Gordon Hayward, 63 millions et des questions

Gordon Hayward a accepté l'offre de 63 millions de dollars sur quatre ans des Charlotte Hornets. Le Utah Jazz a trois jours pour s'aligner. Mais l'ailier de 24 ans "mérite"-t-il un tel contrat ?

Gordon Hayward, 63 millions et des questions
Après Kyrie Irving, prolongé pour 80 millions de dollars sur cinq saisons par les Cleveland Cavaliers il y a quelques jours, Gordon Hayward sera le prochain joueur bénéficiaire d’un contrat au salaire maximum. Comme l’a révélé ce matin Rick Bonnell, journaliste du Charlotte Observer, le joueur de 24 ans a accepté une offre « importante » des Charlotte Hornets.  Adrian Wojnarowski de Yahoo ! Sports est venu porter le coup de grâce dans la foulée : l’offre en question est de 63 millions sur quatre ans avec une option pour tester le marché au bout de la troisième saison. Hayward pourra signer son nouveau contrat dès demain (le moratorium prend fin le 10 juillet, les contrats sont officiellement signés à partir de cette date) et le Utah Jazz aura alors trois jours pour s’aligner ou non sur le montant proposé par les Hornets. Le grand vainqueur de la journée n’est autre que la star montante formée à Butler, assurée de percevoir le maximum syndical lors des trois ou quatre prochaines années.

contrat maximum, mode d'emploi

[superquote pos="d"]Gordon Hayward aura le même contrat que DeMarcus Cousins[/superquote]Cette offre relance l’éternelle question du contrat au salaire maximum. Qui le mérite ? Qui ne le mérite pas ? Qui vaut vraiment une telle somme ? Quel processus pousse les franchises à proposer de tel contrat ? Plusieurs jeunes joueurs ont ainsi pu bénéficier d’une extension ou d’un deal au maximum à la sortie de leur « contrat rookie » (quatre premières saisons NBA dans la majorité des cas). Kyrie Irving récemment, Paul George, John Wall et DeMarcus Cousins la saison dernière et Gordon Hayward cet été, les dirigeants n’hésitent plus à casser leur tirelire pour conserver leurs meilleurs jeunes ou – dans le cas des Charlotte Hornets – les chopper à d’autres équipes. Le constat est donc le suivant : au-delà de la qualité du joueur et de sa valeur brute, les franchises anticipent sa valeur future et misent sur le potentiel. Il en va de même pour la draft. Dans son ensemble, la NBA est régi selon les lois de l’anticipation. Quand nous analysons le plus souvent les conséquences directes d’un transfert ou d’une offre, les différentes directions de la ligue se projettent trois à quatre ans dans le futur. Les Philadelphie Sixers de Sam Hinkie en sont un très bon exemple. Dans le cas de Gordon Hayward, ses performances actuelles – et celles de son équipe – ne font peut-être pas de lui un joueur susceptible de toucher un salaire annuel autour des 15 millions de dollars mais les dirigeants anticipent déjà le joueur qu’il pourrait devenir d’ici deux ou trois saisons.

Qui est vraiment Gordon Hayward ?

Les Hornets ont peut-être misé trop gros sur Hayward. Mais la réalité du marché actuelle fait qu’une autre franchise l’aurait sans doute fait à leur place si Charlotte n’avait pas pris les devants sur le dossier. La franchise de Caroline du Nord a vu les choses en grand avec l’ailier du Jazz. Dîner avec Steve Clifford, le coach, messages chaleureux à son honneur (« Welcome Gordon Hayward family ») inscrits sur l’enceinte de Time Warner Cable Arena, etc. Alors que les autres franchises attendent avec impatience les décisions de Carmelo Anthony et LeBron James, les Hornets ont immédiatement ciblé l’un des joueurs libres de la catégorie inférieure (LeBron et Melo étant les deux joueurs les plus désirés). Après avoir refusé une offre de 48 millions de dollars sur quatre ans du Jazz, Hayward a donc accepté celle des Hornets. Un nouveau contrat qui – et ce peu importe sa future destination – ferait de lui l’un des jeunes joueurs les mieux payés de la ligue et lui conférerait un statut de star. Mais a-t-il vraiment les épaules pour assumer ce rôle ? A titre d’exemple, Gordon Hayward bénéficiera du même contrat que DeMarcus Cousins la saison prochaine. Drafté en neuvième position à sa sortie de Butler en 2010, il a commencé sa carrière timidement, dans l’ombre de Raja Bell et Andreï Kirilenko, titulaires sur les ailes. Il s’est imposé comme un titulaire à part entière la saison suivante et a même disputé les playoffs, aux cours desquels il n’a pas brillé (le Jazz a été éliminé en quatre manches sèches par les San Antonio Spurs). En progression lors de sa troisième année dans la ligue, il est devenu le jeune joueur le plus coté du Jazz lors de la saison écoulée. Hayward a cumulé 16 pts, 5 rbds et 5,1 pds en 77 matches. Son profil d’ailier complet séduit les franchises. Les dirigeants l’estiment susceptible de s’adapter à n’importe quel système et les coaches le considèrent comme facile à… coacher. Il peut être aligné sur les postes 2 et 3 et est efficace avec ou sans le ballon. Son dribble est susceptible d’être amélioré et il est donc préférable qu’il ne soit pas la première option sur le pick&roll. [superquote pos="d"]Le profil du... parfait lieutenant.[/superquote]En revanche, il pourrait se métamorphoser en menace de plus en plus crédible dans cette configuration du jeu dans les années à venir. Ce n’est pas non plus un très bon finisseur près du cercle (51% de réussite à moins de deux mètres du panier – dans la moyenne de la ligue) mais avec l’expérience et quelques kilos de muscles supplémentaires, il devrait étoffer son arsenal offensif déjà varié. C’est un bon shooteur, même si son pourcentage de réussite aux tirs est en régression saison après saison (de 48,5% lors de son année rookie à 41,3% l’an dernier). Mais Gordon Hayward est capable de prendre feu à tout moment. Le Thunder, qui a encaissé les 37 points du jeune homme un soir de janvier, peut en témoigner. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=barJKRYHZpE[/youtube] Hayward tente encore trop souvent sa chance à mi-distance (environ 30% de ses tirs) pour un pourcentage assez honnête, il est vrai. En développant un vrai shoot à longue distance, il deviendrait un joueur nettement plus efficace. Le natif d’Indianapolis est un peu plus grand que la moyenne des joueurs NBA à son poste (2,03m), d’autant plus lorsqu’il est aligné dans le backcourt. C’est un rebondeur plus que correct et il est capable de créer du jeu pour lui et pour les autres. Quand on y regarde de plus près, on peut en conclure qu’il est un parfait… futur lieutenant (l’anticipation, etc, etc) ! Le genre de troisième ou deuxième option idéale pour une franchise ambitieuse dans quelques années. 63 millions sur quatre ans semble donc un peu cher payé pour un lieutenant.

