LeBron James n’est plus le meilleur joueur du monde… et alors ?

LeBron James ne serait plus le joueur numéro un selon les scouts et les dirigeants NBA. Mais il n'y a pourtant rien de choquant à cela.

LeBron James n’est plus le meilleur joueur du monde… et alors ?

« When you come at the King, you best not miss. » Omar Little, interprété par Michael K. Williams (R.I.P.) dans The Wire. Si LeBron James s’était un peu plus penché sur la meilleure série de tous les temps – mais bon, les bouquins n’existent pas donc impossible de se pointer au Staples Center en faisant mine de lire la première page – il aurait repris cette punchline à sa sauce. Le King, celui d’Akron, sait faire taire ses détracteurs avec autant d’efficacité qu’Omar dans les rues de Baltimore (mais heureusement avec des méthodes différentes). Et en bientôt vingt ans de carrière, ils ne sont plus si nombreux, ceux qui oseraient le rabaisser ou nier la richesse de son palmarès, la valeur de ses accomplissements quasiment jamais vus en NBA ou encore sa longévité exceptionnelle au plus haut niveau.

Mais les haters, dans la tête de James (et de plus en plus de personnalités publiques), ils sont bien présents. Et il faut les combattre. Même en étant en vacances, je n’ai pas pu y échapper. Je n’ai pas pu éviter le pseudo-débat venu enflammer légèrement les réseaux sociaux et la sphère NBA – en même temps, vu la quantité d’infos, tout le monde se faisait chier – en plein été. Et ça m’a gonflé. Même la piscine, le soleil (c’est faux, c’est quoi ce temps de merde constant pendant vingt jours ?) ou encore les touristes espagnoles ne pouvaient pas me relaxer complètement après être tombé malgré moi sur le dernier tweet ironique de LBJ.

Tout est parti d’une question traditionnelle de l’intersaison, posée à des dirigeants et des scouts NBA : qui est le meilleur joueur de la ligue ? Sur les dix interrogés, cinq ont répondu Giannis Antetokounmpo et cinq autres ont plébiscité Kevin Durant. Voilà le résultat du sondage. Sauf que ce n’est pas ça, évidemment, qui a fait les gros titres. Un compte US a rapidement souligné le fait que LeBron James n’avait pas reçu le moindre vote (plutôt que de mettre en avant KD ou le « Greek Freak »). Et le King s’est précipité pour réagir avec son nouveau hashtag favori : #WashedKing.

Tous les grands compétiteurs de ce monde se sont imaginé des ennemis – des haters, du coup, terme devenu à la mode. Michael Jordan se créait des propres embrouilles dans son esprit pour se motiver. Si James y voit une raison de plus de se pousser à revenir fort, c’est son droit. Son niveau de préparation chaque saison est absolument incroyable. Ça demande du temps, des sacrifices et des efforts considérables. Et pour mettre tout ça en place, il faut des ressources mentales (et physiques) assez exceptionnelles. Toutes sources de motivation supplémentaires sont bonnes à prendre. Ce qui gêne, ici, c’est plus le procédé.

L’info, c’était que certains dirigeants et scouts NBA ne le voyaient pas comme le numéro un mondial. Au final, c’est devenu : « LeBron James est fini. » Parce que c’est bien ça le sens du « Washed. » Ou plutôt « rincé » en VF. En gros, ne pas le placer en première position reviendrait à le considérer comme « terminé » ? Mais pourquoi ? Pourquoi faire un tel raccourci ? Ce « #WashedKing », il ne date pas de cet été. Ça fait maintenant deux ans que James l’agite à chaque fois qu’il en sent l’envie. Anthony Davis l’a surnommé ainsi après un troisième triple-double consécutif de son coéquipier en novembre 2019 (LBJ battait au passage un record). Et le natif d’Akron renchérissait en ajoutant « Super washed » pour continuer à démolir ironiquement ceux qui oseraient croire à sa fin. Mais encore une fois, qui a dit ça ?

