Reggie Jackson, futur grand, à OKC… ou ailleurs

Reggie Jackson a changé de dimension, menant avec une étonnante maturité le jeu du Thunder. Le retour de Russell Westbrook va-t-il freiner son élan ?

Reggie Jackson, futur grand, à OKC… ou ailleurs
Reggie Jackson a frappé aussi fort dans la porte laissée entrouverte par la rechute de Russell Westbrook mi-décembre que son légendaire homonyme, de son vrai nom Reginald Martinez Jackson, Hall of Famer de la MLB, frappait dans la balle, durant ses 21 saisons passées en Major League de 1967 à 1987. [caption id="attachment_130479" align="alignright" width="263"] L'autre Reggie Jackson.[/caption] Vainqueur de cinq World Series avec les Oakland Athletics et les New York Yankees, le champs-droit aux 563 home-runs s'était vu affublé du surnom de "Mister October" pour sa capacité à exceller au bâton en postseason. A Big Apple, personne n'a oublié les trois home-runs de ce fantastique gaucher, face à trois lanceurs différents (Burt Hooton, Elias Sosa et Charlie Hough), lors du match 6 des Finales 1977, face aux Dodgers de Los Angeles, dans l'enceinte mythique du Yankees Stadium. Le jeune Reggie Jackson, qui vit une emballante troisième saison avec OKC (leader à l'Ouest, 43-12, et meilleur bilan de NBA), est évidemment à des années-lumières d'une telle carrière et d'un tel palmarès. Mais petit à petit, Reggie fait son nid dans l'enceinte douillette de la Chesapeake Arena. En quelques mois, sa carrière dessine enfin une trajectoire ascendante, lui qui faisait partie de ceux qui avaient ressenti à l'été 2012 la pression (prématurée, évidemment) de devoir compenser, alors qu'il venait d'achever sa saison rookie (3,1 pts à 32,1% en 11,1 minutes), le départ de James Harden pour Houston.

Bien plus qu'un simple back-up

Depuis, le 24ème choix 2011 (encore une sacrée trouvaille de Sam Presti et sa bande !) a fait du chemin et c'est peu de le dire. Back-up de Russell Westbrook à la mène, celui qui avait été élu Mr. Basketball du Colorado en 2008 (comme un meneur de renom, Chauncey Billups, de 1993 à 1995), a été projeté sur le devant de la scène après la blessure de RW, au 1er tour des playoffs 2013, face à Houston. Même si le Thunder, trop juste qualitativement, a fini par tomber en demi-finale face aux Grizzlies (1-4), Jackson a fait étalage d'une étonnante maturité, signant des statistiques prometteuses (15,3 pts, 5,3 rbds et 3,7 assists) lors de ses 9 titularisations. A chaque chose malheur est bon, et le paradoxe suivant est apparu aux yeux du public d'OKC : la blessure d'un meneur All-Star a permis le développement rapide d'un "prospect", en même temps qu'elle a permis au front-office du Thunder de découvrir (ou en tout cas d'avoir la confirmation) qu'il détenait en Jackson bien plus qu'un simple back-up. Un peu à l'image de Paul George (toutes proportions gardées, bien sûr), Jackson s'est révélé aux yeux du public - en même temps qu'il s'est révélé à lui-même - lors des playoffs 2013, saisissant parfaitement sa chance, quelques mois après avoir été envoyé en D-League pour la deuxième fois de sa carrière naissante (son dernier passage en ligue de développement remonte à décembre 2012). Ce parcours sinueux fait écho à celui de ses années au lycée (Palmer High School, dans le Colorado) et à l'université (Boston College), où déjà, il avait dû attendre ses troisièmes saisons pour franchir un palier très important. Le voilà aujourd'hui dans la peau du meneur titulaire d'une franchise candidate au titre, endossant avec un précieux sang-froid la pression que cela induit.
"La pression explose les tuyaux ou engendre des diamants ("Pressure bursts pipes or makes diamonds", pour reprendre une formule chère à Robert Horry et au rappeur Joe Budden - ndlr). Je reste cool par rapport à ça. J'ai (déjà) beaucoup d'attentes envers moi-même. Je suis juste heureux d'avoir plutôt réalisé un bon match ce soir et, plus important encore, de repartir avec la victoire", confiait-il le 5 janvier dernier, après avoir signé contre Boston son record en carrière (27 pts, score qu'il a depuis égalé sur le parquet des Spurs, avec 8 assists et la victoire en prime le 24 janvier).
Ces dernières semaines, Jackson accumule les bonnes performances et sa complémentarité avec Kevin Durant, qui l'a pris sous son aile (d'albatros), est l'une des explications du tonitruant parcours d'OKC, au même titre que la saison phénoménale de KD, la forte progression offensive de Serge Ibaka et l'apport de Jeremy Lamb, par exemple. Il suffit de comparer ses stats 2012-2013 et 2013-2014 pour mesurer l'impact de Jackson, candidat au titre de 6ème homme avant la rechute de Westbrook (pour prétendre à ce titre, un joueur doit avoir débuter davantage de match sur le banc que comme titulaire) et qui devrait recevoir des votes dans la course au MIP, même si son statut de remplaçant et/ou titulaire pourrait quelque peu brouiller les pistes à l'heure du vote.
  • 2012-2013 : 5,3 pts à 45,8% (23,1% à 3-pts), 2,4 rbds, 1,7 assists, 0,4 steals et 0,8 TO en 14,2 minutes.
  • 2013-2014 : 13,6 pts à 44% (31,5% à 3-pts), 3,7 rbds, 4,2 assists, 1,1 steals et 2,3 TO en 28,4 minutes.
Sa progression se lit aussi lorsque l'on reporte ses stats sur 36 minutes, même si elle moins flagrante (à ceci près qu'au poste de meneur titulaire, le jeune Jackson est beaucoup plus exposé qu'en sortie de banc).
  • 2012-2013 : 13,6 pts, 6 rbds, 4,4 assists, 1,1 steals et 1,9 TO.
  • 2013-2014 : 17,3 pts, 4,8 rbds, 5,3 assists, 1,4 steals et 2,9 TO.

