Grant Hill : Les diamants ne sont pas éternels

Alors qu'il fête aujourd'hui ses 51 ans et occupe le poste de directeur de Team USA, nous tenions à rendre hommage à ce joueur extraordinaire qui a été malheureusement stoppé dans son élan par des blessures à la cheville à répétitions. Voici le portrait que nous lui avions dédié dans le numéro 42 de REVERSE.

Grant Hill : Les diamants ne sont pas éternels

Duke il sort, ce joueur-là ?

Jeune, Grant Hill était un athlète d’une grâce inouïe. Un ailier aux foulées immenses mais aux appuis imprévisibles, capable d’effacer les meilleurs défenseurs de la ligue d’un crossover d’une fluidité totale avant d’aller dunker sur les pivots les plus intimidants avec tout juste un petit sourire gêné à offrir aux spectateurs ébahis. À le voir, tout a toujours paru simple, évident même. Entre la facilité qu’il a toujours dégagée, ses bonnes manières de gendre idéal, son enfance dorée et son passage à Duke, le grand public et ses adversaires lui ont vite collé une image de gentil garçon dont il n’a jamais vraiment réussi à se défaire.

Lorsqu’il a officiellement annoncé sa retraite sur un plateau télé, il a eu le malheur de présenter Shaquille O’Neal, Charles Barkley et Kenny Smith, tous présents sur le plateau, comme ses « contemporains ». La réponse de Shaq n’a pas traîné :

« Oh, big word ! Duke University in the house ! »

Aucun athlète ne veut d’une telle image. Dans le sport de haut niveau, gentil garçon, ça veut dire soft… et loser. Grant Hill, pourtant, n’a jamais cherché à s’en défaire, préférant concentrer ses efforts sur la vérité du terrain plutôt que de se disperser pour tenter de modifier une perception du public qu’il ne contrôle pas.

Duke n’a pas attendu son arrivée pour avoir cette réputation et pour se faire haïr. La polémique qui a entouré le documentaire sur le Fab Five de Michigan, lancée par des propos de Jalen Rose particulièrement destinés à Grant, n’a fait que remettre en première page des journaux un sentiment profondément ancré dans l’Amérique du basket. Duke ne l’a donc pas attendu, mais la génération brillante dont il était l’un des piliers n’a fait qu’exacerber la haine envers la prestigieuse université et son programme de basket.

Dans cette équipe orchestrée par un petit meneur blanc teigneux fils d’un mythique coach de high-school (Bobby Hurley) et bâtie autour d’un grand blanc lent au regard ténébreux et au sourire incroyablement arrogant (Christian Laettner), Grant Hill était le lien entre tradition et modernité, un basketteur né au jeu avant-gardiste issu d’une famille exemplaire, père ancienne star NFL, mère sortie d’une université élitiste où elle côtoyait Hillary Clinton.

Grant a beau être naturellement discret et ne pas aimer en rajouter, ses explosions balle en main parlent d’elles-mêmes. Et si son pedigree et une très bonne saison freshman se sont déjà chargés de mettre son nom sur les tablettes de tous les scouts NBA, c’est la finale NCAA 1991 contre Kansas qui annonce son arrivée en grandes pompes au pays tout entier. Humiliés la saison précédente en finale par une équipe de UNLV terrifiante, les Blue Devils ont pris leur revanche en demi-finale, à la surprise générale.

Il leur reste à finir le travail pour offrir à Mike Krzyzewski son premier titre. Le match n’a débuté que depuis quelques minutes lorsque Bobby Hurley balance une passe de alley-oop impossible à Grant Hill, qui réalise un exploit athlétique ahurissant et donne le ton de la finale.

https://www.youtube.com/watch?v=paRAMM3rZw8

Après des Mike Gminsky, des Danny Ferry et des Christian Laettner, l’Amérique découvre le nouveau visage de Duke. Champion universitaire en 1991, donc, et en 1992 (contre le Fab Five), Hill devient le seul maître à bord lors de sa saison junior, marquée par une défaite prématurée contre le California de Jason Kidd, avec qui il partagera le trophée de Rookie Of The Year deux ans plus tard.

C’est lors de sa dernière saison qu’il franchit un palier décisif et comprend que son équipe n’ira que jusque là où il voudra bien la porter. La plupart des jeunes joueurs supérieurement talentueux entourés de coéquipiers douloureusement limités aurait pris ça comme une carte blanche, un permis de shooter. Pas Grant. Soucieux d’impliquer ses partenaires, conscient de l’importance de maintenir leur confiance, il se multiplie, colmate toutes les brèches, passe, prend des rebonds, monte la balle, aide en défense. Et shoote, quand l’occasion se présente. Bien moins forts et complets que les deux éditions championnes de l’ère Laettner, les Blue Devils se rendent pourtant en finale avant de tomber les armes à la main face à Arkansas. Après trois finales et deux titres en quatre ans, Grant est prêt pour la cour des grands.

L’alchimiste

Sur un terrain de basket, Grant Hill est un alchimiste. Il cherche constamment des moyens de créer de l’or à partir de bouts de métal sans valeur apparente. Il a compris très tôt qu’un collectif soudé est bien plus fort que la somme de ses individualités, mais il sait également qu’il faut quelqu’un pour superviser le processus. La colle à Detroit, qui le choisit en 3ème position de la draft 1994 derrière Glenn Robinson et Jason Kidd, ce sera lui.

