Victor Wembanyama, les Spurs, et le test du marshmallow

DE NOTRE CORRESPONDANT À SAN ANTONIO – Gregg Popovich a choisi la patience avec Victor Wembanyama et les Spurs. Cela implique des concessions.

Victor Wembanyama, les Spurs, et le test du marshmallow

Un enfant est assis à une table, un marshmallow posé devant lui. S’il attend quinze minutes sans engloutir la friandise, la récompense est doublée. C’est le principe de l’expérience menée en 1972 par le psychologue Walter Mischel, à Stanford, pour étudier la capacité des enfants à différer la gratification. Aujourd’hui, ce sont les Spurs de Victor Wembanyama qui occupent le siège du cobaye.

Dans le « test du marshmallow » originel, seul un tiers des 500 enfants a résisté à la tentation. Mais si on répétait l’expérience avec Gregg Popovich, 74 ans, il y a fort à parier que le coach parviendrait à passer quinze minutes devant une sucrerie sans y toucher. C’est ce qu’il fait depuis le banc de San Antonio, à quelques grammes de sucre près.

En NBA, il n’est pas question de confiseries, mais de victoires. Si les Spurs n’en comptent que trois pour le moment, pour deux fois plus de défaites, c’est en partie parce qu’ils ont décidé d’attendre. La franchise ne veut pas brusquer son projet pour quelques douceurs éphémères : elle pense sur le long terme.

Un peu de patience avec Victor Wembanyama

Dans l’immédiat, l’approche suscite des frustrations. L’utilisation de Victor Wembanyama, en particulier, se retrouve sous le feu des critiques. Beaucoup réclament que l’attaque gravite autour de lui, qu’il touche plus de ballons, que les systèmes soient taillés pour lui… Il faut se faire une raison : ce ne sera pas le cas avant un moment. «À ce stade de sa carrière, il apprend beaucoup. Faire tourner le programme autour de lui serait prématuré», estime Popovich. « Wemby », malgré son immense talent, reste « un rookie de 19 ans qui découvre encore la NBA».

Le coach des Spurs tient à aller au bout de sa « période d’observation ». Il laisse à sa star naissante la liberté d’explorer son jeu, plutôt que de chercher l’efficacité sur-le-champ. Cette étape, bien que lassante pour les spectateurs, lui paraît essentielle pour cerner le phénomène et déterminer la direction dans laquelle il doit l’orienter. Après tout, que représentent quelques matches en retrait pour un entraîneur qui a plus de 2000 rencontres à son actif, et dont l’objectif est de bâtir une nouvelle dynastie ?

« C’est un rookie de 19 ans qui découvre encore la NBA. »

Ce processus demande du temps, encore plus avec un athlète d’une telle singularité. Wembanyama a aussi besoin de ce délai. Submergé avant le début de la saison par les «informations, nouveaux schémas, principes de jeu », il a récemment évoqué un «temps d’adaptation» pour s’acclimater au rythme NBA. Alors qu’il cherche toujours sa place au milieu de l’attaque de San Antonio, il est déjà le joueur le plus sollicité de son équipe (27,8 % de Usage rate). Lui confier davantage de responsabilités, surtout balle en main, pourrait compliquer son apprentissage.

Gregg Popovich s’applique, tente d’éviter toute maladresse tandis qu’il trace les contours de son rôle. Il y aura assurément des brouillons, certains partiront même à la poubelle, mais la confiance s’impose. Quintuple champion NBA, architecte de l’une des plus grandes dynasties de l’Histoire du sport, la saveur des « marshmallows » lui est familière. Au moment de la draft, la présence de l’un des meilleurs entraîneurs de tous les temps pour guider un talent générationnel constituait un cadeau aux yeux de tous. Alors, pourquoi douter constamment de ses décisions après seulement neuf matches ?

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Les expériences des Spurs pour l’avenir

La même logique s’applique au reste de l’équipe. Âgés de 23,3 ans en moyenne, les joueurs des Spurs ont encore un long chemin à parcourir et s’arment de patience. «Nous apprenons à jouer avec Vic. Vic apprend à jouer avec nous. Nous apprenons à jouer avec Jeremy (Sochan) à la mène. Keldon (Johnson) essaie toujours de trouver son rythme avec les nouveaux gars», énumère Devin Vassell, l’une des rares valeurs sûres de l’équipe. «Il se passe tellement de choses en ce moment. Nous sommes patients en tant que groupe.»

