Le joueur qui peut faire prendre une autre dimension à Victor Wembanyama

Victor Wembanyama est déjà bon. Mais un playmaker d'élite pourrait l'aider à devenir grand dans les prochains mois ou prochaines années.

Le joueur qui peut faire prendre une autre dimension à Victor Wembanyama

Entre enthousiasme, stupéfaction, fantasmes et légères déceptions par moment, l’expérience Victor Wembanyama après ses deux premières semaines en NBA est plutôt… normale. Et paradoxalement complètement anormale à la fois. Normale, dans le sens où les difficultés qu’il peut rencontrer sont communes à toutes les jeunes stars en herbe de 19 ans. Normale, dans le sens où il est déjà performant et impactant, comme il fallait s’y attendre pour un garçon aussi talentueux. Normale, dans le sens où malgré des attentes absolument irréalistes, il ne s’impose pas non plus dès maintenant comme l’un des quinze meilleurs joueurs de la ligue au bout de dix matches.

Pourtant, chacune de ses sorties sur les parquets prend une dimension toute particulière, qui dépasse justement les normes préétablies. Parce que c’est un basketteur unique. Un « cheat code » ou tout simplement un bonhomme de 2,26 mètres extrêmement fluide sur ses mouvements pour un humain de sa taille, à l’aise balle en main, adroit, technique… le futur de la NBA et du basket ?

Un statut lourd à porter. Parce que si chaque match est une leçon, chaque mach le rapproche aussi du joueur qu’il est censé devenir et donc chaque match suscite, à tort, l’impatience de le voir briller. Comme s’il y avait un fameux moment où Wembanyama deviendrait « him » pour de bon.  Ça ne se fera pas en un jour. Pas en un soir non plus. Depuis qu’il a planté 38 points contre les Phoenix Suns à l’occasion de sa cinquième sortie avec les San Antonio Spurs, le natif des Yvelines a enchaîné avec trois matches conclus à moins de 50% de réussite aux tirs.

Il reste même sur 13 et 14 points. Rien d’inquiétant. Mais ce ne sont pas les standards espérés, là encore injustement, pour celui qui est amené à, peut-être, révolutionner son sport ou en tout cas son championnat le plus relevé. Dans cette société où l’instantanéité est reine, tout le monde veut tout et surtout tout de suite. Alors comment accélérer le processus, si seulement il fallait l’accélérer ? Une question que la franchise texane ne se pose pas forcément mais qui revient auprès des analystes et de ceux qui suivent de près l’évolution du prodige.

« C’est trop important. Les Spurs ont peut-être le meilleur ‘adolescent’ de tous les temps. Ils ont l’un des meilleurs joueurs de la ligue au poste avec Wemby. Ils ont besoin d’un meneur de jeu de plus », souligne Bill Simmons. « TJ McConnell est barré par Haliburton à Indiana. Qu’ils aillent le chercher. Je ne dis pas que San Antonio doit faire les playoffs mais Wembanyama doit jouer avec des meneurs de jeu. »

L’éditorialiste met le doigt sur le débat qui anime les discussions autour de Victor Wembanyama, du moins quand elles ne concernent pas ses actions hallucinantes ou ses performances. Gregg Popovich, coach Hall Of Famer aux cinq bagues de champion NBA et aux plus de 1300 matches gagnés, a décidé d’aligner cette saison un cinq majeur sans « point guard » avec Zach Collins, Keldon Johnson, Devin Vassell et Jeremy Sochan autour du Français. Un groupe officiellement labellisé « expérience 2023-2024 » par l’entraîneur lui-même.

Sochan, 20 ans, 2,03 mètres et neuvième choix de la draft 2022, se retrouve donc aux manettes de l’attaque texane alors qu’il est listé en tant qu’ailier-fort depuis son arrivée chez les pros. Il a certes des qualités de playmaker intrigantes mais il n’est certainement pas amené à jouer meneur par la suite de sa carrière. Ce n’est de toute façon même pas l’idée pour les Spurs. Le but, c’est de le responsabiliser toute une saison dans un rôle qui peut l’aider à grandir ensuite. Le faire sur une année où l’équipe n’a pas le niveau pour rivaliser à l’Ouest donc peu, voire rien, à perdre (paradoxal dit comme ça).

5 questions pour Victor Wembanyama et les Spurs

C’est vrai qu’il y a des moments où Wembanyama donne l’impression de courir pour… rien. Enfin presque. Ce n’est pas tout à fait exact mais c’est le sentiment que ça renvoie. C’est un luxe de pouvoir compter sur un joueur aussi long qui cavale aussi vite et aussi souvent. Certains défenseurs plus puissants peuvent le gêner au poste mais il n’y a personne qui peut l’arrêter une fois qu’il arrive lancé, en mouvement, avec ses bras tentaculaires pour finir au cercle même en sautant de très loin. Si Giannis Antetokoumpo démarre ses Eurostep derrière la ligne des lancers, lui peut le faire des trois-points.

Sauf qu’il arrive qu’il ne soit pas servi quand il démarre en transition. Ou mal servi. La passe dans le mauvais timing. L’absence d’un distributeur précis est marquante dans ces moments-là. Il ne rapporte pour l’instant « que » 0,89 point par possession en transition. Un joueur de son gabarit devrait inscrire plus de points dans ces situations. Surtout une fois qu’il aura continué à prendre du muscle pour résister encore plus aux contacts. Il a le potentiel pour chercher facilement 8 points chaque soir juste en courant en contre-attaque.