Les ambitions des Charlottes Hornets

Mais les Charlotte Hornets ont déjà une star en la personne d’Al Jefferson, élu dans le troisième cinq All-NBA cette saison. Terreur du poste bas, le pivot a besoin de soutien, notamment en attaque. On a pu le constater lors des derniers playoffs (défaites des défunts Bobcats 4-0 contre Miami), l’équipe de Steve Clifford souffre lorsque son intérieur ne peut pas assurer son rendement habituel. Pour franchir un cap, les Hornets doivent épauler Jefferson. Et c’est exactement ce qu’envisagent les dirigeants. Qu’il s’agisse de pourcentage de réussite aux tirs, d’adresse à trois-points ou de points marqués par rencontre, la franchise s’est classée dans les cancres de la ligue dans chacun de ces domaines. [superquote pos="d"]Charlotte est désespérément en manque de scoreurs sur les ailes[/superquote]Gordon Hayward semble être le joueur de complément dont les Hornets ont typiquement besoin. Il pourrait profiter des espaces et des prises-à-deux provoquées par Al Jefferson pour obtenir des tirs ouverts à haut pourcentage. Une façon de scorer plus facilement, alors qu’il devait souvent se débrouiller seul à Utah. Le trident Jefferson – Hayward – Walker donnerait aux Hornets trois profils offensifs différents, de quoi faire tourner une machine stéréotypée en attaque. En ce qui concerne la défense, le système de Charlotte devrait masquer les lacunes du jeune joueur dans ce domaine. Hayward n’est pas un mauvais défenseur mais il peine encore à encaisser les écrans tout au long d’une rencontre. Mais cela ne l’a pas empêché d’interception 1,4 ballon par match en moyenne la saison dernière. Les Hornets ont besoin d’une seconde lame en attaque et Gordon Hayward a le profil idéal. C’est un jeune joueur qui devrait s’adapter assez facilement au système de Steve Clifford. Et si jamais il dépasse les attentes… la franchise en sortirait grandie. Les dirigeants veulent profiter des deux années restantes sur le contrat de Jefferson pour aller le plus loin possible et éventuellement bénéficier des ouvertures à l’Est pour atteindre les finales de Conférence.

La balle dans le camp du Jazz

[caption id="attachment_124844" align="alignright" width="300"] Avec Trey Burke, Dante Exum, Derrick Favors et Gordon Hayward, le Jazz dispose d'une base jeune et solide.[/caption] Encore faut-il ne pas oublier que le Jazz conserve la main sur le dossier. Les dirigeants de Salt Lake City disposent de 30 millions de dollars sous le Salary Cap et ils ont affirmé à plusieurs reprises leur intention de conserver Gordon Hayward quel que soit le prix. Adrian Wojnarowski n’a d’ailleurs pas tardé à lâcher l’information à laquelle on pouvait s’attendre : le Jazz a déjà prévu de s’aligner sur l’offre des Charlotte Hornets. La franchise dispose de bons manieurs de ballons comme Trey Burke, Dante Exum ou encore Alec Burks (à voir si le Jazz pourra le conserver, un joueur au profil intéressant) et Gordon Hayward est le relais idéal entre les arrières et le secteur intérieur de Salt Lake City. Maintenant qu’ils ont raté Jabari Parker, la franchise ne devrait pas prendre de risque. Cependant, il y a encore quelques doutes. Les Hornets ont volontairement inclus une clause selon laquelle Hayward pourrait devenir free agent au bout de la troisième saison. Lorsqu’une franchise s’aligne, elle s’aligne également sur les différentes clauses négociées par… une autre franchise au moment de l’offre. C’est ainsi que les Houston Rockets ont mis la main sur Jeremy Lin et Omer Asik en 2012, en appliquant une répartition des salaires plutôt loufoques. En raison de cette clause, Asik et Lin percevront 15 millions de dollars la saison prochaine (ils « comptent » pour 8,3 millions dans le Salary Cap). Le Jazz pourrait craindre de perdre Hayward sans contrepartie au bout de trois ans. En prenant de vitesse un marché qui fonctionne au ralenti, les Charlotte Hornets ont mis les dirigeants de Utah face à leurs responsabilités. C’est à eux de se poser cette question : Gordon Hayward est-il rentable à 63 millions ? La réponse leur appartient désormais...