Chronique londonienne – NBA London Game 2018

Comme le veut la tradition, la NBA a investi la capitale anglaise, pour un Celtics-Sixers renversant. Mais les coulisses étaient au moins aussi intéressantes que le match.

Chronique londonienne – NBA London Game 2018
Mardi matin, j’embarque très tôt dans l’Eurostar, direction Londres et cette superbe affiche Celtics - Sixers. Pourquoi arriver mardi, alors que le game n’est que jeudi soir ? Parce que la presse a accès, mardi et mercredi, à l’entraînement des équipes et qu’un temps est consacré aux interviews, mais j’y reviendrai plus tard. Londres, donc. 1 heure de moins à l’horloge, et 10 bons degrés de moins sur le thermomètre aussi. Ces deux « journées médias » sont organisées au City Sports building, un complexe de salle de sport, de muscu... Et situé dans le quartier de Barbican, dans le centre de Londres. Un quartier entre deux époques : en marchant, on repère des gratte-ciel transparents, qui rappellent la City, mais aussi de beaux bâtiments rouge foncés, de l’époque Victorienne. Me croyant malin, j’arrive une heure en avance, bravant le froid - presque - polaire. Gros stop des réceptionnistes du gymnase, qui malgré le frima, me laisseront attendre une heure dehors. Ça commence bien. Après un contrôle de sécurité très poussé, pendant lequel j’ai craint pour mes sandwichs, très proches de se faire gober par les chiens de la police, on accède enfin au graal, à savoir le parquet, sur lequel s’entraînent depuis 30 minutes déjà des Celtics sereins, qui déconnent et font des concours de shoots. Je suis nez-à-nez avec Kyrie Irving, qui enfile les perles à 3-points avec une facilité déconcertante. Si les joueurs sont concentrés, l’ambiance est quand même bon enfant : un membre du staff des Celtics me confirmera que les joueurs adorent ce genre de road trip, ça lie un groupe, ça crée des souvenirs. La fatigue n’est pas forcément un problème, puisque de Boston à LA c’est à peu près le même temps de vol, me dit-il. Fin de l’entraînement. S’improvise alors un ballet incroyable : Jaylen Brown et Terry Rozier se lancent dans un concours de dunks, sous les yeux ébahis des journalistes qui dégainent leurs smartphones façon cowboy. Brown, on le sait, est un athlète exceptionnel, et un rider de sa part, c’est un peu un double-pas inversé pour le commun des mortels. Mais quand Rozier sort un 360 à une main, dans le plus grand des calmes, c’est plus impressionnant : le meneur ne mesure qu’1m85… Les 30 mn allouées aux médias du monde entier sont réglées à la minute près, comme nous l’indique le chrono mural. Impossible d’accéder à Kyrie : il ne fait que des « group interviews », et un attaché de presse le transporte, tel un robot, de média en média. Les partenaires ont la priorité, chienne de vie. Je tente alors ma chance avec des joueurs abandonnés par la presse, qui passeraient presque pour des inconnus à voir la cohorte de journalistes autour de Kyrie Irving et Al Horford. Côté français, il y a bien sûr beIN, qui retransmet le match, mais aussi les deux compères de l'Équipe, ainsi que First Team, qui tentent de faire jouer de la guitare à Jaylen Brown. Tiens, Aron Baynes et son accent australien à couper au couteau. Plutôt poli et pro, il répond à mes questions, comme Guerschon Yabusele. Terry Rozier ensuite, qui se repose après tous ces Tomars aériens. Il enfile sa paire de Nike Presto version Brésil, jaune et verte, quand je viens l’aborder. Très sympa aussi, il se plie à l’exercice de l’interview claquettes-chaussettes. Jayson Tatum, quant à lui, n’aime pas la presse, c’est de notoriété publique. Il traîne sa peine de caméra en caméra, « life’s a bitch », croit-on lire dans son regard. Le buzzer retentit. Fin de la fenêtre médiatique pour les C’s. La salle se vide, et je décide de rester : en bon rookie du NBA London Game, je me dis qu’il y aura peut-être quelque chose d’intéressant pendant le « NBA clinic », un atelier organisé par la NBA pour les jeunes Britanniques fans de basket, et qui fait collaborer plusieurs « organisations ». Aujourd’hui les Sixers et le club de foot du Sud de Londres, Crystal Palace. Les joueurs ne sont pas obligés d’y participer, mais à voir les sourires et à entendre l’excitation de tous ces jeunes joueurs, on comprend pourquoi certains se sont pointés : Robert Covington, TJ McConnell, Trevor Booker et Dario Saric se prêtent au jeu, bien décidés à donner des astuces aux minots. Soudain, entre sur le parquet un joueur de Crystal Palace. Montre bling au poignet, grand sourire et check individualisé pour chacun de ses coéquipiers, Mamadou Sakho is here. S’ensuit une discussion à bâtons rompus avec le héros de France-Ukraine. Il m’explique adorer sa vie à Londres, que sa famille se sent bien ici. Quand je lui demande s’il ne rêve pas d’un club plus huppé, il me répond simplement qu’il s’estime heureux d’être où il est, que chaque jour, il se souvient de son enfance galère. Et qu’il aurait pu rester à Liverpool, mais qu’il voulait jouer, qu’il adorait son club. Trois jours plus tard, je suis allé me faire Crystal Palace - Burnley à Selhurst Park en compagnie d’un autochtone, ultra du club. J’ai compris que l’ambiance d’un club comme celui-là, authentique, passionné et familial, était addictive. Comme journaliste, c’est rafraîchissant de tomber sur des personnalités comme celle-là. Dans le sport, encore plus dans le football, les divas sont légion. Je découvre quelqu’un d’adorable, de très ouvert et mature. Tant bien que mal, le capitaine des Eagles essaye d’appliquer les conseils de Robert Covington au double-pas, mais il est quand même plus à l’aise sur une pelouse et s’en amuse. Je ne regrette vraiment pas d’être l’un des seuls journalistes à être resté pour ce « clinic ». L’accès aux joueurs est plus facile, les attachés de presse moins pressants. Le lendemain, pour l’entraînement des Sixers, l’ambiance est toute autre : on est à J-1 du match, et il y a au moins 2 fois plus de journalistes que mardi. La hype autour du « process » et de Joel Embiid et Ben Simmons est palpable. Généralement pendant ce genre d’évènements, les attachés de presse sont pressants, voire oppressants et épient le moindre geste des journalistes, la moindre question qui n’était pas prévue. Mais pendant ces 3 jours, à ma grande surprise, ce n’est pas le cas. Tom Marchesi et Catherine Shefford, de la communication NBA Europe, sont à l’écoute, et tentent de concilier demandes des journalistes et disponibilité des joueurs. Ça peut paraître logique, mais je vous promets que c’est rarement le cas. On a donc pu avoir 5 minutes en français avec Joel Embiid, blagueur et serein malgré la frénésie qui l’entoure. Côté Sixers, la découverte s’appelle Richaun Holmes. Le jeune pivot aux dread courtes est presque étonné que je m’intéresse à lui. Lorsque je lui demande pourquoi il a ce regard plein de haine lorsqu’il dunke, il me répond en riant que c’est sa signature, c’est juste pour se démarquer. Habile. Le vent de la journée s’appelle Markelle Fultz. Le plus beau shoot de la NBA ne daigne même pas me regarder quand je l’approche, et me dit « qu’il n’a pas le droit de répondre à la presse ». Ok, Jean-Michel arrogant. Au concours de politesse, Amir Johnson n’est pas mal non plus : il joue au poker en ligne sur son portable pendant toute mon interview. Pas un regard, un ton monocorde : j’écourte la purge. Fin de la deuxième journée, demain, c’est game time. Le jour J, départ pour l’O2. Impressionnant complexe qui comprend des restaurants, des cinémas ou encore une salle de bowling, l’O2 n’a pas grand-chose à envier à une salle NBA. Petit à petit, l’arène se remplit, et le parterre de « resta » débarque. Un melting pot assez drôle, puisqu’on aperçoit Sir Alex Ferguson, Robert Pirès accompagné d’Olivier Giroud, ou encore Thibaut Courtois, le portier de Chelsea, accompagné