Drazen Petrovic, le destin tragique du Mozart du basket

Cela fait 29 ans aujourd'hui que Drazen Petrovic nous a quittés. L'occasion de lui rendre hommage en revenant sur l'histoire d’un pionnier de génie.

Drazen Petrovic, le destin tragique du Mozart du basket

Comparé dès son plus jeune âge à Mozart pour sa précocité et son talent unique, Drazen Petrovic a comme lui consacré chaque instant de sa vie à sa seule passion. Malheureusement, le virtuose croate a poussé le mimétisme en nous quittant lui aussi prématurément. Et c’est sur une autoroute allemande que s'est interrompue brutalement l’une des plus belles partitions jamais jouées...

Texte : Arnaud Blaizot / Graphisme : Patrick Ortega

Genius

1982. Finale de la coupe Korac, le CSP Limoges affronte Sibenik. Et un gamin dont l’abondante chevelure bouclée rappellerait presque l’afro de Julius Erving. Un espoir appelé pour pallier l’absence du meneur titulaire ? Pas vraiment.  À 17 ans, Drazen Petrovic est déjà le chef d’orchestre de son équipe, parvenue en finale sur son seul talent. Ses 19 points se révèlent insuffisants pour arracher la victoire mais la France vient de découvrir un génie.

À ce moment-là, le jeune Yougoslave joue depuis déjà 2 ans avec les « grands ». A juste titre car il domine les catégories de jeunes en banalisant les matchs à plus de 50 points. À 18 ans, il offre à Sibenik le championnat. C’est le premier titre pour un travailleur acharné comme rarement ce sport en a eu. Pratiquement depuis sa naissance le 22 octobre 1964, Drazen Petrovic répète ses gammes inlassablement avec son frère Aleksandar (futur international yougoslave), malgré une malformation congénitale de la hanche, censée le gêner dans ses déplacements et sa vie d’adulte. Pas vraiment un « handicap » au final : il se tient les jambes plus écartées que la normale, ce qui lui permet d’enchaîner certains dribbles renversés ou entre les jambes plus facilement.

En tout cas, ça ne l’empêche pas de taffer comme un dingue : avant l’école, après l’école, et même après les entraînements.

« Personne à Sibenik ne me forçait à travailler si dur, tout au moins pas aussi dur que je le faisais. Mais si je ratais un entraînement, je me sentais mal, comme si j’avais commis un péché mortel ».

Le jeune virtuose bosse de manière maladive. Il avale 500 shoots et 200 lancers-francs par jour. Maljkovic raconte qu’il ne s’agit pas de 500 tirs quotidiens, mais bien de 500 shoots réussis…

« Une fois j’ai voulu voir combien de tentatives à 3 points il me faudrait pour atteindre 100 shoots rentrés, il ne m’en a fallu que 104 », affirme le Croate.

Bref, le travail paie.

Drazen Petrovic

Wolfgang Starr

Parti rejoindre son frère au Cibona Zagreb, il lâche de mémorables ardoises. Parmi les plus hallucinantes, ses 112 points passés au Ljubljana de Jurij Zdovc, un soir d’octobre 1985, avec 40 sur 60 aux shoots, et 22 sur 24 aux LF. Limoges, qui l’a privé de deux Korac, va également comprendre. Car l’homme est rancunier et déteste perdre. Celui qui ne pouvait pas tirer à plus de cinq mètres quelques années auparavant va les tordre en Coupe des Champions en 1986, en leur passant 51 points, dont une série de 7 trois-points sans échec (sur 10 réussis).

Réputé pour son adresse, Drazen Petrovic l’est aussi pour son arrogance et son mauvais caractère sur le terrain. Il n’hésite pas à humilier ses adversaires dès qu’il en a la possibilité. Toujours face à Limoges avec le Zagreb, il fait un petit pont à Billy Knight, ancien joueur NBA, futur GM NBA (pas le meilleur, certes…) juste pour se « venger » de la bonne défense que le CSP lui avait opposé. Il est également  le déclencheur d’une bagarre générale  en demi-finale face à l’Etoile Rouge de Belgrade, protestant contre le panier victorieux de Zizic qui, à la manière d’un Lebron James, avait fait 4 pas sans dribbler.

