Luka Doncic est-il vraiment mauvais sans la balle ?

L’ancien coach NBA Sam Mitchell pointait du doigt une faiblesse déjà souvent soulignée chez Luka Doncic : son jeu sans ballon.

Luka Doncic est-il vraiment mauvais sans la balle ?

Les Los Angeles Lakers ont renoué avec le succès en battant les Sacramento Kings (125-101) mais ce n’est pas une victoire contre une équipe mal classée qui va faire disparaître les interrogations autour de la franchise hollywoodienne. Très populaire et donc ultra médiatisée, cette dernière doit composer avec le flot de critiques qui s’abat à chaque petit contre-coup au sein d’une longue saison NBA. Et les Angelenos étaient (sont encore ?) en plein dedans avec trois défaites consécutives assez larges avant de réagir contre leurs voisins du Nord de la Californie. Luka Doncic, superstar de l’effectif, n’a pas été épargné. Le Slovène s’est pris une volée de la part de Sam Mitchell, ancien coach invité d’un podcast.

« Luka Doncic ne sait pas jouer au basket sans avoir le ballon entre les mains. Il ne coupe pas, il ne bouge pas, il ne pose pas d’écrans. Il est excellent quand il a la balle mais il ne fait rien pour rendre les autres meilleurs quand ce n’est pas le cas », estime Mitchell, qui enchaîne ensuite sur une comparaison avec Stephen Curry : « Steph Curry fait les tâches de l’ombre. Il est toujours en train de couper ou de se déplacer sans le balle. »

Luka Doncic est quasiment toujours au contrôle de l'attaque

Personne n’est tombé de sa chaine devant cette analyse de Sam Mitchell. Après tout, pointer du doigt cet aspect du jeu, ou plutôt l’absence de cet aspect du jeu, chez Doncic n’est pas nouveau. Cela fait plusieurs années maintenant que le sujet revient sur le tapis. Mais penchons-nous tout de même sur la question. Il faut déjà comprendre que Luka joue très peu sans la balle. En se fiant aux statistiques avancées fournies par NBA.COM, on se rend compte qu’environ 37% des possessions qu’il dispute le sont en tant que manieur de ballon sur pick-and-roll. 18% sont des isolations. Et 12% des situations de transition. Ça fait donc grosso modo 70% du temps où il est avec le ballon entre les mains. Absolument logique étant donné qu’il est le meilleur playmaker de son équipe.

L’ancien lauréat du COY reproche à la star de ne pas assez couper et on peut noter que cette dernière n’a pas été impliquée sur suffisamment d’actions en tant que « cutter » pour être mentionné sur le site officiel de la ligue dans cette catégorie. Il est en revanche employé en « spot up shooteur » (tir après réception immédiate du ballon) dans environ 9% de ses possessions, pour un rendu de 1,04 point par possession. Pour la petite comparaison, Anthony Edwards et Jalen Brunson, deux autres guards All-Stars qui ont beaucoup la gonfle, sont à 1,33 ppp avec respectivement 13 et 16% de leurs possessions. Cela peut s’expliquer par le fait que ce sont des joueurs plus adroits de loin que leur compère des Lakers (qui tourne à 32% derrière l’arc cette saison). Arrêtons-là avec les chiffres bruts qui peuvent faire mal à la tête. Il faut surtout en retenir que Luka Doncic possède quasiment toujours la gonfle au bout de ses doigts, prêt à opérer sa magie habituelle.

Un joueur désintéressé loin du ballon

Luka Doncic Los Angeles Lakers Austin Reaves

Nous nous sommes penchés sur trois matches différents pour essayer de retranscrire ce qui se passait quand les Lakers se retrouvaient en position offensive. Sur les 10 premières possessions du dernier match (perdu) contre les Houston Rockets, Doncic a pris les commandes sur 7 d’entre elles, que ce soit via un pick-and-roll ou autre. Un échantillon qui correspond aux 70% évoqués plus haut. Ce qui est intéressant, c’est finalement ce qui s’est passé sur les 3 autres possessions en question : 2 pour Austin Reaves et une pour LeBron James. Avec, à chaque fois, un Luka quasiment immobile qui reste derrière la ligne à trois-points sans même faire semblant de participer à l’action.

Nouveau test en début de troisième quart-temps lors d’une victoire contre le Utah Jazz, une rencontre au cours de laquelle il a planté 45 points en l’absence de Reaves. Los Angeles comptait 6 points de retard à la reprise. Il s’est retrouvé impliqué sur 4 des 6 premières possessions du quart-temps avant de sortir. Là encore, quand il n’avait pas la balle, il s’est contenté de regarder. Pas de coupe. Pas d’écran à l’opposé. Pas même une feinte de démarquage.

C’est finalement en remontant beaucoup plus tôt dans la saison, lors du deuxième match d’octobre contre les Minnesota Timberwolves (là encore un carton du Slovène) que l’on a trouvé la trace d’une action particulièrement intrigante. C’est après 7 possessions du même acabit que celles décrites précédemment qu’il y a eu une nouveauté : Reaves, qui remontait la balle, a pressé son coéquipier pour le forcer à bouger et à couper vers le cercle. Doncic s’est alors exécuté avant de ressortir derrière la ligne à trois-points. Un simple mouvement qui a attiré l’attention de la défense, permettant ainsi à AR de ressortir la gonfle sur Rui Hachimura, libre derrière l’arc.