Et bien… personne. Un journaliste de Yahoo! Sports s’était très sérieusement penché sur le problème deux ans en arrière. En épluchant complètement la toile via des dizaines de recherches Google pour retrouver la trace de celui qui aurait qualifié James de « rincé. » Au final, il a retrouvé un compte parodique sur Twitter, un utilisateur du forum Reddit au milieu d’une discussion et une enquête Quora à laquelle seulement cinq personnes ont répondu. LeBron aurait-il vraiment lu tout ça ? Aucune chance. Même les éditorialistes à buzz que sont Skip Bayless et Max Kellerman ne l’ont pas vraiment descendu de la sorte. Donc pour être clair : personne n’a jamais dit que LeBron James était « Washed up. » Sauf LeBron James lui-même.

En utilisant ce hashtag, en se posant en « victime » des médias qui ne comprendraient rien, il a inventé un autre débat qui n’existait absolument pas. Alors, bien sûr, il ne l’a pas inventé tout seul. Il l’a lancé et tous ceux qui ont participé depuis ont enrichi et alimenté une problématique qui, encore une fois, n’existait pas. Parce que le vrai débat, la vraie question, là, cet été, ce n’était pas ça. J’y reviens donc : qui est le meilleur joueur de la ligue ? Ne pas citer James n’est pourtant pas choquant. Ne pas le classer en première position ne revient pas à dire qu’il est nul ou fini. Pourquoi un joueur qui serait top-3, top-5 ou même top-7 serait nul ? Pourquoi ne voit-on pas que c’est déjà extraordinaire d’être encore aussi haut à bientôt 37 et après 18 saisons dans la ligue ?

99% des joueurs NBA sont à la retraite à ce moment-là. Lui, il est encore en haut. Mais pas tout en haut. Durant est très probablement le meilleur joueur de la ligue. Et donc du monde. Giannis Antetokounmpo a toutes les raisons de penser qu’il en est tout proche. Luka Doncic, Kawhi Leonard ou même James Harden (surtout depuis qu’il s’est décidé à jouer au basket) n’ont rien à envier à James à l’instant présent. Bien sûr que je ne compare pas leur carrière. Bien sûr que le King à son prime était au-dessus de ces gars-là. Mais là, de suite, est-il vraiment plus fort qu’eux ? Je ne pense pas. Je peux comprendre que certains pensent qu’il reste encore au-dessus. Mais je ne comprends pas comment on pourrait affirmer sans broncher, sans doute, sans sourciller, que Leonard ou Doncic sont inférieurs à LeBron.

Qu’on le veuille ou non, il prend de l’âge. Sa longévité revient si souvent dans les conversations qu’on en oublierait qu’il n’a pas cessé de décliner – même lentement – depuis 2016 ou 2017. Ses capacités athlétiques sont sensationnelles pour un joueur de son âge mais elles sont intrinsèquement inférieures à celles de Giannis. Il n’est pas aussi adroit que KD ou Harden. Même son corps le lâche un peu plus souvent qu’avant avec plusieurs blessures gênantes au cours des trois dernières années. Et c’est normal. C’est l’effet du temps. Ça ne veut pas dire qu’il est fini, au contraire, c’est même dingue qu’il soit encore là !

Son QI basket, sa capacité d’adaptation, son expérience, sa puissance, sa technique, tout ça font qu’il reste un basketteur génial. Un cador. Mais j’aimerai tout de même rappeler que certains de ses propres coéquipiers aux Lakers plaçaient AD devant LeBron. Et ce n’est encore une fois pas du tout une honte. Il n’est pas « Washed. » Par contre, il a déplacé la question. Il a orienté le débat autrement, peut-être même parce que la réflexion originale n’allait pas dans son sens.

