Kobe et Jellybean Bryant, destins croisés

Chris Ballard de Sports Illustrated est allé rencontrer Joe Bryant, "père de", pour mieux comprendre la personnalité du fils.

Kobe et Jellybean Bryant, destins croisés

« Est ce que tu peux tenir tes seins et jouer en même temps ? »

La carrière de Joe Bryant fut aussi mitigée que l'est l'impression de West à son égard. Drafté par Philadelphie, sa ville natale, Bryant père côtoie Darryl Dawkins, Llyod B. Free, Julius Erving et Doug Collins mais ne goute que trop peu au parquet. Il accumule une certaine frustration, retrouve des couleurs à San Diego avant d'être coupé par les Rockets en 1983 et de quitter la ligue avec amertume. À l'époque, il déclare :
« Johnson est arrivé dans la ligue avec tout cet attirail incroyable et ils l'ont appelé Magic. J'ai fait la même chose pendant des années et ils appelaient ça des enfantillages. »
Personne n'a pourtant jamais douté du talent de Joe. Mais personne n'a su accepter sa fantaisie. Paul Silas, qui l'a coaché aux Clippers, a certes admis que Joe était trop fantaisiste pour son propre bien mais Westhead, son coach à La Salle, s'aventure tout de même à une sacrée comparaison :
« Si Joe à 25 ans avait affronté Kobe à 25 ans dans un one-on-one, je ne pense pas que la victoire de Kobe serait une simple formalité. »
Lorsqu'il a commencé à coacher, au début des années 1990, Joe a encore fait preuve de fantaisie en prenant en main l'équipe féminine de la Akiba Hebrew Academy et s'est délié de toute sorte de rigueur. Il faisait office d'oncle préféré : il sprintait avec elle, rugissant avec joie après les belles actions. Il leur a appris à parler italien et elles lui ont enseigné comment donner des consignes en hébreux lorsqu'elles jouaient contre des écoles catholiques : « M'shulash ! » (triangle). De temps en temps, il amenait Kobe à l'entrainement. Le jeune Kobe, du haut de ses 14 ans, impressionnait par son sérieux. Son père, au contraire, séduisait par sa sympathie. Rebecca Zacher, pivote et vedette de l'équipe, raconte une anecdote croustillante à propos du dernier road trip de la saison :
« J'avais une poitrine particulièrement “développée” et j'avais oublié mon soutien-gorge sport. Je suis allé voir le coach en lui expliquant que je ne pouvais même pas bander ma poitrine. Et il m'a alors regardé puis m'a dit : “Tu ne peux pas simplement les tenir d'une main et jouer avec l'autre ?”. Je n'ai pas pu m'empêcher de rire. »
Aujourd'hui encore, sur le banc des Cobras, il reste cool et maintient qu'il préfère adapter ses systèmes aux joueurs en leur laissant la liberté de penser et jouer. Les quelques fois où l'on retrouve Kobe chez Joe, c'est lorsqu'on lui demande de parler de lui. On reconnait alors la méfiance qui réside dans le regard de Kobe, cette attention au monde, cette volonté de s'y ajuster et de ne pas s'y laisser prendre. Kobe ne tweete pas, n'a pas écrit d'autobiographie à 25 ans. Les Bryant ne parlent pas d'eux-mêmes. Quitte à faire faux-bond au journaliste d'ESPN qui a traversé neuf fuseaux horaires pour offrir au père une couverture nationale. Quitte à se terrer lorsque quelque chose ne lui convient pas. Lorsque Kobe s'est marié en 2001, Joe a refusé d'être présent au mariage. À la fin de la saison, lorsque Kobe a joué contre Philly lors des finales, personne n'a pu trouver Joe Bryant. On se souvient d'ailleurs des larmes de Kobe, que les médias avaient mis sur le compte de la joie avant que celui-ci ne confesse aux Times qu'il s'agissait de son père.