Bien encadré par l’honorable Joe Dumars, il apprend vite les ficelles du basket pro. De son ancien running back de père, il tient déjà une grande conscience des écueils qui l’attendent en dehors du terrain. Le programme de sensibilisation aux dangers de la vie de NBAer mis en place par la ligue pour essayer d’empêcher les rookies de se retrouver au cœur d’un scandale ou de dilapider leur argent n’a pas vraiment été pensé pour un Grant Hill. Gérer l’extra-basket, il sait déjà faire.

« Marquer 30 points par match n’a jamais été mon but. » Grant Hill

Grant Hill dans SlamPasser d’une saison d’une trentaine de matches avec une bande de potes à la fac à une saison éprouvante de 82 avec une bande de mercenaires, c’est un tout autre défi, d’autant que les attentes à son égard son énorme. Grant démarre sa carrière pro entouré de joueurs atypiques et très oubliables comme Terry Mills, Oliver Miller, Rafael Addison ou Mark Macon. Les Pistons, bien sûr, sont mauvais. Ils font à peine mieux que la saison précédente (28 victoires contre 20), mais la simple présence de leur fabuleux rookie offre des raisons d’espérer.

Deux ans plus tard, Detroit a toujours un effectif bancal mais Hill est plus fort que jamais. Les Pistons gagnent 54 matches grâce à l’ubiquité de leur ailier, qui vient de signer deux des saisons les plus complètes de l’histoire. À 24 ans. Pour leur numéro 17, en avril 1997 (alors qu’il tournait à 21,4 pts à 49,6%, 9 rbds et 7,3 pds), le magazine SLAM lui offre d’ailleurs sa couverture avec ce titre provocateur « Just like Mike. Only better ». Les comparaisons avec Michael Jordan le poursuivent depuis des années déjà, mais Hill les a toujours trouvées injustes.

« Peu importe ce que je pouvais faire. Si jamais je n’arrivais pas à scorer autant que Mike ou si ça me prenait plus de temps que lui de gagner un titre, tout le monde était prêt à dire que ma carrière serait un échec », a-t-il d’ailleurs avoué un jour à Sports Ilustrated.

« Et puis je n’ai jamais été un scoreur. Marquer 30 points par match n’a jamais été mon but. »

Son talent, Grant Hill savait l’utiliser de façon bien plus diversifiée.

« Dans le scoring, Grant n’a pas un instinct du tueur comme Michael », analysait d’ailleurs Doug Collins, qui a coaché les deux joueurs.

« Il peut dominer un match de façon plus subtile, en donnant la balle aux joueurs ouverts, en prenant des rebonds et, en deux dribbles, en permettant à son équipe de jouer la transition comme le faisait Magic quand il était rookie. »

Mais pour cela, il faut être suffisamment bien entouré. La perte d’Allan Houston la saison précédente le prive malheureusement d’un lieutenant acceptable. Il ne lui reste qu’un Dumars vieillissant, des intérieurs sans grand impact et aucune chance d’attirer un autre All-Star. Pendant six ans, Grant Hill se décarcasse pour donner de la crédibilité aux Pistons. Il se force même à devenir un peu plus scoreur lors de sa dernière saison au club (1999-2000), sans pour autant tout sacrifier de sa merveilleuse polyvalence. Mais quand ses Pistons ne manquent pas les playoffs de justesse, ils s’en font sortir systématiquement au premier tour.

Malgré son image de gendre idéal, Grant est un battant, un joueur aussi charmant en dehors du terrain que déterminé dessus. Parlez-en à Alonzo Mourning qui, pensant pouvoir poser un gros écran vicieux sur lui en toute impunité, s’est mangé un plaquage qui aurait privé papa Hill d’un touchdown avant de se prendre un dunk monumental sur la tête quelques minutes plus tard.

https://www.youtube.com/watch?v=dZMmGnK44Eg

Grant Hill était de la même veine qu’un Tim Duncan : calme, introverti, peu enclin à dévoiler ses émotions sur le terrain, mais bien décidé à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Son début de carrière frustrant à Detroit et les blessures qui lui ont dérobé le reste de ses plus belles années auraient pu le pousser vers une retraite dorée.

« C’est incroyable », estimait d’ailleurs Shareef Abdur-Rahim au moment de son premier comeback.

« Si vous prenez tout ce qu’il avait accompli avant d’arriver à Orlando, ça constituait déjà une superbe carrière. Beaucoup de joueurs s’en seraient contenté et auraient pris leur retraite là-dessus. »

Diplômé d’une fac prestigieuse, déjà multimillionnaire, brillant et charismatique, il n’aurait eu aucun mal à se construire un après-basket stimulant et fructueux, comme Magic Johnson a si bien su le faire. Mais le reste de sa carrière est un hommage au jeu, un témoignage de son amour pour le basket. Alors que bien des joueurs ne se bougent vraiment les fesses que lorsqu’ils ont un futur contrat à négocier et lèvent le pied dès qu’il est signé, Grant Hill s’est battu contre la fatalité de chevilles meurtries pour continuer à fouler les parquets NBA jusqu’à plus de 40 ans. Sans revivre ce fabuleux frisson qu’il ressentait à contrôler le jeu à son apogée, mais en véhiculant des valeurs qui ont d’autant plus d’éclat qu’elles sont devenues trop rares.