Explosif près du cercle

"Slasheur" au talent brut, "faux" meneur, le puissant et athlétique Jackson (1,91 m, 94 kg) se montre néanmoins encore très perfectible offensivement. Son shoot à mi-distance a gagné en constance, mais il n'est pas encore un gage de sûreté. Idem pour son shoot longue distance, même s'il a réalisé un bond en avant notable ces derniers mois dans ce domaine, comme cela avait été le cas lors de son cursus universitaire (42% à 3-pts en junior, alors qu'il était à moins de 30% lors de ses deux premières saisons).
"L'un des principales choses sur lesquelles je dois travailler maintenant, c'est mon shoot à trois points dans le corner", expliquait-il sitôt l'exercice 2012-2013 achevé. "C'est un shoot que j'aurai souvent, en jouant avec des mecs comme Russell et KD", confiait-il l'été dernier dans les colonnes de SLAM.
Lors des playoffs 2013, Jackson avait tourné à 7/17 dans les coins (et à 13/43, soit 30,2%, au total, à 3-pts). Et ce, malgré un défaut dans son geste.
"Durant tous les playoffs, avec mon père, on a remarqué qu'il baissait son épaule gauche (en shootant), surtout lorsqu'il était totalement ouvert", explique son ami et ancien coéquipier de lycée Zach Hawkins, dont le père Rob était assistant à la Palmer High School, le lycée de Jackson.
Cette saison, Jackson est nettement plus à l'aise dans les coins (5/9 côté gauche, 4/9 côté droit) que dans tout autre secteur à 3-pts, le côté droit à 45% étant son talon d'Achille (4/29, soit 13,8%). En revanche, près du cercle, c'est une autre histoire ! Comme en attestent ses dunks rageurs sur Kenneth Faried, Amar'e Stoudemire - ou Javale McGee la saison passée, l'explosif Jackson a des talents de finisseur au-dessus de la moyenne, et même si leurs styles diffèrent totalement, cette aptitude rappelle un certain James Harden.

Voici par exemple, un "floater" efficace de Reggie Jackson, en bout de course, face aux Nets

[youtube hd="0"]http://www.youtube.com/watch?v=CMoPY_4ORec[/youtube]

