Le coaching de Gregg Popovich a-t-il coûté le match aux Spurs ?

Certains choix en fin de match de Gregg Popovich ne se sont pas avérés payant. Faut-il pour autant considérer que son coaching est une des raisons de la défaite ?

A 28 secondes de la fin du temps réglementaire, les San Antonio Spurs menaient 94-89. Ils n’ont pas pu empêcher le Heat d’arracher l’overtime. En prolongation, ils étaient menées d’un petit point à 8 secondes du buzzer et avaient la balle de match en main. Là encore, ils n’ont pas réussi à prendre ce Game 6. Pas étonnant donc, dans un match 6 de cette importance que le déroulement de ces instants décisifs soit décortiqué par les observateurs. Du trois-points indécent de Ray Allen à l’impact de Chris Bosh, en passant par la potentielle polémique sur la faute non sifflée sur Manu Ginobili en toute fin de rencontre ou encore l’influence sur le Heat du début des préparatifs pour le sacre des Spurs, tous les moments forts de cette fin de rencontre ont été, sont et seront commentés jusqu’à plus soif. Mais le plus gros sujet de débat, des forums aux plateaux télé, en passant par les bistrots, pourrait être le coaching de Gregg Popovich dans ces instants-clés. Car celui qui est certainement le meilleur coach NBA a fait des choix qui n’ont, pour une fois, pas payé. Et qui font déjà couler beaucoup d’encre. Trois décisions sont principalement discutées par les observateurs.

Les décisions en cause

Après 47 minutes et 32 secondes de jeu, San Antonio menait donc de 5 points. Dans ces moments-là, les Spurs ont l’habitude de switcher sur tous les picks et il leur faut être mobiles et athlétiques, capables de défendre sur plusieurs postes. Pop décide donc de sortir Tim Duncan, remplacé par Boris Diaw. LeBron James rate sa tentative à 3-pts, mais le Heat prend le rebond et le MVP ne manque pas sa deuxième chance. Quelques instants plus tard, alors qu’ils mènent de 3 points, rebelote : Gregg Popovich remplace TD par Babac, LeBron foire un nouveau tir longue distance, mais San Antonio ne contrôle à nouveau pas le rebond. Sans Duncan sur le dos, Chris Bosh arrache le rebond et… the rest is history. [caption id="attachment_117123" align="alignright" width="300"] Sans Duncan sur le dos, Chris Bosh arrache le rebond et… the rest is history.[/caption] Sur cette séquence, l’absence de Duncan pour aider à maîtriser le rebond n’est pas le seul sujet d’interrogation concernant le coaching de Gregg Popovich. Après le 1/2 à 3-pts de LeBron James qui a permis au Heat de recoller à trois longueurs (puisque dans la foulée, Leonard a mis un lancer), San Antonio aurait pu faire une faute sur Mario Chalmers voire LeBron et avoir une douzaine de secondes de possession avec au moins un point d’avance. Les Spurs n’ont pas fait faute et Ray Allen a pu ajouter un nouveau shoot dingue à sa collection. Le troisième choix du coach texan à susciter le débat se situe à la fin de la prolongation. Les Spurs sont menés d’un point et il reste 10 secondes à jouer quand Kawhi Leonard prend le rebond sur un tir manqué de Dwyane Wade. Gregg Popovich, qui venait de faire sortir Tony Parker pour la séquence défensive, aurait pu prendre un temps-mort, pour dessiner une action et remettre Tony Parker sur le terrain. Il ne l’a pas fait. Manu Ginobili a tenté le drive, n’a pas obtenu la faute et Miami a remporté ce match 6.

Des erreurs de Gregg Popovich, vraiment ?

