Pourquoi ce sera dur de forcer Sterling à vendre

Les décisions prises hier par Adam Silver ont été applaudies des deux mains. Mais la NBA pourra-t-elle les appliquer aussi facilement ?

Benoît JametPar Benoît Jamet  | Publié  | BasketSession.com / MAGAZINES / Focus
Pourquoi ce sera dur de forcer Sterling à vendre
Si le message d'Adam Silver a eu un écho sans précédent, c'est que la sanction infligée à Donald Sterling par le Commissioner a été considérée par beaucoup comme la réponse appropriée à des propos racistes unanimement condamnés. Néanmoins, une fois la "joie" passée de voir un tel intolérant propriétaire d'une équipe dans une ligue "noire" (comme l'a qualifiée Charles Barkley lui-même) sanctionné, la NBA se retrouve maintenant dans l'obligation de mettre en pratique ces annonces. Et c'est maintenant que ces solutions simples et adaptées pourraient prendre un chemin tourmenté, tortueux et extrêmement long. Dans un excellent papier (trés détaillé et en anglais) pour Sports Illustrated, Michael McCann a détaillé tous les tenants et les aboutissants des différents versants des sanctions énoncées. Si certaines seront facilement appliquées, on peut franchement douter de la mise en application d'autres blâmes.

La sanction financière

Avec 2,5 millions de dollars d'amende infligés à Donald Sterling, Adam Silver a surtout frappé symboliquement. Etant donné que la fortune du "mogul" californien est évaluée à plus de 1,9 milliard de dollars, cela ne représente que 0,13% de celle-ci (A notre échelle plus humaine, cela représenterait 1,95 euros pour quelqu'un gagnant 1500 euros par mois. Tout est une question d'échelle néanmoins...). En allant au maximum de ce que la "Constitution" de la NBA (attention document pdf) autorise, Adam Silver, avocat de profession, est surtout "resté dans les clous" juridiquement et ne pourra pas être attaqué par Sterling pour cause de montant dépassant la limite autorisée et aucune accusation de montant "arbitraire" ne pourra être retenue contre la NBA par un éventuel tribunal.

Le bannissement à vie de Sterling

C'est également le côté arbitraire d'une telle decision qui pourrait la remettre en cause mais, là encore, Adam Silver est suffisamment au fait des lois pour s'être aventuré sur des sentiers qu'il sait deminés. Malgré l'inadmissibilité de l'enregistrement au niveau de la loi californienne (car confidentiel et effectué sans l'autorisation de Donald Sterling), le propriétaire n'aura sûrement pas les armes pour combattre la NBA sur ce point. Si la NBA avait effectué son enquête de façon négligée en omettant de vérifier plusieurs éléments avant de prononcer ses sanctions, alors Sterling pourrait se retourner contre elle. Ici, le milliardaire a bien admis à Silver être l'homme parlant sur la bande enregistrée et le bureau du Commish a bien pensé à couvrir tous les angles en ne fomentant aucun complot contre lui et l'interrogeant personnellement dès qu'ils ont eu vent de la bande de TMZ. Bref, comme le dit McCann dans son article, Sterling se retrouve bien en exil de la NBA, et ce à vie...