Ce qui me titille, ce qui m’agace, ce qui m’effraie, aussi, c’est que je n’arrive pas à comprendre comment on arrive à tomber dans des pièges aussi gros. Comment se fait-on avoir ? Pourquoi ? Parce que notre manière d’interpréter est souvent mauvaise. Et, quand elle s’applique à un autre sujet que du basket, elle peut en devenir dangereuse. Restons brièvement dans le sport. Aujourd’hui, écrire que James n’est pas le meilleur joueur du monde revient, pour une partie du public (bien heureusement pas tout le monde), à le considérer comme fini.

Je peux en témoigner. Et mes collègues aussi. Quand on parle de LeBron James – surtout de James – la moindre remise en question nous fait de suite basculer dans la catégorie des fameux haters. Comme si, au final, la nuance n’existait plus. J’ai l’impression que l’on perd vraiment ce sens de la nuance qui est pourtant terriblement important. Les prises de position sont extrêmisées : ce qui n’est pas avec nous est contre nous. Soit tu penses que James est le meilleur, soit tu penses qu’il est fini. Mais ça, c’est du basket. Le problème… c’est que les méthodes sont EXACTEMENT les mêmes quand il s’agit de politique ou de questions de société primordiales.

Et on se radicalise. Et on s’extrêmise. Twitter y contribue fortement. C’est l’avis du plus fort, ou du moins de celui qui répète le plus son idée jusqu’à ce qu’elle soit diffusée : d’où la création d’un terme « Washed King », qui ne repose sur rien. En politique, le but de la manœuvre – déplacer le débat – sert à installer une "narrative". C’est pareil pour LeBron. « Washed King », ça pourrait presque être une campagne de publicité pour Nike avec un super slogan marketing. C’est même étonnant que la marque à la virgule n’ait pas lancée une série de T-shirt avec l’inscription. Ils se vendraient comme des petits pains (je vais de ce pas déposer l’idée).

LeBron James a une mission d’ici la fin de sa carrière : être universellement reconnu comme le G.O.A.T. Et ça ne vient pas de moi. Lui-même l’a déjà avoué. C’est l’un de ses objectifs. Je pense même que c’est SON objectif. Rallier le plus de partisans à sa cause. Il en gagne chaque année. Mais il a surtout compris quelque chose : ce ne sont pas les accomplissements qui le feront dépasser MJ. C’est la narrative.  D’ailleurs, Jordan l’a compris aussi, en précipitant la sortie de « The Last Dance », documentaire qu’il aurait finalement accepté de diffuser parce que les positions tournaient justement en faveur de James. La narrative est puissante. Plus puissante que le reste.

Michael Jordan veut-il régler la question du GOAT avec LeBron grâce à The Last Dance ?

Rien que sous le tweet de James, celui sur le « Washed King », l’un de ses fans insiste sur le fait qu’il est le meilleur de tous les temps « parce qu’il a gagné avec trois équipes différentes. » D’autres aiment noter que LBJ fut le premier à gagner une finale après avoir été mené 1-3. Mais Jordan n’a justement jamais été dans cette position. Et il a joué quasiment la totalité de sa carrière avec une seule et même franchise. Mais vous avez saisi l’idée de la narrative et de sa puissance.

En se posant en joueur sous-estimé, en joueur « rincé », LeBron fabrique une autre narrative. Une narrative qu’il peut agiter au nez de ses détracteurs quand les Los Angeles Lakers finissent sacrés. Mais ce n’est pas parce qu’il est champion qu’il est forcément le meilleur joueur du monde. Ce n’est pas parce qu’il tourne à 26-8-8 qu’il est le meilleur joueur du monde. Tout ça montre surtout qu’il est encore capable d’accomplir des choses incroyables même dans les dernières étapes de sa carrière. Bizarrement, on n’arrive apparemment pas à se contenter de ça.

Après, si le personnage fascine autant, s’il divise autant, c’est aussi justement parce que sa carrière est vraiment magistrale. Et notre manière de traiter tout ce qui le concerne de près ou de loin en dit finalement long sur notre société et certaines de ses dérives.