Drazen va même jusqu’à menacer de ne plus jouer pour l’équipe nationale si le résultat est validé. Suspendu 3 matches avec Zagreb, il rejouera pour son équipe nationale. Son côté mauvais garçon n’empêche pas l’admiration de tous au regard de son apport en club : seulement 6 défaites en 4 ans avec une moyenne de 38 points (avec une pointe à 43 dans la saison 85-86) pour le seul meneur du Cibona et de la sélection nationale yougoslave.

Une sélection nationale qui compte dans ses rangs des joueurs comme Dino Radja, Vlade Divac, Toni Kukoc ou encore Zarko Paspalj, mais dont il est le véritable maestro. Une sélection qui va régaler l’Europe pendant plusieurs années, comme au tournoi de Noël 1987, où Petrovic fait le show, avec notamment une passe entre les jambes qui aurait eu sa place dans une Mixtape And1.

Aux Championnats d’Europe 1989, un après l’argent aux JO, ces joueurs offrent à leur public de Zagreb le titre en dominant la Grèce de Galis en finale. Drazen Petrovic y pratique son meilleur basket et score 30 points par match avec une réussite irréelle : 75% à 2-points et 70% à 3-points ! Il termine en outre meilleur passeur de la compétition avec 6 balles données par match. Jamais un joueur n’avait dominé un championnat européen comme cela auparavant et c’est logiquement qu’il est désigné MVP.

Madrideus

À cette époque, Drazen a déjà quitté Zagreb pour les dollars de Madrid. Il passe d’un salaire mensuel de 6000 francs (en plus d’une Alfa Romeo flambant neuve, un appartement et.....une pizzeria !) à un contrat de plus d’un million de dollars sur 4 saisons. L’adaptation est immédiate pour Mozart. Il récite ses gammes de manière toujours aussi sublime et tourne à 28 points par match. Il brille au plus haut niveau européen notamment dans une finale de la Coupe des Coupes face au Caserta du prolifique Oscar Schmidt. Les 2 hommes se rendent coup pour coup, mais Drazen finit par prendre le dessus pour terminer avec 62 points au compteur alors que le Brésilien n’inscrit « que » 44 points.

Au cours de cette même compétition il aura sorti son ancien club de Zagreb en leur passant 47 points. Lors du game 1, à Zagreb, Drazen se retrouve aux lancers-francs pour gagner le match. Son frère qui joue encore pour le Cibona l’apostrophe :

« Drazen s’il te plaît, rate ces lancers-francs, de toute façon vous allez gagner chez vous aisément et si nous gagnons ici nous aurons un bonus sur nos salaires ».

Petrovic écoute son frère avant de mettre ses 2 LF. «  C’est juste qu’il ne savait pas comment faire pour perdre », dira Aleksandar plus tard…

C’est lors de sa période Real que Drazen commence à titiller la NBA. A l’occasion de l’Open McDonald’s, il affronte les Celtics et leur passe 22 points. Les USA découvrent alors le phénomène Petrovic et le légendaire Bob Cousy est admiratif :

« Si un joueur est capable de s’imposer en NBA, ce joueur c’est Petrovic ».

L’été suivant, il enchaîne sur les Championnats du Monde qu’il domine allègrement. La Yougoslavie ridiculise des jeunes Ricains pourtant très talentueux (Mourning, Kenny Anderson ou encore Billy Owens) en finale et obtient son dernier titre, la sélection nationale se scindant au cours de la Guerre des Balkans.

Requiem for a Dream

Après avoir tout gagné en Europe, Petrovic rejoint la NBA et Portland qui l’avait déjà drafté 3 années auparavant. Mais, pour la première fois de sa carrière Drazen n’est pas la star de son équipe. Pas titulaire, ni même un remplaçant précieux. Il ne rentre pas dans les schémas de Rick Adelman. Il est notamment barré par Drexler et Porter à l’arrière. Surtout, il atterrit dans une des équipes les plus athlétiques de la ligue. Avec Drexler, Kersey, Porter, Buck Williams ou Duckworth, ça court ça saute et ça pèse lourd. Rien à voir avec le « style » Petrovic. Et même sur les missions pour shooter, Adelman lui préfère Danny Ainge, qui à l’inverse de Mozart, est une vraie teigne en défense. Portland atteint les Finales NBA mais il n’y joue aucun rôle.

