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Dans la (très) longue liste des parias du sport professionnel, de ceux qui ont triché dans les grandes largeurs pour arriver à leurs fins (le sprinteur Ben Johnson, la patineuse artistique Tonya Harding, le cycliste Lance Armstrong, le baseballeur Barry Bonds...), il n’est clairement pas le plus célèbre. Mais de tous, Tim Donaghy est peut être celui a jeté le plus grand discrédit sur sa discipline.
Pour qui a suivi à l’époque cette affaire, les répercussions ont été telles, qu’aujourd’hui encore, il est difficile de regarder un match de basket sans penser corruption au moindre coup de sifflet litigieux.
Arbitre NBA de 1994 à 2007, Tim Donaghy a participé à près de 800 matchs de saison régulière et de playoffs, avant d’être condamné à 15 mois de prison fermes par la justice fédérale américaine en 2008 pour avoir parié sur ses propres matchs et avoir transmis des informations confidentielles à des tiers.
Conscientes qu’il leur fallait à tout prix sauvegarder les apparences, les autorités ont alors mis le paquet pour sauver leurs peaux pour le faire passer pour un cas isolé – autant tout le monde se fout du dopage, autant l’existence d’un système de triche généralisé aurait irrémédiablement plombé l’image du basket auprès du grand public et des sponsors.
Ainsi, malgré les zones d’ombre, la version officielle veut que Tim Donaghy n’ait pas truqué un seul match.
Faut-il pour autant y croire ?
Un « dream job »
Lorsque Timothy Francis Donaghy revêt pour la première fois le costume d’arbitre NBA à 26 ans, c’est la consécration. Lui-même fils d’arbitre (son père Gerry Donaghy a longtemps donné du sifflet au plus haut niveau en NCAA), après avoir fourbi ses armes pendant sept ans dans des ligues mineures, il décroche « le boulot pour lequel il est né ».
Désormais membre de ce petit club d’élite (la NBA ne compte qu’environ 70 arbitres officiels dans ses effectifs), son avenir s’annonce radieux (le salaire peut grimper jusqu’à 300 000 dollars par an), d’autant plus qu’il est très vite très bien noté par ses supérieurs.
Coté vie personnelle, c’est en revanche moins ça. Bien que marié et père de quatre enfants, il est du genre à parti au quart de tour. Poursuivi devant les tribunaux à plusieurs reprises (pour avoir menacé le facteur, pour avoir harcelé ses voisins...), si les poursuites ont été à chaque fois abandonnées, son entourage redoute ses fréquents accès de colère.
Aussi caractériel qu’émotif, pour ne rien gâcher, il développe en parallèle une sévère addiction au jeu. Poker, blackjack, golf, football… tout y passe (à commencer par ses nuits et son salaire), tandis qu’au fil du temps ses mises se font de plus en plus élevées.
Et c’est ainsi qu’en mars 2003, il franchit le Rubicon.
La première sortie de route
Jusque-là irréprochable dans son travail, Tim Donaghy finit par céder à la tentation : via un ami à lui agent d’assurance qui lui sert de prête-nom, Jack Concannon, il se met à parier sur des matchs de basketball. Bien que la NBA interdise sans conviction à ses arbitres tout jeu d’argent (à l’exception étrange des courses de chevaux), parier sur le basketball constitue en revanche un interdit majeur tant sur le plan professionnel que sur le plan légal.
Pire, Tim Donaghy ne se contente pas de parier sur des matchs de basketball : il parie sur les matchs de basketball qu’il arbitre !
Si sur la fin de la saison 2002/2003, les deux hommes se limitent à quelques rencontres où ils ne misent jamais plus de 2 000 dollars, dès la saison suivante, ils accélèrent la cadence et misent en moyenne sur une quarantaine de matchs.
À leur décharge, Donaghy se montre particulièrement doué pour l’exercice. Là où un taux de réussite avoisinant les 60% est considéré comme exceptionnel, ses prédictions se révèlent exactes plus de 75% du temps !
Son secret ? À en lire son autobiographie Personal Foul publiée en 2009, tout reposait sur les informations qu’il glanait en coulisses.
