Patty Mills va-t-il pousser Tony Parker vers la sortie ?

De plus en plus tranchant, Patty Mills a les atouts pour gratter le temps de jeu de la légende Tony Parker. Peut-être même pour prendre sa place.

Patty Mills va-t-il pousser Tony Parker vers la sortie ?
Mener de huit points contre les Golden State Warriors, c’est stressant. Cela revient à courir après le score, aussi paradoxal, improbable, insensé et étrange ce constat puisse-t-il paraître. Une ou deux flèches décochées à neuf mètres par Stephen Curry, un ou deux exploits individuels de Kevin Durant, une ou deux balles perdues provoquées par Draymond Green et Klay Thompson et, hop, vous voilà à la merci de l’une des équipes les plus redoutables (sur le papier) de l’histoire du basket. Non, mener de huit points, contre ces Warriors ? Tout sauf un matelas confortable. Surtout quand ils viennent de coller trois paniers de suite, réveillant du même coup les bouillants supporteurs de l’Oracle Arena. Les San Antonio Spurs étaient donc en difficulté, bien qu’ils comptaient huit points d’avance, dans le deuxième quart du premier choc de la saison entre les Texans et les derniers finalistes NBA. Mener de huit points, contre ces Warriors, les champions 2015, vainqueurs de 73 matches puis finalistes en 2016 ? Gregg Popovich sentait le roussi. Son équipe était devant mais c’est elle qui souffrait. Elle qui devait s’adapter. S’ajuster. C’est elle qui subissait. Alors le tacticien le plus brillant de la décennie a renvoyé sur le banc deux de ses futurs Hall Of Famers, Tony Parker et Pau Gasol, dépassés, trop lents, pour lancer les plus énergiques Jonathon Simmons et Patty Mills. 50-42 pour San Antonio (soit donc 50-51 pour Golden State une fois l’inflation prise en compte). A peine arrivé sur le parquet, le meneur australien s’est coltiné Curry en défense tout terrain. Il ne l’a pas lâché. Le marquage à la culotte vrai. Le double MVP n’a plus mis un panier avant de rentrer au vestiaire. Il a changé de défenseur sur les écrans mais KD, trente centimètres de plus, n’a su le dominer au poste bas. Mills a déboulé comme un forcené en contre-attaque pour conclure près du cercle. A peine quelques secondes plus tard, il faisait de même sur la dernière possession pour offrir à Simmons le shoot à la sirène. 64-46 pour San Antonio. Le +8 est devenu +18. http://www.dailymotion.com/video/x503hnf Parker a joué 26 minutes ce soir-là. Le temps d’accumuler 9 points (à 4/9), 4 passes et 2 balles perdues avec un différentiel de -12. Mills a passé moins de temps sur le parquet. 17 minutes, pour 11 points (4/9 aux tirs), 5 passes sans aucune perte de balle et le meilleur +/- du soir avec +35. Les deux meneurs des Spurs faisaient l’objet de l’une de nos seize prédictions d’avant-saison : « Patty Mills ne sera pas titulaire mais il jouera plus que Tony Parker. » Le constat après trois semaines ? Tony Parker : 24,6 minutes, 5,3 points à 26% aux tirs, 50% à trois-points, 3,3 passes, 0,3 steal et 1,7 balle perdue (trois matches joués). Patty Mills : 22,5 minutes, 13,3 points à 51% aux tirs, 59% à trois-points, 2,8 passes, 1 steal et 0,5 balle perdue (quatre matches joués). Léger avantage à TP pour le temps de jeu. Pour le reste… c’est à se demander à quel moment son concurrent direct va le supplanter dans la rotation. Jeudi 20 octobre. La presse française a rendez-vous avec Boris Diaw pour une conférence téléphonique organisée par l’agence de communication de la NBA. L’occasion pour le vétéran du Utah Jazz de livrer ses premières impressions sur sa nouvelle équipe. Pour nous, c’était surtout une opportunité de le sonder sur l’un de ses anciens coéquipiers. [superquote pos="d"]"Il pourrait déjà être titulaire dans d’autres équipes. Il a les qualités pour. Après, aux Spurs, y’a Tony..." Boris Diaw[/superquote]Patty Mills a été époustouflant pendant les Jeux Olympiques de Rio. Un tournoi international qu’il a bouclé avec 21,3 points par match (deuxième meilleur marqueur de la compétition derrière Bojan Bogdanovic) tout en menant l’Australie à un match pour une médaille de Bronze finalement perdu contre l’Espagne malgré les 30 pions de son go-to-guy. Tony Parker a été un peu plus discret avec 13,2 points et 3,8 passes pour ses dernières sorties sous le maillot de l’équipe de France. C’est à ce moment que l’idée a fait son chemin dans nos crânes. Et si c’était l’heure de Mills était venue à San Antonio ?
« Quand on voit ce qu’il peut faire au niveau international – il a toujours été très bon en compétition internationale et il l’a encore été aux JO avec ce jeu très offensif – on se dit qu’il pourrait faire encore plus », nous explique Diaw. « Mais pour ça, il faut qu’il ait des espaces et de la liberté de création. Le jeu offensif des Spurs est très structuré donc pour l’instant il doit être patient. Il pourrait déjà être titulaire dans d’autres équipes. Il a les qualités pour. Après, aux Spurs, y’a Tony. »
Aux Spurs, y’a Tony… et alors ? Une fois la trentaine passée, les joueurs prennent de l’âge année après année. Tant qu’ils n’ont pas escaladé le pique des trente balais, ils engrangent de l’expérience. Traduction : à 34 piges, Parker est de plus en plus vieux alors qu’à 28 ans Mills est dans la force de l’âge. Il dispute sa huitième saison NBA. Il a enfin traversé l’été sans blessure. Il est au meilleur de sa forme et maîtrise suffisamment les exigences tactiques du championnat le plus relevé du monde pour enchaîner les rencontres soir après soir. Les plus belles années de TP sont derrière loin tandis que son coéquipier traverse la meilleure période de sa carrière. Le temps de jeu accordé à Parker n’a cessé de diminuer depuis 2012 alors que celui de son concurrent a, et c’est logique, suivi la tendance inverse sur la même période (à l’exception d’une saison tronquée par une blessure).