de sa callipyge girlfriend, en doudoune multicolore. Juste avant le game, dans les coursives, on croise l’orchestre philharmonique de Londres, dont les musiciens et musiciennes sont tous chaussés des dernières Kyrie 4. « Elles sont plus confortables que nos chaussures habituelles », me confie, rieur, un joueur de trombone. Tiens, je tombe sur le rappeur Big Shaq, l’interprète du viral « Man’s not hot », suivi d’un entourage impressionnant et hyper sapé. Apparemment, « Man can be hot », le rappeur est en pull, un mythe s’effondre… Croisé aussi, toujours aussi fan de NBA, le talentueux fondateur de Pigalle Stéphane Ashpool, presque en front court. « On est pas si mal là, non ? », me lance-t-il, taquin. Mais LA rencontre aura lieu quelques minutes plus tard. Une carcasse de plus de 2,20 m avance à un rythme de pachyderme, derrière le panier des Celtics. Arvydas Sabonis vient d’arriver, impossible de le louper. Je tente une approche en lituanien : « labas vakaras, kaip sekasi ? » (Bonsoir, comment ça va ?). Il me regarde. Je le regarde. Il me regarde, intrigué, et la conversation s’engage. Sabonis est une icône en Lituanie, et est par définition très difficile à approcher dans son pays natal. Mais à Londres, et même à l’O2, il n’est « qu’un géant ». Il rit, me raconte qu’il aime beaucoup Londres, et qu’il est plutôt pour les Celtics ce soir. Il ajoute que les frères Ball le font marrer. Il me sert ensuite la main, une paluche de la taille d’une patte d’ours. Le match commence. A déplorer : le manque d’ambiance dans l’arène, pourtant remplie. JJ Reddick est brûlant et rentre 3-points après 3-points. Très vite, des « MVP ! MVP ! » se font entendre dès que Kyrie Irving a la balle. Le commentateur, qui doit penser que Timothé Luwawu-Cabarrot est espagnol, roule les r de son nom de famille lorsqu’il entre sur le parquet, étrange ! En lui-même, le match n’a pas énormément d’intérêt. Avec mes comparses de l'Équipe, on a même eu très peur que les Celtics lâchent le match tôt, alors menés de presque 20 points. Et même si la « remontada » est impressionnante, l’O2 ne s’enflamme pas. A la mi-temps, les quelques animations peinent à amuser la foule, qui vendrait pourtant sa mère pour un tee-shirt. En deuxième mi-temps, les Celtics se mettent au boulot et renversent le game pour enfin largement s’imposer. Je file en conférence de presse poser une question à Adam Silver, et lui demande si, au vu de l’enthousiasme suscité par la NBA en Europe, on pourrait imaginer un NBA Paris game... Réponse de diplomate mais intéressante quand même : « Bien sûr que nous nous intéressons à Paris, vous avez une arène à la pointe, Bercy, qui est sous contrat avec le même opérateur qu’ici, AEG. En fait, pour tout vous dire, on a récemment évoqué Paris avec AEG... ». Prometteur. La tension retombe, ça aura été trois jours denses mais riches en enseignements, en voilà quelques-uns : la NBA est pro. Ce qui veut dire que lorsqu’on est journalistes, on ne fait pas signer son maillot par un joueur, on ne prend pas de photos avec un joueur. Cette règle, pourtant simple, un journaliste italien l’apprend à ses dépends : il s’est pris un bon soufflon de la part de la com’ NBA Europe, et c’est logique. Deuxième enseignement, Joël Embiid n’est pas humain. Une telle carcasse ne devrait pas pouvoir bouger, et dribbler comme ça, et pourtant. Alien. Certains collègues journalistes m’avaient pourtant bien dit que l’important dans cette séquence londonienne n’était pas forcément le match, mais les à-côtés, ils avaient raison. Pour la NBA, le constat est ultra-positif : l’O2 était rempli, le merchandising a fonctionné du feu de dieu - plus de 30 minutes pour acheter un maillot - et le scénario du match, sur le papier en tout cas, a été renversant. Allez, je remballe, il est tard, et le froid londonien me lacère les doigts en sortant de l’arène. See you next year! Photos : NBAE/Getty Images & Iban Raïs