Tre Jones surpasse Jeremy Sochan en tant que meneur, c’est indéniable. Plus habile à la passe, moins enclin à perdre le ballon, il organise mieux le jeu. L’attaque de San Antonio est nettement plus efficace lorsqu’il entre sur le terrain. Doit-il pour autant intégrer le cinq majeur ? Cela reviendrait à se jeter sur le premier marshmallow. Si « Pop » envisageait Jones comme le maestro de l’équipe à long terme, il ne commencerait pas sur le banc. Il préfère développer un joueur plus jeune et plus prometteur. Il pose les fondations d’un lineup défensif solide. Il travaille la création collective du jeu, Sochan n’étant pas utilisé en tant que pur gestionnaire lorsqu’il porte la balle.

« Il ne va pas devenir Chris Paul en six matches. Il apprend à chaque rencontre »

«C’est la première fois de ma vie que je joue au poste de meneur. Une transition comme celle-ci, c’est rare en NBA. Honnêtement, il y a eu des moments de doutes», confie Jeremy Sochan à Jeff McDonald du San Antonio Express News. Mais le néo-meneur de 2,06 m se sent soutenu par l’organisation, qui se montre compréhensive. «Il ne va pas devenir Chris Paul en six matches», rappelle Gregg Popovich. «Il apprend à chaque rencontre.»

Pour des raisons similaires, Zach Collins continuera de servir de point de fixation pour distribuer le jeu malgré ses 2,6 ballons perdus par rencontre. Il persistera avec ses 3,7 tirs à trois points match, en dépit de sa réussite douteuse de 27,3 %. Collectivement, les responsabilités seront toujours partagées. La franchise explore encore son potentiel, il faut voir au-delà de chaque match. Au-delà même de la saison.

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Deux marshmallows plutôt qu’un

Dans les quinze minutes qui séparent le début de l’expérience et la gratification, il ne se passe rien. C’est ce moment de vide absolu qui confère au « test du marshmallow » sa difficulté. Ainsi, les Spurs essuieront un certain nombre de revers, parfois de manière chaotique, avant que leur processus ne porte ses fruits. Ce sera pénible, mais ce ne sera pas grave.

«En tant que jeune équipe, nous allons connaître des séries de défaites et des moments difficiles pendant la saison»,prévient Wembanyama. « On apprend quand on gagne. On apprend quand on perd. Que nous gagnions ou perdions, nous allons regarder la vidéo et relever les erreurs de l’équipe et de chaque joueur individuellement», complète Popovich. En d’autres mots : ce n’est pas le chemin qui compte, mais la destination.

San Antonio dispose de l’effectif le plus jeune de la ligue — à égalité avec les Pistons — et de la cinquième masse salariale la plus faible en NBA. Pourquoi exiger d’un tel collectif, dernier de l’Ouest avec seulement 22 victoires la saison précédente, une métamorphose instantanée ? Est-il juste d’attendre de Victor Wembanyama, un rookie de 19 ans, qu'il transfigure son équipe dès cette année ? Son arrivée a placé la franchise sous un microscope médiatique qui amplifie l’attention, l’excitation et le sentiment d’urgence des spectateurs, bien plus nombreux que l’année passée. Mais en réalité, elle a surtout fait entrer les Spurs dans leur cocon.

« On apprend quand on gagne. On apprend quand on perd. »

Gregg Popovich veille à l’éclosion de l'ère « Wemby », conscient que ce processus requiert avant tout du temps. Les équipes qui précipitent leur sortie de la chrysalide sont souvent celles qui se retrouvent enlisées dans le « ventre mou » ou qui ne restent que des sensations éphémères. Ce n’est clairement pas l’issue souhaitée.

Si un chemin permettait de progresser et de gagner simultanément, de maximiser à la fois le développement et l’efficacité, toutes les franchises l’emprunteraient. La construction d’une équipe en NBA demande des choix et des compromis. San Antonio privilégie l’avenir, ce qui nécessite des concessions dans le présent. Les fans aimeraient qu’on leur donne les deux marshmallows sans attendre, mais ce n’est pas ainsi que le protocole fonctionne. Il faut prendre de hauteur, voir au-delà de l’immédiat, pour appréhender la situation.

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