Les Spurs sont plus forts avec Patty Mills sur le parquet

Les deux courbes devraient se croiser cette saison. Les éperons ont gagné leurs quatre premiers matches et ils n’ont pour l’instant pas à se soucier particulièrement de la hiérarchie à la mène. Mais une statistique interpelle : Malgré les excellents résultats collectifs, le cinq majeur de San Antonio – Parker entouré de Kyle Anderson, LaMarcus Aldridge, Kawhi Leonard et Pau Gasol – a un net rating absolument catastrophique. Les Texans encaissent 31 points de plus (!!!) que leurs adversaires sur 100 possessions avec leurs titulaires sur le parquet depuis le début de la saison. C’est l’une des cinq plus mauvaises lineups NBA parmi les groupes ayant passés au moins dix minutes ensemble sur le terrain. [superquote pos="d"]La différence d'efficacité du cinq avec Mills/Parker est stupéfiante dans les stats [/superquote]Maintenant, remplacez Parker par Mills. Sur un échantillon certes plus petit – 15 minutes contre 28 – le cinq majeur des Spurs avec l’Australien à la mène, avec les mêmes quatre autres joueurs, a inscrit 132 points sur 100 possessions pour 82 encaissés, soit un net rating, positif cette fois, de +50 !!! Un must. A l’inverse, c’est là l’une des cinq meilleures lineups NBA, toujours selon les mêmes critères. Comment ne pas y voir un signe ? Mills a régulièrement un différentiel bien supérieur à celui de Parker mais celui-ci s’explique souvent par la domination du banc des Spurs, plus intéressant que la plupart des autres bancs NBA (un peu moins cette saison) et donc par la plus faible adversité rencontrée. Mais pas dans cet exemple. Dans cet exemple, seul un joueur change et le net rating fait un bon de plus de 80 points sur 100 possessions. Les données sont encore trop légères après si peu de match pour en tirer une conclusion définitive. Mais ce constat était déjà vrai l’an passé : San Antonio était plus efficace quand Mills accompagnait les quatre autres starters habituels. [caption id="attachment_335372" align="alignleft" width="318"] Patty Mills a encore démontré avec l'Australie cet été qu'il est un attaquant hors pair.[/caption] L’évolution de la NBA avec du jeu très rapide et très offensif favorisent le back-up des Spurs. Il est plus maintenant plus vif que Parker, notamment balle en main. C’est aussi un bien meilleur shooteur. Il met une pression constante sur la défense, avec ou sans le ballon. A l’inverse, TP n’est même pas surveillé quand il est placé derrière la ligne et sa perte d’explosivité (logique) l’empêche de faire la différence aussi souvent que par le passé.
« Il a plus de 30 ans et c’est un athlète exceptionnel avec son premier pas », nous confiait Jacques Vandescure, ancien scout de la franchise texane devenu consultant pour Canal + Afrique. « Mais Il commence à avoir une certaine fatigue physique. »
Jouer avec Mills plutôt que Parker permet par exemple à Leonard de jouer les uns-contre-uns en isolation ou les pick-and-roll sans qu’un défenseur (habituellement attribué au Français) supplémentaire n’hésite pas à lâcher son vis-à-vis pour venir stopper la pénétration du double DPOY. Si Mills est laissé seul par son opposant direct, il n’a plus qu’à faire mouche derrière l’arc et il a prouvé depuis le début de sa carrière qu’il était un redoutable shooteur extérieur (39% en huit saisons). Il met aussi beaucoup plus de rythme en jouant constamment à 100%. Qu’il ait ou non la gonfle, il n’arrête pas de bouger, de courir, de mobiliser l’attention de son défenseur, un peu comme le faisait Parker dans ses plus belles années. Il a appris au côté du meneur All-Star et il reproduit le même schéma tout en apportant sa patte.
[superquote pos="d"]"Le jeu de Parker n'est pas adapté à celui d'un joueur de banc." Jacques Vandescure, ancien consultant en scouting des Spurs. [/superquote]« Il a une très grande liberté offensive qui est toujours surprenante. Il est capable de shooter un mètre derrière la ligne à trois-points mais aussi de pénétrer », poursuit le scout.
Sa vivacité l’aide à chopper des ballons (1 steal en à peine 22 minutes) alors, qu’à ce stade de sa carrière, Parker peut difficilement tenir le choc sur de longues séquences défensives. Alors pourquoi TP est-il toujours dans le cinq ? C’est d’abord une question de profil.
« Patty Mills arrive toujours à donner cette explosion offensive en sortant du banc. Je pense que ça va être difficile de bouger Tony Parker dans un rôle de sixième homme car son jeu n’est pas adapté à celui d’un joueur de banc », estime pour sa part Jacques Vandescure.