Après la pire saison qu’il ait connue, le numéro 44 des Blazers demande à partir et obtient un trade avec les Nets en janvier 91. Drexler, qui l’a vu fournir aux entraînements, est formel :

« Ce gars participera au All-Star Game d’ici 2 ans. Vous n’avez jamais vu un gars shooter comme lui et travailler aussi dur que lui. »

Le Croate n’a pas perdu confiance en lui en arrivant chez les Nets :

« C’est fini, maintenant personne ne va m’arrêter. »

Il finit la saison avec 20 minutes par match pour plus de 12 points. Surtout, Chuck Daly, l’ancien coach des Pistons, a une totale confiance en Drazen et ne tarde pas à en faire le leader offensif des Nets qui comptaient pourtant de bons éléments comme l’ancien n°1 de la draft Derrick Coleman ou encore Kenny Anderson.

Même défensivement il n’est plus la passoire de Portland. Le joueur joue plus dur, résultat de nombreuses heures dans la salle de muscu. Dès la saison suivante, le Croate inscrit plus de 20 points par match (une première pour un Européen en NBA), ne manque aucun match et affiche le meilleur pourcentage de tous les arrières de NBA (plus de 50%, dont 44% à 3 pts). La meilleure ligue du monde reconnaît enfin le talent d’un joueur formé hors USA et le récompense logiquement du Trophée de MIP.

Au cours de l’été 1992, la Croatie fait sa première sortie en grande compétition et pour l’occasion s’offre une superbe finale face à LA Dream Team. Elle est la seule équipe à tenir plus de 10 minutes face à Magic, Jojo, Larry et Charles. Face à son coach, Petrovic finit meilleur marqueur de la finale avec 24 points, devançant même les 22 points de Jordan.

La saison suivante, le numéro 3 des Nets augmente encore le niveau de son jeu : plus de points (22 par match), plus adroit (51.8 %), il est au sommet de son art. Pas suffisant pourtant pour faire de lui le premier Européen All-Star de l’histoire, son objectif. Sa sélection pour le Long Distance Shootout ne le console pas :

« Si je ne peux pas être All-Star cette saison, quand pourrai-je l’être ? Je ne sais pas comment je dois prendre cette injustice. L’invitation pour le concours à 3-points, non merci, je n’en ai pas besoin, je veux être sur le terrain ! ».

Se sentant trahi, Drazen se pose des questions sur son avenir. Pat Riley, alors coach de New York, fait part de son intérêt pour celui qui est élu dans la All-NBA Third Team. On parle aussi d’un retour possible en Europe au Panathinaïkos aux côtés de son grand ami, Stojan Vrankovic.

Tout cela n’arrivera malheureusement pas. La carrière et la vie du prodige se terminent en juin 1993 sur une autoroute allemande. Le monde du basket est en deuil. Il vient de perdre l’un des plus gros taffeurs qu’il ait connu. Il vient surtout de perdre un véritable pionnier qui aura fait tomber toutes les barrières, tous les préjugés américains sur les ballers européens. Sans lui, Nowitzki serait à Barcelone. Sans lui, Tony Parker, après avoir offert le titre Pro A au PBR, serait parti au Pana pour une poignée de dollars. Son talent, sa volonté de dingue, sa haine de l’échec lui auront permis de devenir l’un des meilleurs joueurs NBA et surtout d’ouvrir les consciences.

Un seul joueur ne craignait pas la Dream Team : Drazen Petrovic

Le documentaire "Once Brothers"

Attention, sortez les boites de mouchoirs parce que ce documentaire est une petite merveille.

Réalisé par ESPN et avec Vlade Divac comme narrateur, ce docu retrace les carrières des meilleurs joueurs de la dernière grande génération yougoslave et la façon dont la guerre les a déchirés. Aujourd'hui, on peut encore se demander jusqu'où cette équipe aurait pu aller si elle n'avait pas éclaté. Images d'archives, témoignages poignants et sincères, Vlade, Toni Kukoc, Zarko PaspaljDino Radja et d'autres se remémorent ces années troubles et partagent leur admiration pour celui qui était peut-être le plus talentueux d'entre eux, Drazen Petrovic. Frissons garantis.

Drazen Petrovic en images

Drazen Petrovic face à Michael Jordan

Drazen Petrovic Vs Michael Jordan aux JO de Barcelone

Drazen Petrovic à l'Euro 1989

Drazen Petrovic score 44 points face aux Rockets en 1993

Le livre

Todd Spehr, « Drazen: The Remarkable Life and Legacy of the Mozart of Basketball »