Marcus Smart : la jeunesse tragique de l’âme des Celtics

Marcus Smart a vaincu l'adversité et une jeunesse cauchemardesque pour s'offrir une vie et une carrière en NBA. Voici son histoire.

Marcus Smart : la jeunesse tragique de l’âme des Celtics

Public Enemy

A force d’être spectateur de cette violence, il en est devenu acteur. Le bébé né prématurément un soir de mars 1994 a beau être désormais plus grand, plus costaud et plus mature que les garçons de sa tranche d’âge, il n’en restait pas moins un enfant. Il ne pouvait être préparé à encaisser la mort de l’un de ses grands frères, à craindre celle d’un autre ni à devoir assumer autant de responsabilités au sein du foyer. Surtout à une période où ses seules préoccupations auraient dû être de s’amuser avec ses potes et d’assurer à l’école.

Marcus Smart

Mais d’être coincé là, au milieu de tout ce vacarme, lui a fait perdre goût à la vie. Il était toujours là physiquement, mais son esprit n’y était plus. Enterrées, les leçons de Todd sur l’importance d’être propre sur soi. Marcus Smart a troqué les chaussures neuves pour des baskets trouées, le sourire pour une mine renfrognée. Il brûlait de l’intérieur et il suffisait d’un rien pour que les flammes ne se propagent.

« Même les plus petites choses pouvaient me faire partir au quart de tour. Un simple regard me faisait démarrer tellement j’étais en colère. »

Il est déjà difficile pour un adulte de dompter ses frustrations, alors pour un enfant du tristement célèbre « 1500 blocks », lieu des rencontres hostiles entre les non moins fameux Bloods et Crips à Lancaster, c’était pratiquement impossible. La haine a alors pris le contrôle. Il s’est réfugié derrière elle pour se construire un personnage qui n’était pas le sien, lui qui a pourtant si souvent été qualifié de « gros nounours » par ceux qui ont eu l’occasion de le côtoyer durant son enfance, puis ses années universitaires.

« Les autres élèves me regardaient comme un criminel. Alors je me suis construit cette personnalité de méchant, ce gars à qui vous n’avez pas envie de parler et que vous ne voulez pas faire chier. »

« J’étais devenu accro au rush d’adrénaline »

Il n’arrêtait pas de se battre. Deux, trois fois par semaine. Des batailles rangées et des têtes à têtes réglés aux poings, puis au couteau ou avec toute autre arme disponible, comme le sol en béton sur lequel il a explosé plusieurs fois la tête d’un autre élève bagarreur.

« Ils ont dit que je l’avais presque tué. »

Il s’est aussi mis à traîner de plus en plus dans les allées sombres de Lancaster, développant son sens de la compétition à travers une discipline complètement différente. Il aimait balancer des pierres sur tout type de cibles depuis les balcons des appartements du « 1500 blocks ». Voitures, vitres, passants, tous devenaient de potentielles victimes de ses projectiles.

« J’étais devenu accro au rush d’adrénaline », confesse-t-il.

Jusqu’au jour où il a fini par atteindre la mauvaise personne. L’adrénaline a alors laissé place à l’instinct de survie et aux prières.

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Plus vite que les balles

Michael l’avait pourtant incité à ne pas jeter de pierres. Il l’avait prévenu. « Un jour, tu vas toucher le mauvais gars. » Le mauvais gars, c’est un membre des Bloods qui zonait en vélo, capuche sur la tête, dans les rues à proximité du perchoir qui faisait office de repère pour Smart et ses compères. Et autant dire qu’à l’époque, le gamin de douze ans était plus adroit avec un pavé à longue distance qu’il ne l’est aujourd’hui avec une balle orange.

Bam ! Quelques minutes à peine après s’être esclaffé avec son pote, tout fier d’avoir réussi à toucher le caïd en bécane, il cavalait entre les voitures rangées dans le parking du complexe immobilier, en priant pour son salut.

« S’il vous plaît, sortez-moi de là. »

La mort avait retrouvé sa trace.