La ligue change de style, San Antonio aussi

[caption id="attachment_305150" align="alignleft" width="318"] Avant de s'affirmer comme l'un des meilleurs meneurs NBA, Parker alimentait Tim Duncan en ballon. C'est un excellent gestionnaire.[/caption] Les deux meneurs ont quelques similitudes mais ils n’ont pas les mêmes points forts. A 34 ans, Parker a repris le rôle qu’il tenait au début de sa carrière. Il remonte la balle, attaque le cercle quand il en a l’occasion mais a pour principale mission d’alimenter les scoreurs de l’équipe – Leonard, Aldridge – en ballons comme il gavait Tim Duncan et David Robinson à son arrivée dans la grande ligue. Une évolution logique.
« Je pense que Tony Parker reste le meilleur distributeur des Spurs en raison de ce qu’il apporte sur le terrain. D’abord son expérience, ensuite sa capacité à toujours attaquer le centre de la raquette, d’attirer les défenses et de pouvoir distribuer le ballon à ses coéquipiers qui sont des shooteurs, les Kawhi Leonard, les Danny Green. Il y a maintenant Pau Gasol et LaMarcus Aldridge. Le jeu de Parker est plus important dans la création pour les autres », continue Vandescure. « Mills est quelqu’un qui crée surtout pour lui-même alors que Parker est capable de marquer avec de forts pourcentages dans la raquette et de rendre les autres meilleurs. »
[superquote pos="d"]"Parker est capable de rendre les autres meilleurs."[/superquote]C’était particulièrement vrai l’an passé. TP avait encore souvent la gonfle entre les mains au départ de la plupart des actions. Il appelait les systèmes, dribblait d’un coin à l’autre du parquet et prenait des écrans avant de servir Leonard sur une coupe ou au poste bas, Aldridge en pick-and-pop ou encore Green dans le corner. Il alternait le jeu. Il remplissait à merveille son job de distributeur. Et les Spurs ont été éliminés au second tour des playoffs en manquant terriblement d’une troisième option défensive capable de débrider les matches contre un Thunder plus physique et plus rapide. Patty Mills est cette troisième option. Il a déjà planté deux fois 18 points cette saison et il est le troisième meilleur marqueur de San Antonio derrière les deux All-Stars. Il n’est toujours pas et ne sera sans doute jamais un distributeur. Mais les Spurs perdent moins la balle et jouent beaucoup plus vite, tout en étant plus efficace aux shoots, quand il prend la place de son habituel leader. [caption id="attachment_343273" align="alignleft" width="318"] Kawhi Leonard a de plus en plus de responsabilités balle en main.[/caption] Surtout, les éperons n’ont plus le même style de basket. Les vidéos YouTube, les fameuses « coach porn », ces compilations de passes lumineuses, d’extra-passes et d’extra-extra-passes des Spurs sont désormais dépassés. La gonfle circule moins dans le Texas. C’est un fait. Gregg Popovich s’est adapté à son effectif et, toujours après quatre petits matches et c’est un échantillon faible rappelons-le, les joueurs de San Antonio font moins de passes décisives et se reposent davantage sur des actions individuelles (picks-and-roll dans l’axe, isolations) que par le passé. [superquote pos="d"]Isolations, picks-and-roll... les Spurs ne sont plus