Une polyvalence défensive à exploiter

Mais à y regarder de plus près, son point fort semble se situer de l'autre côté du parquet, en défense, où là non plus, il n'a pas encore exploité son plein potentiel. Du fait de sa très grande envergure (2,15 m environ), de sa vivacité et de sa puissance, il se montre aussi à l'aise face aux meneurs rapides, sur qui il peut se permettre de prendre un pas de recul grâce à sa longueur de bras (s'il faut contester un drive ou un shoot lointain), que face aux arrières, qu'il tient (ou contient, selon leur calibre) par sa puissance. On l'a déjà vu, par exemple, faire usage de sa mobilité pour contester efficacement une pénétration de D-Wade. Ainsi, Jackson affiche actuellement le 7ème meilleur "défensive rating" (97,9 pts encaissés par son équipe sur 100 possessions) parmi les meneurs/arrières à plus de 28 minutes de temps de jeu. Avec un nom de famille comme le sien, on serait tenté de dire que Jackson est le "Smooth Criminal" de la défense du Thunder, mais vu qu'il côtoie le garde du corps Sefolosha, on se contentera de dire qu'il est "Bad" dans ce domaine. Sa défense en aide demeure parfois aléatoire, tout comme son marquage sur les joueurs sans ballon, mais selon de nombreux observateurs, il a le potentiel pour devenir l'un des meilleurs défenseurs de la ligue, donc un "two-way player" de premier plan. Sa polyvalence dans le jeu fait en quelque sort écho à sa jeunesse multi-culturelle, lui qui, du fait du statut de militaire de son père, a été bringuebalé durant sa jeunesse entre l'Italie (il est né à Pordenone, dans le nord-est du pays, non loin de la frontière avec la Slovénie), l'Angleterre, le Dakota du Nord et la Géorgie. C'est en Géorgie, justement, que le jeune Reggie, 7 ans, a débuté le basket, sur le terrain de la base militaire de Valdosta, avec ses deux frères aînés Travis et Trez, alors âgés de 15 et 17 ans. A la dur !
"No blood, no foul", se souvient Jackson dans les colonnes de l'Oklahoman. "Et même quand il y avait du sang, il n'y avait probablement pas faute."
Sa dureté physique et son aisance naturelle à l'approche du cercle viendrait de là, d'après ses frangins.
"Vous pouvez nous remercier un peu pour ça, parce que beaucoup de ses blessures de guerre et de ses cicatrices remontent à ces matches de basket avec nous", confie Travis en rigolant.
Cet apprentissage "militaire" - et le profil de travailleur assidu qui va avec - n'est pas sans rappeler celui d'un certain Ray Allen. D'ailleurs, certains de ses amis et anciens coaches ont décrit le jeune Jackson comme un "basketball nerd", dont il fallait parfois freiner l'investissement (copyright RayRay, encore).

Un backcourt avec Westbrook ?

Reste à savoir, désormais, comment Scott Brooks va gérer le retour imminent de Russell Westbrook, qui devrait vraisemblablement avoir lieu face au Heat, demain. A priori, Jackson retrouvera son rôle de 6ème homme, lui qui, depuis la rechute de Westbrook mi-décembre, affiche un joli bilan de 20-7 au poste de titulaire. Connu pour systématiquement utiliser le même cinq de départ (Westbrook - Sefolosha - Durant - Ibaka - Perkins), le coach du Thunder tentera-t-il dans les mois qui viennent d'aligner un cinq "small ball", avec un backcourt Jackson-Westbrook, et Durant comme "faux" ailier-fort ? C'est une idée qui fait son chemin dans la tête des fans d'OKC, d'abord parce qu'elle semble offrir davantage de solutions offensives au Thunder. Aussi parce qu'elle permettrait à coach Brooks de ne pas casser la dynamique ascendante de son explosif n°15, ni l'alchimie collective de ces dernières semaines.
"Je ne pense pas que ça nécessitera un ajustement si grand que ça", estimait tout récemment Durant, au micro de Jeff Caplan, de NBA.com. "Il (Westbrook) a de bonnes intentions, c'est un joueur d'équipe avant tout, donc ça va aller."