« Vous avez déjà vu ‘‘Massacre à la tronçonneuse’’ ? Imaginez ce gars-là tout près de vous avec sa tronçonneuse. C’est ça que j’ai ressenti. Je n’arrêtais pas de me demander si j’allais mourir. »

Sauf que ce n’était pas une scie électrique de cinéma mais un gun tout ce qu’il y a de plus réel qui était brandi dans son dos par son assaillant, vexé par les deux effrontés et déterminé à se faire vengeance. Les balles ont fusé mais, par chance, aucune n’a trouvé sa cible. Un épisode traumatisant et une promesse, celle de mieux faire s’il venait à s’en sortir vivant.

« J’ai cru que j’allais mourir. »

L’agresseur a fini par lâcher l’affaire quand il a reconnu le frère de Michael. Ce même Michael qui n’a pas hésité à menacer les propres membres de sa meute de faire parler la poudre si quelque chose venait à arriver à son petit frangin en guise de représailles. Pour Marcus Smart, il était temps de changer d’atmosphère.

« Vivre une expérience comme ça, aussi jeune, ça vous change. Cela vous rend plus humble », confiait-il au Boston Globe à son arrivée en NBA.

Marcus Smart Boston CelticsLes Smart ont donc déménagé en direction d’un autre quartier de la ville. Leur plus jeune fils a pris conscience de la haine qui le rongeait et il s’est même inscrit à des cours pour apprendre à mieux canaliser ses émotions. Surtout, il s’est investi pleinement dans sa passion pour le basket, celle qui animait son frère Todd, ancienne star locale lorsqu’il était encore un lycéen.

« Je suis tombé amoureux du basket. »

Il a délaissé les terrains de football pour les parquets, mais il a gardé la même agressivité.

« Se battre avec Hulk à ses côtés met en confiance. C’est ce que vous ressentez en jouant avec Marcus Smart », comparaît l’analyste et coach Fran Fraschilla.

Sa cote n’a cessé de grimper. D’abord à Lancaster, puis dans tout le pays jusqu’à ce qu’il soit considéré comme l’un des meilleurs joueurs universitaires des Etats-Unis, lors de ses deux années passées à Oklahoma State. Son image d’ennemi public a pourtant continué de lui coller au jersey. Même à l’université, alors qu’il était pourtant rangé, il restait parfois encore catalogué comme le bad boy du sud de Dallas et il n’était pas rare que ses adversaires essayent de jouer là-dessus pour le faire déraper.

« Je ne joue pas seulement pour moi, mais pour mon frère, pour ma famille. »

Marcus Smart n’a ainsi pas su contenir ses nerfs face à un supporteur adverse lors d’une rencontre entre Oklahoma State et Texas Tech. Une insulte – « raciste » selon son frangin Michael – l’a poussé à gifler l’insolent en direct à la télévision. Une baffe qui lui a valu trois matches de suspension, mais qui, fort heureusement, n’a pas eu trop d’incidence sur l’avis que se faisaient les scouts pros à son encontre. Devenu le chien de garde défensif des Boston Celtics après avoir été sélectionné en sixième position lors de la draft 2014, il a prouvé qu’il avait désormais la tête bien vissée sur les épaules.

Marcus Smart n’est peut-être pas l’un des acteurs les plus talentueux de la ligue, mais sa détermination sans faille a fait de lui un rouage essentiel du succès de son équipe.

« J’ai toujours joué dur. C’est comme ça que j’ai été élevé. Je ne joue pas seulement pour moi, mais pour mon frère, pour ma famille. »

Le basketteur est simplement le reflet de l’homme. Un battant qui a su reprendre le contrôle après avoir encaissé les drames les uns après les autres. Son histoire aurait très bien pu être celle d’un autre gosse de Lancaster, un de ces anonymes qui finissent en prison ou à la morgue. Mais la sienne est unique. Dingue. Belle même, maintenant qu’il s’est délivré de sa colère pour en faire une force. Il a perdu des êtres chers mais ils revivent à travers lui. Ils l’animent. La mémoire dans la peau. La mort loin derrière. Le désir de vengeance écarté. Et toute la vie devant lui.