adeptes du "coach porn"[/superquote]Cette évolution est simplement due à la montée en puissance de plus en plus marquante de leur meilleur joueur Kawhi Leonard. Le MVP des finales 2014 a presque un rôle de meneur de jeu. Il ne remonte pas la balle mais il dicte, pas par la voix mais en héritant de la gonfle, le tempo. Parker le sert en premier et Leonard décide de la façon dont il veut achever son adversaire – il excelle déjà dans plusieurs catégories offensives. Il est un meilleur porteur de balle que ses deux point guards sur pick-and-roll. Les statistiques avancées fournies par NBA.COM démontre en tout cas qu’il est plus efficace. Il est désormais le joueur le plus utilisé par son équipe en attaque. TP, lui, a de moins en moins de possession à exploiter. Même son rôle de gestionnaire est diminué. Avec Gasol capable de créer depuis le poste haut, Leonard qui joue pour lui – mais aussi pour les autres, c’est d’ailleurs lui le meilleur passeur de l’équipe avec plus de 4 caviars par match – et Anderson, un autre playmaker, dans le cinq en attendant le retour de Danny Green, les Spurs n’ont presque plus besoin d’un joueur au profil du Français. D’où le fait qu’ils sont bien meilleurs avec Patty Mills, un élément qui leur apporte de l’énergie, du spacing et du scoring, des qualités plus importantes pour l’effectif à cet instant T.

La mène, le prochain problème des Spurs

[superquote pos="d"]"Parker - Mills, l'un des plus mauvais duos défensifs de la NBA à la mène."[/superquote]Ce n’est pas une charge envers Tony Parker. Il a gagné quatre titres de champion NBA. Il a été All-Star. Il a été MVP des finales. Il sera un Hall Of Famer. Il est simplement rattrapé par le poids des années, comme bien d’autres avant lui. Peut-être simplement n’avions-nous pas, pour la plupart, anticiper le déclin aussi rapide de l’une des icônes du basket tricolore. Peut-être par chauvinisme pour certains. La saison est encore longue et il a le temps pour se mettre dans le rythme. Mais il n’empêche que ce micmac à la mène aura sans doute des répercussions rapides sur l’avenir des Texans.
« Parker – Mills, c’est l’un des plus mauvais duos défensifs à la mène en NBA », rappelle Vandescure. « Il va falloir trouver un autre meneur. »
[caption id="attachment_159989" align="alignleft" width="318"] Et si Patty Mills terminait les matches ?[/caption] C’est peut-être, sans doute même, pour ça que les Spurs ont drafté le jeune Dejounte Murray, un meneur athlétique au potentiel brut qui ne rentre a priori pas dans le moule du beau jeu texan même si cette expression n’a plus de sens maintenant que les systèmes des Spurs évoluent de plus en plus vers du pick-and-roll. Les éperons ont toujours su s’adapter à leur époque. Mills sera free agent à l’issue de la saison et il est possible qu’il tente sa chance dans une autre franchise, une qui saura lui filer une place de titulaire pour de bon. Mais en attendant d’éventuellement gratter un statut plus gratifiant, il y a des chances que ce soit lui, et non Tony Parker, qui finisse les rencontres les plus chaudes pendant la saison. D’ailleurs, le cinq qui compte, après tout, ce n’est pas celui qui commence mais bien celui qui conclut les matches.