqu'un qui pouvait me montrer comment m'en sortir, m'apprendre à ne pas être tout le temps en colère et à ne pas penser toujours au passé. J'avais besoin de quelqu'un qui allait me donner envie de continuer à me battre et à ne jamais oublier ma douleur et mes galères. Je savais qu'il serait cette personne. »

Convoité par quelques programmes universitaires prestigieux, Kris a préféré rejoindre Ed Cooley à Providence. C'est ici qu'il a appris à faire du basket son futur métier.

Le savoir est une arme

Mais même à l'abri de la misère financière et affective, et bien que lancé vers une carrière de basketteur professionnel, l'adversité n'a cessé de se mettre en travers de sa route. C'est à 19 ans qu'il a reçu un SMS de son frère lui apprenant la mort de leur mère, avec qui ils espéraient encore recréer des liens.

« Je n'ai pas osé l'appeler parce que je ne voulais pas entendre la souffrance dans sa voix, alors j'ai préféré lui envoyer un message pour lui dire que notre mère était décédée », confie John Jr.

« Il pouvait faire beau dehors, mais je ne voyais que des nuages. C'était sombre. Je n'avais plus de raison de vivre. » Kris Dunn

La nouvelle était trop dure à encaisser. Abattu, Kris n'est pas sorti de sa chambre pendant les trois jours qui ont suivi.

« Vous voyez la vie de façon complètement différente. Il pouvait faire beau dehors, mais je ne voyais que des nuages. C'était sombre. Je n'avais plus de raison de vivre. »

Il a perdu un être cher mais il s’est en plus retrouvé privé de sa passion. Blessé à l'épaule et opéré pour la deuxième année consécutive, il s'est mis à déprimer. Il est resté allongé sur le canapé sans bouger pendant trois semaines, envahi par les doutes et enfermé dans ses pensées sombres.

« J'étais à nouveau faible. J'ai perdu du poids après l'opération. Je devais réapprendre à dribbler, à shooter et je devais renforcer mon corps. Encore une fois. » Et pourtant, il a su rebondir. Encore une fois. Il a su trouver des sources de motivation auprès des siens quand il était proche de se laisser abattre. « Je ne fais pas ça juste pour moi. Je le fais pour toute la famille. » Pour sa mère, qu'il « aimera quoi qu'il arrive ».

Kris DunnPour son père, qui lui a « apporté une discipline » quand il ne comprenait même pas la définition du terme. Pour son frère, qui n'a pas eu une enfance comme les autres et qui devait veiller sur lui. Pour sa nièce. Pour sa belle-mère et ses demi-soeurs. Dunn est retourné à Providence encore plus fort. Libéré de ses pépins physiques, il a enfin pu exploiter son potentiel lors de sa troisième année sous la tunique des Friars.

« La première fois qu'on l'a vu, on s'est dit que c'était un athlète incroyable qui avait beaucoup de chemin à parcourir. On l'a vu grandir et c'est génial », note Andre LaFleur, assistant coach à l'université.

Parfois comparé à John Wall, il a commencé à attirer les regards des scouts. Sa capacité à prendre le dessus sur son adversaire direct des deux côtés du parquet, son esprit de compétiteur mais surtout son leadership et sa maturité sont autant d'atouts qui ont séduit les différentes franchises NBA. Un avenir dans la grande ligue lui était désormais promis. Son père et son coach l'ont encouragé à rejoindre le monde professionnel puisque les scouts lui garantissaient d'être choisi au premier tour de la draft. Mais lui voyait les choses sous un autre angle. Il a refusé.

« Il m'a dit qu'il n'était pas prêt pour la NBA », se souvient Ed Cooley. Ses aptitudes physiques étaient déjà en phase avec les standards exigeants du championnat le plus relevé du monde, mais il ne se sentait pas au point techniquement.

« Je ne veux pas juste être drafté. Je veux être un basketteur professionnel et je n'y suis pas encore. J'ai vu plein de joueurs se perdre en NBA. Une année de plus à l'université ne fait de mal à personne. C'est une occasion d'en apprendre plus sur le jeu et sur soi-même », explique l'intéressé.

Il a voulu renforcer ses points faibles. Il a notamment travaillé son tir extérieur – 37% à trois-points lors de sa dernière saison en NCAA – afin d'être sûr d'avoir un impact au sein de cette NBA de plus en plus portée sur le tir longue distance. Des choix considérés comme payants maintenant que sa cote a grimpé.

Mais au-delà de ses progrès dans le jeu, c'est surtout sa maturité qui étonne. Tourner le dos à des millions de dollars garantis pour rester un an de plus à la fac est un choix peu commun à une époque où les jeunes joueurs, surtout ceux qui ont traversé des épreuves difficiles, cherchent à signer leur premier contrat pro le plus tôt possible. Il ne voulait pas quitter Providence sans décrocher son diplôme.

« Je voulais être un modèle pour mes deux petites sœurs. Elles sont au lycée et je voulais leur montrer à quel point l'éducation est importante. »

Il a compris qu'il ne jouait pas seulement pour la passion ou pour l'argent. Il court après quelque chose de plus grand que lui-même. Il sait que son impact peut dépasser le cadre du sport et que son histoire est une source d'inspiration, d'abord pour ses proches mais aussi pour tous ceux qui, comme lui, ont traversé des moments de doutes et doivent faire face à l'adversité, quelle que soit sa nature.

« J'ai toujours voulu être enseignant ou conseiller d'orientation. J'adore motiver les jeunes lorsqu'ils ne se sentent pas capables de vaincre leurs problèmes. » Le basket a eu des effets thérapeutiques pour lui mais aussi pour ceux qui ont suivi son parcours. « Le voir jouer me fait presque pleurer. C'est ce que j'aime le plus », balance John Jr, ému aux larmes devant les caméras d'ESPN lors d'un reportage consacré à son frangin.

Car c'est dans le sport que Kris Dunn a trouvé le moyen d'envoyer un message clair qui fait presque office de slogan pour celui qui a passé une majeure partie de sa vie à encaisser les coups et à soigner ses blessures : « les rêves peuvent devenir réalité ».

Kris Dunn

Kristofer Michael Dunn
Chicago Bulls
Meneur/22 ans/1,93 m
Draft : sélectionné en 5ème position par les Wolves en 2016
Equipes : Providence Friars, Minnesota Timberwolves, Chicago Bulls
Palmarès : Deux fois meilleur joueur de la Big East (2015 et 2016), deux fois meilleurs défenseur de la Big East (2015 et 2016)
Stats 2017-2018 : 13,7 pts, 4,8 rbds, 6,0 pds et 1,9 steal en 29 min

Cet article sur Kris Dunn est issu du numéro 58 de REVERSE

 

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