 

Victor Wembanyama NBA

Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas assez utilisé à San Antonio, critique qui a pu être émise par moments depuis le début de la saison. Victor Wembanyama ne donne pas toujours l’impression d’être la première option offensive de l’équipe mais son « usage rate » est l’un des plus élevés de la ligue (28,8%) et rivalise avec ceux de superstars comme LeBron James, Zion Williamson ou Nikola Jokic. Il prend 14,8 tirs par match, plus que n’importe quel autre joueur de San Antonio.

Mais l’idée de l’associer à un « pur » meneur de jeu est pertinente. Un joueur avec une bonne vision du jeu et un sens du tempo, capable de l’alimenter aux bons endroits aux bons moments. Ça se voit d’ailleurs que le jeune homme cherche encore ses spots préférentiels. Pour l’instant, il a pris plus de tirs à trois-points dans l’axe (39 tentatives) que depuis n’importe quelle autre zone du terrain. C’est pourtant là qu’il est le moins efficace (30% de réussite).

Lors de son carton contre les Suns, Wembanyama a marqué 18 de ses 38 points dans la raquette. 9 sur 9 dans la peinture. C’est comme si, soudainement, sur ce match, ses partenaires avaient compris qu’ils pouvaient lui balancer la balle le plus haut possible en direction du cercle et qu’il allait de toute manière se débrouiller pour l’attraper et marquer. Mais ce n’est pas forcément facile de reproduire ça à chaque match. Déjà parce qu’il va se faire bouger par moments mais aussi parce que ça implique d’avoir des joueurs capables de donner, là encore, les bons ballons.

42 des 52 paniers inscrits par le numéro un de la draft jusqu’à présent ont pour origine une passe décisives. Il saura probablement un jour se créer son tir tout seul – il le fait déjà mais sans être très efficace – à la manière d’un Kevin Durant mais il a encore besoin des autres pour lui donner de bonnes opportunités de marquer. Tre Jones est celui qui l’alimente le plus en caviars : 12 des 42 paniers viennent du meneur back-up des Spurs, le seul vrai meneur de l’effectif. Zach Collins et Keldon Johnson suivent avec 7 passes. Jeremy Sochan est à 5.

Autre stat un peu brute : Victor Wembanyama convertit 60% de ses tentatives suite à une passe de Jones. Et seulement 24% après une offrande de Sochan. Hors contexte, ça ne signifie pas grand-chose. Chacun peut y lire ce qu’il veut. Quand Jones et Wembanyama partagent le terrain ensemble, ils affichent un différentiel de +18 sur 100 possessions avec notamment 120 points marqués par San Antonio. Ça chute considérablement avec Sochan : -26,8 et seulement 95,2 points inscrits sur 100 possessions.

Victor Wembanyama San Antonio Spurs NBA

Le test à « l’œil nu » va dans le même sens : les Spurs sont meilleurs avec Tre Jones sur le terrain. Mais pas forcément à la place de Jeremy Sochan d’ailleurs. Le cinq le plus intéressant, c’est celui avec les trois cités ci-dessus plus les gâchettes que sont Vassell et Johnson. Un groupe qui n’a joué que 4 petites minutes ensemble pour l’instant (+57 sur 100 possessions même si c’est absolument sans intérêt vu le volume de l’échantillon).

Un Jones ou un McConnell peuvent faire prendre une dimension supérieure au jeune intérieur ou au moins l’aider à gagner en régularité et en efficacité. Mais le joueur susceptible de le « débloquer » n’est pas forcément juste un meneur gestionnaire au sens classique du terme. Il existe plusieurs types de playmakers. Par définition, c’est un joueur capable de créer. Créer des espaces par exemple. Ce n’est pas juste un bon passeur. Stephen Curry est un playmaker ultime sans n’avoir jamais passé la barre des 8 caviars de moyenne à l’exception de la saison 2013-2014, avant qu’il ne soit MVP.

Les Spurs auraient tout aussi besoin d’un guard capable de balancer des trois-points en sortie de dribble. Une réplique potentielle des Curry, Damian Lillard, Trae Young, etc. Un joueur de ce prototype forcerait la défense à faire des choix et faciliterait donc la vie de Victor Wembanyama, qui aurait très probablement plus de ballons et de tirs ouverts dans la raquette. Même un slasheur comme Jaden Ivey – qui cire le banc à Detroit pour l’instant – représente une option intéressante. San Antonio a des picks en rab’ pour monter un ou plusieurs trades cette saison ou les suivantes.

Mais tout ça, ce n’est pas forcément pour tout de suite. Encore une fois, il n’y a pas de pression du côté des éperons. Ce n’est pas nécessaire que tout soit de suite parfait. Il n’y a pas d’autre enjeu que de progresser et de développer les talents cette saison. Sochan ne jouera jamais meneur en NBA. Mais s’il est responsabilisé toute une saison, il fera de nombreuses erreurs et en sortir grandi. Et peut-être qu’il sera un jour un joueur au profil atypique de playmaker/défenseur à la Draymond Green. Parce qu’il aura été maintes et maintes fois forcé de lire le jeu et d’apprendre à faire la bonne passe.

Même pour Wembanyama, c’est un mal pour un bien. Ça lui rend la vie peut-être un peu plus difficile mais ça peut le pousser à renforcer et/ou diversifier son arsenal en maîtrisant complètement son jeu dans l’entre-zone, à cinq, six mètres. De toute façon, dès que les Spurs se remettront à vouloir viser les sommets, ils chercheront ou auront trouvé ce fameux playmaker capable de propulser le Français sur une autre sphère. Et, par ricochet, le géant pourra alors les mener là où tout le monde les attend un jour ou l’autre : tout en haut.