« J’ai commencé à parier car je me suis dit que les matchs étaient prévisibles. Que c’était de l’argent facile si on regarde les fautes techniques, les actions litigieuses qui peuvent être sifflées ou non contre une équipe (...) J’écoutais les directives de la NBA, je prenais en considération les rancœurs des arbitres envers certains joueurs ou coachs (...) Ajoutez à cela quelques caprices et certains comportements prévisibles d’arbitres vétérans, et tout ce que j’avais à faire, c’était de parier. La chance n’avait que peu à voir avec tout ça. »
La poule aux œufs d’or
Le truc, c’est que Donaghy est tellement bon que ses talents ne passent pas inaperçus.
En 2006, le bookmaker de Jack Concannon (la personne chargée de placer ses paris NDLR), Peter Ruggieri, s’aperçoit en effet que ses paris sont de plus en plus réguliers, à des mises de plus en plus hautes. Là où auparavant Concannon se contentait de parier quelques centaines de dollars, il observe qu’il mise dorénavant largement au-dessus de ses moyens, parfois jusqu’à 5 000 dollars, non sans remporter le jackpot la plupart du temps.
Hasard de la vie (et du petit monde interlope du pari sportif), Peter Ruggieri connait bien Tim Donaghy avec qui il joue au golf à l’occasion, et sait que Concannon et lui se connaissent. Il ne lui en faut pas plus pour faire le lien.
Ni une, ni deux, Ruggieri en informe l’un de ses associés, un certain James Battista. Bookmaker un peu louche, Battista, qui lui aussi connait Donaghy pour avoir été au lycée avec lui, propose à Ruggieri de se caler sur les pronostics de Concannon en misant autant d’argent qu’il leur est possible – soient dans leur cas, de 30 000 à 100 000 dollars par match.
Si dans un premier temps tout fonctionne à merveille, Battista comprend rapidement qu’il peut rafler encore plus encore s’il traite directement avec Donaghy. Il prend alors contact avec l’une de leur connaissance commune, Tommy Martino, informaticien chez JP Morgan et ami d’enfance de Donaghy, afin de rentrer en relation avec ce dernier sans éveiller les soupçons.
Quand la mafia s’en mêle
Le 12 décembre 2006, Battista, Martino et Donaghy se retrouvent ainsi sur les coups de 23 heures autour de la table d’un bar de l’aéroport de Philadelphie. Battista se fait direct : il exige au préalable que Donaghy coupe les ponts avec Concannon, puis propose de lui « offrir » 2 000 dollars pour chaque match sur lequel il le rencarde avec succès.
En apparence gagnant-gagnant (si Donaghy se plante, il ne perd rien), le deal tient en réalité de l’extorsion. D’une part, parce que Donaghy affirme que Battista l’aurait menacé de représailles en cas de refus (tandis qu’il alerterait de la NBA sur ses agissements passés, « des amis de New York rendraient visite à sa famille à son domicile »), et de l’autre, parce que les 2000 dollars en question ne sont que de la petite monnaie au regard des sommes nouvelles qui vont être générées.
Car oui, petite précision qui a son importance, Battista ne compte plus miser ses propres fonds, mais ceux de la famille Gambino, l’une des cinq familles mafieuses newyorkaises, avec qui il est de mèche (ses fameux « amis de New York ») et qui, flairant le jackpot, souhaite investir plusieurs millions de dollars dans la combine.
Pas de chance, c’est précisément ce move qui va le précipiter lui et ses complices derrière les barreaux.
La fin du match
À mille lieux de se douter de quoi que soit, le FBI a pourtant vent de l’affaire. Non pas que ses agents s’intéressent spécialement aux arrières boutiques de la NBA, mais lorsque début 2007 une balance une source interne les alerte de l’existence de ce nouveau gagne-pain pour la mafia, l’unité en charge de surveiller la famille Gambino se met immédiatement au travail afin de faire tomber ce réseau. Pas des plus fins au téléphone, Battista, Martino, Ruggieri et Donaghy se font griller après quelques mois d’enquête.