La vente des Clippers

Voici donc la partie la plus compliquée de la sanction tombée hier, et certainement celle dont le dénouement prendra le plus de temps tant les multiples tiroirs qu'elle ouvre pourrait la mettre à mal. Selon l'article 13 de la Constitution de la NBA, un vote favorable de 3/4 du Board of Governors (composé des 30 propriétaires) permet à la NBA de mettre fin au droit de propriété d'une personne sur une franchise, mais à certaines conditions. Et c'est là que le bât blesse... La principale de ces conditions reste les finances de la franchise et, de ce point de vue, il est difficile pour la NBA de trouver à redire sur la capacité de Donald Sterling à rester à la tête des Clippers. En effet, la franchise est extrêmement bien dotée avec un propriétaire aux reins aussi solides question dollars. De plus, Sterling n'a jamais été impliqué dans un scandale financier et a toujours payé ses joueurs rubis sur l'ongle (même s'il ne dépensait pas grand chose pour son équipe pendant les 30 premières années, ceci lui valant la réputation d'être le plus radin des proprios avant que Robert Sarver, des Phoenix Suns, ne vienne lui prendre cette couronne il y a quelques années). Alors, si les conditions financières ne sont pas une vraie base juridique, la NBA va devoir se retourner vers la question du "comportement éthique au niveau des contrats de joueurs et de sponsoring", condition également contenue dans ce fameux article 13. Si les commentaires racistes sont indéniables, Sterling pourra cependant arguer qu'ils ont été tenus dans un contexte privé et que sa franchise n'a jamais eu un comportement raciste envers ses employés. En se faisant l'avocat du diable (ce que pas mal de commentateurs US ont fait), on peut légitimement s'interroger sur les joueurs et le staff qui avaient bien dû entendre les rumeurs insistantes de racisme du propriétaire et avaient peut-être fermé les yeux dessus à mesure que les zeros apparaissaient sur les contrats que la franchise leur proposait. Avant cette histoire nauséabonde, les seules accusations de racisme vis-à-vis de Sterling concernaient plus la façon dont il refuse que des membres des minorités habitent dans les multiples immeubles qu'il possède plutôt que la discrimination, apparemment inexistante, des Clippers envers des fans ou des employés issus de minorités. Les sponsors se détachant des Clippers pourraient par contre être un réel argument en faveur de la ligue. En s'aventurant sur ce terrain de l'éthique et de la clause morale, la NBA pourrait également ouvrir une boite de Pandore, offrant à Sterling un excellent moyen de défense. Si la NBA insistait pour qu'il vende son équipe pour "préjudice moral", Sterling n'hésiterait sans doute pas à entamer une procédure devant les tribunaux pour contrer cette offensive. Egalement avocat de profession, Donald Sterling est l'un des propriétaires les plus procéduriers de la ligue. Les plus anciens pourraient faire un rapprochement entre lui et Al Davis à ce niveau, bien que l'ancien propriétaire des Oakland Raiders (NFL), décédé en 2011, ait été, pour sa part, un chantre des minorités en engageant les premiers coaches noirs et latinos en NFL et en ayant oeuvré toute sa vie pour le rétrecissement des inégalités raciales aux Etats-Unis. Mais il a également été la plus grosse épine dans le pied du Commissionner de la NFL, Pete Rozelle, notamment à cause des incessants déménagements de la franchise entre Los Angeles et Oakland. Adam Silver veut sûrement éviter de se retrouver dans le même type de schéma juridique avec Sterling. [superquote pos="g"]Sterling a pu amasser pas mal d'informations sur les autres propriétaires. Et quelques sales petits secrets ?[/superquote]Si cette contre-attaque de Sterling arrivait (et il y a peu de raisons de douter qu'il n'y ait pas recours), ce sont les autres propriétaires qui pourraient se retrouver en porte-à-faux dans l'histoire, ce qui a valu à Mark Cuban de qualifier tout ceci de "pente dangereuse". En étant attaqué sur un argument "moral", Sterling pourrait indiquer à une cour que d'autres propriétaires ont eu des comportements et commentaires tout aussi graves que lui dans le passé mais n'ont pas été aussi lourdement sanctionnés. Depuis l'achat des Clippers en 1981 (en faisant maintenant le plus ancien propriétaire de franchise), Sterling a sans doute pu amasser pas mal d'informations sur ses congénères. Et ceux-là ne voudraient peut-être pas que de sales petits secrets soient étalés en plein jour... De plus, enlever une franchise à un propriétaire pour un comportement répréhensible pourrait faire jurisprudence dans le futur et, en votant pour sa destitution, les propriétaires placeraient d'eux-mêmes une épée de Damocles au-dessus de leurs têtes pour les années à venir. Pas forcément le comportement que l'on attend de businessmen avertis.

Une simple question d'argent?