Ce qui est évident, c’est que des mouvements comme celui-là, il y en a trop peu dans le jeu du natif de Ljubljana. Il est tout de même important qu’isoler des possessions, avec un regard uniquement concentré sur un joueur, reste un procédé légèrement faussé. Le constat établi sur Luka Doncic d’après cette vingtaine d’actions analysées serait probablement le même, à peu de chose près, pour un paquet de superstars dans cette ligue. Bon nombre d’entre elles ont tendance à se désintéresser du jeu, ou simplement à rester postées derrière l’arc, les rares moments où elles n’ont pas le ballon.

JJ Redick et le staff aussi responsables ?

JJ Redick Los Angeles Lakers NBA

Il y a aussi une logique de conservation d’énergie pour ces créateurs au taux d’usage très élevé. Jouer autant de picks-and-roll peut avoir tendance à fatiguer les nerfs et le corps, d’où le réflexe un peu facile mais humain de se « reposer » sur les autres possessions. C’est là où l’on en revient à la comparaison avec Stephen Curry, qui est intéressante mais injuste. L’icône des Golden State Warriors présente justement des caractéristiques physiques complètement différentes. Un jeu tout aussi différent. Doncic n’a pas le cardio de Curry. En partie parce qu’il ne travaille certainement pas autant sa condition physique mais aussi parce que leurs données physiologiques ne sont pas les mêmes.

Steph Curry peut courir, naviguer à travers des écrans et couper pendant 40 minutes. Mais peut-il encaisser les chocs et les prises-à-deux réservées aux porteurs de ballon pendant 40 minutes ? Deux corps, deux profils différents. Il y a probablement un peu de fainéantise chez Luka Doncic, qui d’ailleurs tend souvent à ralentir le jeu et à être dans l’hyper contrôle, mais pas que.

C’est aussi une question stratégique. Il appartient en partie aux coaches de mettre leurs joueurs dans d’autres dispositions. Il est possible de « forcer » indirectement le meneur de 26 ans à bouger davantage sans changer la nature de son jeu. Simplement par exemple avec un écran non porteur sur son défenseur direct quand il se retrouve à l’opposé du ballon. On voit parfois les Lakers le faire, avec un Reaves qui remonte la balle, Doncic qui avance parallèlement, prend un écran et récupère de suite la gonfle en étant alors un peu plus lancé, un peu plus en mouvement au moment de poser son premier dribble. Ça lui évite d’attaquer des défenses très en place et souvent prête à recouvrir sur ses passes dans le corner.

JJ Redick pourrait aussi l’impliquer en tant que poseur d’écrans mais, là, ça relève essentiellement de la volonté de la star. Cela fait des années que Luka Doncic évolue en tant que playmaker total, même avec Kyrie Irving autour de lui à Dallas, et ce n’est pas maintenant qu’il va profondément faire évoluer son jeu pour soudainement avoir de nombreuses possessions sans le ballon. Ça n’aurait même pas forcément un immense intérêt. Il faut trouver des formes ou des principes de jeu qui le poussent à se déplacer plus souvent, sans tout révolutionner.

Un effectif à retravailler aux Los Angeles Lakers

C’est vrai que ça reste dommage qu’il ne soit pas plus actif sans la balle. Parce qu’avec sa taille et sa puissance, il pourrait faire des dégâts. Il pourrait couper et essayer d’établir une position préférentielle au poste bas par exemple. C’est une évolution à suivre pour la suite de sa carrière, quand il perdra en vélocité. LeBron James a par exemple ajouté cet élément à son arsenal au fur-et-à-mesure des années. Le plus frustrant, c’est justement le fait que Doncic coupait souvent au Real Madrid, en étant aligné avec Sergio Llull, et même lors de sa saison rookie aux Mavericks. Il sait le faire !

En résumé, ce n’est donc pas qu’il est mauvais sans la balle. C’est plutôt que son jeu « off ball » est quasiment inexistant. Mais d’un côté, c’est normal. Il est déjà tellement fort avec la gonfle ! Il faut aussi profiter au maximum de sa capacité à faire des différences par sa lecture, ses drives, sa qualité de passe, son jeu de feinte, ses un-contre-un, etc. C’est parfois un peu trop simpliste de vouloir constamment ajouter un atout à un basketteur pour en faire le joueur parfait mais la vraie vie, ce n’est pas Matrix : il ne suffit pas d’intégrer des logiciels les uns après les autres pour devenir la personne la plus complète possible.

Pour Luka Doncic, à ce stade de sa carrière, il faut composer avec ses nombreuses qualités et ses quelques défauts. Et construire l’effectif en conséquence, en prenant justement en compte les lacunes du bonhomme. C’est ce qu’avaient fait les Mavs, qui ont su l’entourer parfaitement avant de l’envoyer aux Lakers. Le roster californien n’est pas encore taillé pour le titre. Ça manque justement de joueurs capables de faire ce que lui ne fait pas : couper, jouer en spot-up, exploiter les espaces sans ballon, défendre fort, courir et avoir un impact physique, etc. Cela va prendre encore un peu de temps aux dirigeants pour trouver la bonne formule.