Dans un excellent portrait, The Athletic a mis en lumière l’un des personnages les plus intrigants et controversés de la NBA : Dennis Robertson, plus connu sous le surnom d’« Uncle Dennis ». Depuis plus de quinze ans, l’oncle de Kawhi Leonard joue un rôle central dans la carrière du joueur des Clippers. Son influence et ses méthodes sont aujourd’hui au centre d’une enquête de la ligue sur un possible contournement du salary cap impliquant un contrat publicitaire avec la société Aspiration.
De joueur obscur à banquier respecté
Avant de s’imposer dans les coulisses de la NBA, Dennis Robertson a connu un parcours plus que discret en tant que joueur. Natif de LA, passé par le College of Idaho (Junior College), il s’est distingué comme l’un des meilleurs défenseurs de son équipe, jusqu’à devenir athlète de l’année de son université. Après un court passage dans le basket semi-pro, il s’oriente vers la banque, un secteur où il reste plus de trois décennies et grimpe les échelons à force de travail.
Son rôle auprès de Kawhi Leonard prend une tournure décisive en 2008, après l’assassinat du père du joueur, Mark Leonard, à Compton. Kawhi n’a alors que 16 ans. Dennis Robertson s’implique aux côtés de sa sœur Kim pour aider à élever son neveu. Avec le temps, il devient bien plus qu’un simple parent : le conseiller de confiance d’un futur champion NBA.
Un rôle officiel… et officieux
Robertson n’est pas un agent certifié. Officiellement, c’est Mitch Frankel qui gère les contrats de Kawhi. Mais dans les faits, c’est l’oncle qui mène la danse. Président de la division Elite Athlete de Protocol International, une société qu’il dirige avec son épouse Cheryl Walker-Robertson, il s’est imposé comme le représentant le plus influent de Leonard, celui qui parle au nom du joueur et qui n’hésite pas à s’asseoir face aux dirigeants NBA.
Ses prises de position ont déjà pesé lourd avant le scandale Aspiration : de la rupture avec Jordan Brand pour signer un deal plus lucratif avec New Balance aux demandes folles lors des différentes négociations en 2019, en passant par les tensions avec le staff médical des Spurs lors de la blessure au quadriceps de son protégé. C’est d’ailleurs lors de la fin de l’histoire d’amour entre San Antonio et Kawhi que le grand public a découvert son existence.
Les années Spurs : influence grandissante et tensions
Lorsque Kawhi Leonard rejoint les San Antonio Spurs en 2011, son ascension est fulgurante. Champion NBA et Finals MVP dès 2014, deux fois Défenseur de l’année, il est alors pressenti pour incarner l’avenir de la franchise. Mais c’est aussi à cette période que l’influence d’Uncle Dennis commence à se faire sentir.
Selon plusieurs témoignages recueillis par The Athletic, Robertson s’implique fortement dans la communication entre Leonard et le staff médical, notamment lors de la mystérieuse blessure au quadriceps qui limitera le joueur à seulement neuf matches en 2018. Les incompréhensions autour de son état de santé provoquent un climat de méfiance. « Ils ne croyaient pas que Kawhi ne pouvait pas jouer et cela a entraîné un manque de confiance en nous », expliquait Dennis Robertson en 2019 à Yahoo Sports. « Dès qu’un joueur dit qu’il n’est pas capable de jouer, il faut le croire. Pourquoi Kawhi aurait-il arrêté de jouer soudainement ? C’est un compétiteur. »
Malgré ces propos, cette question continue d’intriguer. Surtout que comme le rapportait déjà l’Express-News en 2018, l’influence croissante de l’oncle est vue comme une raison majeure de la fracture entre Kawhi Leonard et l’équipe dont il incarnait le futur. Cette fracture est telle que Leonard demande son transfert, mettant fin à l’image d’harmonie qui régnait jusque-là à San Antonio.
L’épisode Toronto : la consécration
Envoyé aux Toronto Raptors à l’été 2018, Leonard retrouve son meilleur niveau. La franchise canadienne, consciente de l’importance de son bien-être, adopte une gestion très souple, réduisant sa charge de travail en saison régulière. Robertson est omniprésent et n’hésite pas à intervenir dans de nombreux détails du quotidien. « Il n’y avait aucune limite aux sujets qu’il allait micromanager », confie une source citée par The Athletic.
Cette saison unique se conclut par un titre NBA historique et un second trophée de Finals MVP pour Leonard. La victoire, le défilé triomphal dans les rues de Toronto et la reconnaissance mondiale confirment le statut de Leonard, mais aussi celui de Robertson comme acteur incontournable dans son entourage.
Les demandes extravagantes de 2019
Lors de la free agency 2019, Dennis Robertson compte bien exploiter au maximum le nouveau statut de son neveu et multiplie les demandes hors-normes aux franchises : jet privé à disposition permanente, maison, revenus publicitaires garantis, voire une part des actions de la franchise, … Les Lakers auraient réagi en riant face à l’audace de ces conditions, rappelant qu’elles enfreignaient la convention collective. Les Raptors et les Clippers auraient reçu les mêmes requêtes.
« Il n’y a ni début ni fin à ce qu’il pouvait demander », raconte un dirigeant. Un agent ajoute : « Personne ne le contrôlait… Il travaillait sans garde-fous. »
Finalement, ce sont les Clippers qui parviennent à convaincre Leonard en réalisant le trade de Paul George, condition décisive imposée par son camp. Et en proposant peut-être plus ? On le saura prochainement à l’issue des investigations de la NBA, cinq ans après celles faites à l’époque sur ces négociations. Une enquête qui n’avait alors pas démontrer que des avantages « illégaux » avaient été accordés.
Une personnalité clivante
Pour certains, Dennis Robertson est avant tout un oncle protecteur, cherchant à garantir que Kawhi Leonard ne soit jamais lésé. Pour d’autres, il incarne une figure opportuniste, exigeant sans cesse davantage. « J’étais amusé par ça… », se souvient un ancien employé d’équipe. Mais le problème, selon de nombreux dirigeants, n’était pas seulement le contenu de ses demandes, mais leur insistance permanente.
Plusieurs sources décrivent un homme capable de se battre avec la même intensité pour un détail mineur — comme obtenir un sweat-shirt d’équipe aperçu à l’entraînement — que pour des avantages majeurs lors des négociations contractuelles. Une approche perçue tantôt comme de la ténacité, tantôt comme de l’obsession.
Certains dirigeants y voient la traduction d’une philosophie claire : dans une ligue où les équipes cherchent en permanence à maximiser leurs intérêts, Robertson considère normal d’exiger le maximum pour Leonard, au risque de franchir les lignes rouges. D’autres y voient au contraire une absence totale de limites.
Ce contraste alimente l’ambivalence du personnage. Entre la loyauté familiale et une forme de cupidité assumée, Dennis Robertson s’est imposé comme une figure atypique de la NBA moderne, autant redoutée que respectée. Et qui se fiche visiblement de l’impression qu’il fait. Paradoxal pour quelqu’un qui préfaçait ainsi le livre de son épouse : « Tout simplement, les impressions comptent, et vous n’avez que quelques secondes pour marquer les esprits. »