Et si, finalement, l'attachement de Sterling aux Clippers n'était plus maintenant qu'une simple question d'argent? Avec une valeur estimée à plus d'un milliard de dollars, les Clippers sont l'une des franchises les plus chères de la planète. Sans le chic des Lakers, ils partagent néanmoins le même marché angeleno et sont devenus l'une des plus belles franchises de NBA, depuis les arrivées de Blake Griffin ou Chris Paul (ce qui change de Michael Olowokandi ou Chris Kaman, admettons-le...). Comme l'a dit Bill Simmons lors de son segment sur ESPN, David Stern a même fait le choix idéologique de mettre son véto sur le trade de Chris Paul aux Lakers pour ensuite l'envoyer aux Clippers, en connaissant parfaitement toutes les rumeurs persistantes concernant Sterling. Ce trade a rendu la franchise encore plus "bankable", d'un point de vue financier et sportif. C'est donc un sacré bénéfice que pourrait retirer Donald Sterling d'une vente des Clippers. Achetés 12 millions de dollars en 1981, il pourrait les revendre 100 fois plus chers et partir profiter de sa fortune avec ses jeunes copines siliconées. Mais la loi californienne sur les taxes l'empêche sans doute de se résoudre à cela (en plus du fait que toute cette histoire ait sans doute rendu caduque sa relation avec V. Stiviano...). En se débarassant de ses Clippers, ce sont quelque 900 millions de dollars de bénéfices qu'il se mettrait dans la poche. Sauf qu'il devrait alors payer la taxe californienne sur les bénéfices qui amputerait cette somme de 33% (un manque à gagner d'environ 330 millions de dollars). Néanmoins, le propriétaire pourrait s'amuser avec la NBA tout en s'assurant de perdre le moins d'argent possible. [superquote pos="d"]On imagine mal Miss Sterling s'asseoir sur 550 millions de dollars.[/superquote]Pour ce faire, il pourrait entamer une action juridique contre la ligue pour "violation des lois anti-trust" (fondée sur le groupe de propriétaires s'y mettant à plusieurs pour le deposséder de son équipe), une action qui pourrait durer des années. Agé de 80 ans, son but pourrait être tout simplement de mourir en étant toujours propriétaire des Clippers afin de pouvoir léguer la franchise à sa famille car si celle-ci la revendait aussitôt, la taxe californienne sur les bénéfices ne s'appliquerait qu'à la différence entre l'estimation au moment de la mort de Sterling et le prix qu'elle aura coûté à son nouveau propriétaire. De facon grossière, évaluée à 1 milliard de dollars en 2020 (par exemple) et revendue aussitôt pour 1,2 millards de dollars, l'état californien ne toucherait que 33% des 200 millions de dollars de difference, donc seulement 60 millions (contre 330 actuellement). A toute cette histoire de gros sous qui pourrait empêcher la NBA de faire le menage aussi tôt qu'elle le désirerait, il ne faut pas oublier que Donald Sterling est encore officiellement marié et que sa femme a donc droit à la moitié de ses biens (donc, en théorie, à la moitié des Clippers, en espérant qu'elle garde la bonne partie du roster...). Un imbroglio juridique de plus qui devra forcément être réglé à un moment ou à un autre car l'on voit mal Mme Sterling s'asseoir sur 500 millions de dollars.

Libérer les joueurs, une menace sérieuse?

Si la NBA n'est pas capable de forcer la main à Donald Sterling dans les plus brefs delais, elle pourrait également réflechir à des moyens de pression pour qu'il arrive de lui-même à cette conclusion. Ainsi apprenait-on aujourd'hui que Doc Rivers était prêt à renoncer à son contrat et à ne plus travailler pour Sterling. Dans le même état d'esprit, une proposition a fait son apparition ces derniers jours: celle de libérer les joueurs des Clippers de leurs contrats au 1er juillet si le propriétaire n'avait pas renoncé à sa franchise, faisant d'eux des unrestricted free-agents. L'évaluation d'une franchise se faisant sur ses infrastructures mais également sur ses actifs "joueurs", voir partir Chris Paul, Blake Griffin ou DeAndre Jordan ferait forcément chuter la cote des Clippers chez Forbes. Il faudrait néanmoins passer outre le CBA, signé en 2011, et l'association des joueurs (mais celle-ci semblait assez unie pour dénoncer le racisme de Sterling). Le machiavélisme des certains proprietaires pourrait les inciter donc à voter pour l'éviction de Sterling en espérant que cette proposition voie le jour et que Sterling défende ses interets le plus possible. Cela leur permettrait d'avoir une chance de récuperer des candidats au titre de MVP dans l'affaire...    
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