Dès lors, le château de cartes s’effondre en un rien de temps.
Convoqué le 15 juin 2007 dans le bureau du procureur général du district est newyorkais, Tim Donaghy passe à table. Il reconnait les noms, une partie des faits, et signe une déposition. Six jours plus tard, des représentants du FBI se rendent dans les bureaux de la NBA à Manhattan pour informer le grand patron de la ligue David Stern.
Le 9 juillet, Tim Donaghy démissionne.
Un plus tard, le 29 juillet 2008, il plaide coupable devant un juge et écope de 15 mois de prison fermes. Idem pour Martino et Battista qui prennent respectivement 366 jours et 15 mois pour des motifs similaires.
L’éléphant dans la pièce
Aussitôt classée, la séquence suscite moult interrogations, à commencer par le fait de se demander par quel miracle un arbitre drogué au jeu, sous la coupe de la mafia, n’ait jamais pris une seule décision qui l’arrangeait ?
Pour la NBA, les choses sont pourtant étonnamment claires. Sitôt le grand public mis au parfum via un article du New York Post publié le 20 juillet 2007 (un mois après que le FBI l’ait informé), David Stern s’est empressé de monter au créneau en conférence de presse pour soutenir que Tim Donaghy a agi seul dans son coin. Qu’il était à l’évidence un criminel, mais qu’il avait été un arbitre « top tier ».
Pour appuyer son propos, il a dans la foulée confié à une commission d’enquête le soin de scruter au peigne fin les matchs arbitrés par Donaghy afin de détecter le moindre coup de sifflet (ou absence de coup de sifflet) litigieux. Son verdict ? Ô surprise, à l’exception d’une décision suspecte lors d’un match entre les Pistons et les Nets le 16 décembre, il a été conclu à la parfaite régularité des rencontres.
Circulez, il n’y a rien à voir donc. Qu’importe si ladite commission était composée en majeure partie d’employés NBA. Qu’importe si sur les 65 matchs sur lesquels Donaghy a admis avoir parié, elle n’en a examiné en tout et pour tout... que 17 !
En revanche, lorsqu’ESPN mène de son côté sa propre enquête en 2019, le son de cloche est différent. Statisticiens à l’appui, il est démontré que Tim Donaghy sifflait plus de fautes contre l’équipe qu’il espérait voir perdre 77% du temps.
Pas en reste, une fois sorti de prison, ce même Donaghy a multiplié les allégations sur la subjectivité du corps arbitral (tel arbitre n’aimerait pas tel joueur, tel arbitre n’aimerait pas telle équipe...) ainsi que sur l’existence de prétendues directives données en coulisses par la NBA (favoriser les grosses franchises face aux petites, privilégier les séries serrées en playoffs...). Certes, il avait un livre à vendre, des frais de justice à rembourser et il s’est fait débunker plus souvent qu’à son tour, mais le narratif ne paraît pas délirant pour qui se souvient de certaines rencontres au dénouement pour le moins bizarre.
Cf. la finale de conférence de 2002 entre les Kings et les Lakers qui avait vu Shaq, Kobe & Co. remonter miraculeusement au score dans le quatrième quart-temps du game 5 grâce aux 27 lancers francs (!) qui leur avaient été accordés.
Tim Donaghy, un mauvais souvenir ?
Plus de 15 ans après les faits, c’est ce que tout fan de basket aimerait croire.
C’est aussi ce que la NBA aimerait faire croire, elle qui a drastiquement renforcé ses contrôles, notamment via l’embauche d’une armée d’analystes en base de données chargés de repérer toute variation un peu brusque (du nombre de fautes sifflées par les arbitres aux fluctuations de mises sur le marché des paris sportifs), la rémunération de contacts dans le milieu du gambling, ou encore une formation accrue du personnel.
Dans un monde du sport business où les intérêts n’ont que peu à faire des principes, pas dit que cela suffise à protéger de la tentation un futur Tim Donaghy.
Sources : 60 Minutes, Vlad TV, ESPN, Basket USA...