Nouveau casse-tête en vue pour Sam Presti

Ce casse-tête (tout relatif, certes) s'accompagnera bientôt d'un autre casse-tête, beaucoup plus épineux. Et récurrent, à OKC. Du fait de son éclosion, Jackson, qui sera en fin de contrat à l'issue de la saison 2015-2016, pourrait attirer d'autres franchises désireuses de s'attacher les services d'un jeune meneur mature et polyvalent. A OKC, la règle est simple : Sam Presti ne laisse jamais ses jeunes pousses arriver à la free agency, pour éviter qu'OKC, petit marché, se retrouve tributaire des aléas du marché (et de l'inflation qui va avec). Le GM du Thunder tranche donc dans le vif en amont. Soit en prolongeant son jeune talent dès que possible, à l'image de Durant, Westbrook et Ibaka (Jackson pourra prétendre à une extension dès juillet 2014), soit en se servant de la valeur marchande d'un jeune talent pour amasser des joueurs solides et des tours de draft, comme cela avait le cas quatre jours avant la date limite d'extension possible de James Harden. [caption id="attachment_96212" align="alignleft" width="300"] Reggie Jackson va-t-il marcher dans les pas de James Harden ?[/caption] Ainsi, fin octobre 2012, le front-office d'OKC n'avait pas trouvé de terrain d'entente avec Harden, et avait donc envoyé son 3ème choix 2009 à Houston, où l'attendait un juteux contrat max, en échange de Kevin Martin (depuis parti à Minnesota), de Jeremy Lamb, d'un premier choix 2013 (le  précieux Steven Adams, en l'occurrence), ainsi que de deux autres choix de draft futurs. Disons-le d'emblée : aussi prometteur soit-il, Jackson n'a pas (encore ?) le rendement offensif donc pas la même valeur marchande que James Harden (rappelons, néanmoins, qu'Harden est devenue une superstar à Houston, et pas avant). Et puis les deux joueurs n'évoluent pas au même poste, ce qui n'impliquerait pas les mêmes mises de départ si d'aventure des GM souhaitaient s'offrir Jackson (les arrières "forts" scoreurs du profil d'Harden ne courent pas les rues...). Mais à âge égal quand le "Beardman" avait été envoyé dans le Texas (23 ans), le rendement actuel de Jackson ne laissera aucune franchise insensible.
  • Harden 2011-2012 : 16,8 pts à 49,1% (39% à 3-pts), 3,6 rbds, 4,1 assists, 1 steal et 2,2 TO en 31,4 minutes.
  • Jackson 2013-2014 : 13,6 pts à 44% (31,5% à 3-pts), 3,7 rbds, 4,2 assists, 1,1 steals et 2,3 TO en 28,4 minutes.
A cet instant, à 1,26 M la saison pour Jackson, les dirigeants d'OKC peuvent en tout cas se frotter les mains du rendement de leur meneur. Interrogé par l'Oklahoman, Jackson a joué franc jeu sur la question.
Pour être le meilleur, je pense qu'il faut avoir un rôle de titulaire, et ce de manière régulière. Jouer 30 minutes soir après soir, remporter des championnats. C'est la chose qui me motive au quotidien et ce que je m'efforce d'obtenir", a-t-il confié au journal local.
Bien sûr, sa déclaration n'incite pas forcément au plus farouche optimisme s'il l'on est un fan d'OKC. Mais elle témoigne aussi de l'ambition du joueur, qui pourrait aussi voir d'un très bon oeil de rester quelques saisons de plus dans l'Oklahoma pour jouer le titre avec ses potes, qui plus est dans la franchise qui a misé sur lui à la draft, alors qu'il sortait d'une fac méconnue (notons au passage que les anciens NBAers Michael Adams et Dana Barros proviennent aussi de Boston College). Si l'on examine la grille des salaires d'OKC, Sam Presti devrait avoir davantage de flexibilité dans les mois à venir (Sefo est en fin de contrat cette saison, Perkins le sera la saison prochaine - à 9,4 M la saison !), et même si le trio fort Westbrook - Durant - Ibaka bloque environ 50 M par saison jusqu'à l'été 2016 (si rien ne se passe d'ici-là, KD sera alors free agent), l'ingénieux GM devrait pouvoir débloquer une enveloppe sympathique pour son meneur en devenir. [superquote pos="d"]Beaucoup de GM aimeraient avoir les dilemmes de Sam Presti[/superquote]Mais les dollars ne font pas tout. Pour convaincre Jackson de rester, au-delà du statut de prétendant au titre d'OKC, il faudra être en mesure de lui proposer un rôle épanouissant sportivement. Hors, il est actuellement utilisé au même poste qu'un meneur All-Star a priori indéboulonnable. Bref, on doit déjà cogiter sévère autour de la machine à café dans les bureaux de Sam Presti… D'autant que les dirigeants du Thunder ont un franchise player à satisfaire (pour avoir une chance de le re-signer !), KD n'ayant pas spécialement été emballé (c'est le moins que l'on puisse dire…) à l'époque par le transfert de son pote à Houston. D'un autre côté, on ne va pas plaindre les dirigeants du Thunder. Beaucoup de GM aimeraient avoir les dilemmes de Sam Presti, et les problèmes de son "petit marché" riche en jeunes talents. On a connu pire, comme rançon de la gloire (allô Dan Gilbert ?)… Entre le retour de Westbrook, le (très) possible titre de MVP de Durant, la gestion du cas Jackson et le statut de candidat au titre plus que légitime du Thunder, tout ceci promet encore des mois à venir passionnants à venir du côté d'OKC. Pour Jackson, les données sont simples. Profiter du retour de Westbrook (et de l'attention défensive dont il fera l'objet, comme KD) pour amplifier son rendement actuel. Comme on dit dans le monde de l'entreprise, ce sera du "gagnant-gagnant" pour lui et la franchise qui lui a permis de se faire un nom. Et de ne plus être "l'autre" Reggie Jackson.