John Calipari : sa part d’ombre

John Calipari possède une aura sans pareil dans le basket NCAA, mais sa carrière reste avant tout émaillée de polémiques. Portrait d'une énigme.

John Calipari : sa part d’ombre
Après l'upset dont a été victime Kentucky cette année, il nous semblait intéressant publier le portrait que nous avions dressé du coach John Calipari dans le numéro 35 de REVERSE, quelques mois avant qu'il ne remporte le titre de champion NCAA 2012 avec Anthony Davis. « Je sais que je ne suis pas un saint, mais je ne suis pas celui que les autres dépeignent. » Avec ses costumes Armani stylés et sa coiffure toujours impeccable, sculptée au Pento, John Calipari (Coach Cal pour les intimes) aurait pu facilement se faire une place aux côtés de Chris et d'Oncle Junior dans les connaissances de Tony Soprano. C'est d'ailleurs cet aspect mi-ange mi-démon qui caractérise, depuis le début, la carrière de celui que beaucoup présentent plus comme un agent de joueur déguisé en coach, que comme un vrai formateur de talent. Pourtant, quand on est le troisième coach le mieux payé de tout le basket universitaire (derrière Mike Krzyzewski et Rick Pitino), c'est que votre carrière a été un succès. Avec près de 500 victoires en saison régulière, deux titres de « Coach de l'année » (1996 et 2008), tout ceci en 20 saisons comme head coach, John Calipari est une vraie légende, mais une légende sans titre. L'actuel boss de Kentucky aurait-il pris le pli de privilégier toujours son intérêt personnel plutôt que son devoir de formation ? Sa politique de « one and done » (les joueurs ne jouant qu'une saison universitaire avant de se présenter à la draft), qui lui permet d’attirer les plus gros prospects et de les conseiller, tel un agent y trouvant des compensations diverses, est-elle vraiment compatible avec le fait de préparer aux mieux ces jeunes aux joutes de l'étage supérieur ?

One and gone

Pour Calipari, tout avait pourtant bien commencé sur les bancs de UMass (l'Université du Massachusetts, située à une centaine de kilomètres à l'Ouest de Boston) puisqu'avec une équipe emmenée par Marcus Camby, il avait atteint pour la première fois le Final Four en 1996, perdant en demi-finale contre Kentucky, vainqueur final du Tournoi avec ses « Untouchables » Antoine Walker, Derek Anderson ou Tony Delk. Mais finalement, la surprise se transforme ensuite rapidement en cauchemar quand cette saison est tout bonnement rayée des palmarès, Camby ayant reçu pour plus de 40 000 dollars de cadeaux en tous genres de la part de deux agents, transgressant ainsi les règles de la NCAA. Cette première marque ne le quittera jamais vraiment. Même en rejoignant l'Université de Memphis en 2000, après un passage mi-figue mi-raisin de trois saisons à la tête des New Jersey Nets (les playoffs en 1998, mais un bilan de 72 victoires pour 112 défaites), ses succès ont souvent été entachés d'affaires de pots-de-vin impliquant ses joueurs ou de népotisme ambiant, ne faisant que gonfler sa réputation sulfureuse. Le recrutement des meilleurs lycéens du pays est une affaire de séduction à la limite de l'illégalité et John Calipari semble avoir trouvé la meilleure solution, notamment en enrôlant des proches des joueurs convoités : il a par exemple attiré dans ses filets Dajuan Wagner en 2001, tout juste élu « Lycéen de l'année », en engageant son père Milt, comme « Coordinateur des opérations liées au basket » pour les Memphis Tigers. Un poste important auquel Milt, malgré son manque de diplôme, pouvait peut-être prétendre après sa carrière universitaire réussie (3 Final Four) et son parcours professionnel compliqué (petit passage chez les Lakers avant d'errer à l'étranger, dont un séjour au Paris Basket et à Chalon). Mais surtout, l’année précédente, Coach Cal avait attribué une bourse sportive à Arthur Barclay, le meilleur ami de Dajuan, pour s'assurer les services du phénomène ayant sorti un match à 100 points au lycée. Plus encore que le recrutement litigieux d'un guard qui n'amènera pas le titre à Memphis (gagnant « seulement » le NIT, sorte de « consolante » pour les équipes ne faisant pas partie du tableau final NCAA), la « signature » de Dajuan Wagner a révélé au grand jour l'influence de William Wesley, alias « World Wide Wes ».

John Calipari : Mi-Coach, Mi-Agent

Ce natif de Camden dans le New Jersey (tout comme Wagner) est « consultant » pour CAA, une des plus grandes entreprises d'agents (sportifs ou culturels) aux Etats-Unis, mais il est surtout réputé pour être le grand ami et conseiller de quelques-uns des plus grands noms du basket, comme Allen Iverson ou LeBron James, et un proche de Coach Calipari. Celui-ci avait d’ailleurs déclaré un jour que « tout dans ce jeu est marketing ». Puisque le règlement NCAA interdit aux athlètes d'être représentés par des agents, World Wide Wes n'est officiellement qu'un « connecteur », faisant le lien entre de jeunes joueurs prometteurs et Coach Cal qui, selon certains, s'assurerait alors en échange qu'aucun agent d’une autre firme ne vienne rôder autour d'eux. Leon Rose, un des agents les plus puissants de NBA (celui de LeBron notamment), qui représente CAA, peut alors leur faire signer un contrat longue durée, une fois draftés. Derrick Rose a cependant provoqué la stupeur en 2008, en choisissant de signer plutôt avec Arn Tellem. Il se raconte que cette influence de Wesley a presque poussé Calipari sur le banc des Bulls en 2010, dans l'espoir d'attirer ainsi LeBron, alors en pleine phase de « Decision ». Avec un tel ami à ses côtés, John Calipari a pu continuer à engranger les signatures de quelques-uns des meilleurs joueurs du pays, comme ce fut le cas en 2008 avec Tyreke Evans, dont le préparateur physique personnel fut engagé au sein du staff des Tigers comme assistant de John Calipari. Cet engagement suspect ne fut même pas l'apogée des pratiques douteuses ayant émaillé le règne de 9 ans de Calipari à la tête de Memphis. Cette affaire n’a été révélée qu’en 2009, mais il semblerait qu’en 2007, Derrick Rose n'ait pas passé lui-même son test SAT (test de 3h45 qui calcule vos aptitudes scolaires et vous permet d'entrer à l'université), le rendant ainsi inéligible au regard des règlements NCAA. Les Tigers ayant aussi permis à son frère de voyager gratuitement avec l'équipe, c'est toute la saison 2007-2008 (record NCAA avec 38 victoires et une finale perdue contre Kansas en prolongation) qui a été rayée des tablettes. Cette sanction, après celle infligée à UMasss, donna d'ailleurs l'idée à Bill Simmons, le Sports Guy d'ESPN, de surnommer ironiquement John Calipari « The Vacater » (« Celui qui perd ses victoires »). Rose (qui nie toujours officiellement cette histoire) et Calipari ont d'ailleurs accepté, l'année dernière, de payer chacun 100 000 dollars aux fans des Tigers pour ne pas avoir à subir de poursuites judiciaires dans cette affaire.