[superquote pos="d"]Cette nuit, Gregg Popovich est resté attaché aux principes de jeu qu’il a instaurés à San Antonio depuis des années[/superquote]Alors forcément (et c’est bien plus facile après coup que dans le feu de l’action), beaucoup se demanderont pourquoi Gregg Popovich a fait ces choix et ce qui se serait passé s’il avait laissé Duncan sur le terrain, s’il avait demandé aux siens de faire faute et s’il avait demandé un temps-mort pour relancer TP. Sauf que c’est justement des choix de ce type qui ont fait des Spurs ce qu’ils sont aujourd’hui. Cette nuit, Gregg Popovich est resté attaché aux principes de jeu qu’il a instaurés à San Antonio depuis des années. Il ne s’est pas laissé submerger par le match et il a juste appliqué un coaching mûrement réfléchi, des principes pesés et considérés longtemps, très longtemps avant ces dernières minutes du match : changer sur les écrans dans les dernières possessions et se donner les moyens de le faire (même s’il faut pour cela se passer de l’un des 10 meilleurs joueurs de l’histoire), ne pas faire faute quand on est à +3 et défendre, ou préférer ne pas prendre de temps-mort pour ne pas jouer la dernière action sur attaque placée.
« Croyez-moi, il avait beaucoup plus de raisons de faire ces choix que n’importe qui de les discuter », expliquait d’ailleurs Manu Ginobili.
Des raisons, effectivement, il en avait. Mettre Tim Duncan sur le banc lors des séquences défensives de cette fin de match se tient parfaitement. Si TD est sur le terrain, les Spurs sont moins mobiles, les écrans et les décalages de Miami plus efficaces. Théoriquement (puisque dans les faits, Danny Green n’est pas exempt de tout reproche sur les deux tentatives dont LBJ a eu besoin pour ramener Miami à 92-94), c’est le meilleur moyen de réduire les chances du Heat de recoller, puisque ça doit permettre d’avoir systématiquement un défenseur pour contester les tirs.. En outre, avec TD sur le terrain, peut-on réellement penser que Spoelstra et le Heat n’auraient pas envoyé le joueur sur lequel il aurait défendu poser l’écran pour le tir de LeBron à 10 secondes de la fin du temps réglementaire ? Comme Boris Diaw, il aurait essayé de gêner James dans sa tentative et, comme Diaw, il n’aurait pas été là dans la peinture pour empêcher Chris Bosh de prendre le rebond. [caption id="attachment_117135" align="alignleft" width="300"] Si Manu avait eu la faute, pas sûr qu'on parlerait encore de ce choix.[/caption] Ne pas prendre de temps-mort à -1 à 10 secondes de la fin était également parfaitement légitime, et même intelligent. Dans ces conditions, pas mal de coaches ont tendance à demander un timeout et mettre en place dans le pire des cas une isolation pour leur star (de très loin la moins efficace de toutes les actions en fin de match), dans le meilleur des cas une forme de jeu au cours de laquelle différents joueurs peuvent avoir la possibilité, suivant la défense, d’avoir un tir ouvert. Sauf que pendant ce temps, l’équipe adverse bénéficie aussi du temps-mort, qui permet non seulement à la défense d’être en place à la reprise, mais aussi de s’être bien mis d’accord sur (ou simplement de rappeler) tous les principes défensifs pendant la séquence à venir : les timeouts dans cette situation favorisent la défense et nuisent à l’attaque (et les chiffres le confirment) : en gros, il vaut mieux attaquer une équipe dont le repli occasionne des failles à exploiter que de miser sur un panier compliqué face à une défense en place, qui a eu le temps de se reconcentrer pour bien défendre sur les grosses menaces offensive adverses. C’est ce qu’a fait SA et Ginobili était à deux doigts de trouver l’accès au cercle ou de récolter une faute.

Fallait-il faire faute ?

[superquote pos="d"]Plus qu’une histoire de raisons, d’arguments et de probabilités, c’est une question de culture de jeu[/superquote]Reste l’histoire de la faute à faire quand on mène de trois points, histoire d’empêcher l’égalisation. L’éternel débat qui divise les coaches. Pour les deux précédentes situations, même ceux qui n’auraient pas pris les mêmes décisions que Gregg Popovich peuvent reconnaître qu’elles se tenaient. Mais les partisans de faire faute pour empêcher l’égalisation auront plus de mal à accepter qu’on mise tout sur la défense plutôt que d’envoyer l’adversaire sur la ligne et d’avoir derrière la possession avec l’avantage. Certainement parce que bien plus qu’une histoire de raisons, d’arguments et de probabilités, c’est une question de culture de jeu. D’ailleurs Gregg Popovich, déjà peu habitué à expliquer son coaching d’ordinaire, a été encore plus expéditif quand on lui a demandé pourquoi ses joueurs n’avaient pas fait une faute :
« We don’t. »
Bien sûr, une faute aurait pu se terminer avec un lancer marqué, un deuxième manqué, un rebond récupéré par le Heat et une opportunité d’égaliser ou de l’emporter. Mais qu’est-ce qui était le plus facile pour Miami, d’un point de vue probabilité ? Mettre un trois-points d’une part, ou prendre un rebond offensif sur lancer (extrêmement dur) ET scorer derrière ? Alors de tout ce qui se dit et pourra se dire sur les choix de Gregg Popovich dans les derniers instants de cette partie, seul le fait de ne pas avoir demandé à ses joueurs de faire faute quand ils menaient de trois points à une douzaine de secondes du termes, ou sur le rebond de Chris Bosh, pourrait lui être reproché. Et encore, difficile de lui en vouloir d’être rester fidèle à des principes qui ont fait de lui le meilleur coach de la ligue et qui ont porté à nouveau les Spurs en Finales NBA alors que cette équipe est annoncée cramée depuis plusieurs années.

Un soutien indéfectible des joueurs

[caption id="attachment_117024" align="alignright" width="300"] Quelle que soit l'issue du match, Pop a toujours la confiance inconditionnelle de ses joueurs.[/caption] Surtout, et c’est certainement là le plus important, ses principes de jeu et son mode de fonctionnement lui ont valu d’avoir le respect de ses meilleurs joueurs, qui ne mettront jamais en doute ses décisions, que Duncan ou Parker soient sur le terrain quand ça compte ou pas :
« Il n’y a aucune question à se poser sur le sujet », expliquait fermement Tim Duncan après la rencontre.
Côté Spurs, personne ne s’en pose. Et Popovich est d’ailleurs déjà passé à autre chose. Il a fait ce qu’il avait à faire, fait les choix qui lui semblaient les plus pertinents, ceux qu’il fait depuis des années, et qu’il fera jeudi soir. Ça n’a pas fonctionné, mais il ne changera pas de plan, car la méthode est éprouvée et a montré qu’elle était la plus efficace.
« Moi, personnellement, je fais toujours confiance à Pop », ajoutait Parker. « Je ferai tout ce que Pop décidera que je fasse. »
Normal, c’est le meilleur moyen d’avoir une chance de décrocher un nouveau titre…