Ma plus grande peur, c'était que les gens nous prennent pour une nouvelle bande de connards américains qui s'accapareraient leur clubSi ce modèle basé sur les tokens fonctionne, peut-on s'attendre à ce qu'il soit répliqué par d'autres équipes sportives ? Greg Heuss : Je sais que beaucoup d'équipes dans le monde surveillent ce projet et regardent si on sera capables de mener notre mission à bien. Nous sommes un fonds d'investissement. A la base, notre rêve n'était pas de posséder une équipe ici, mais on a dû le faire et c'est très bien. A l'avenir, on se voit aider d'autres équipes via notre modèle et le voir être répliqué s'il fonctionne comme on le croit. A Pau, on parle d'un petit marché. Mais imaginez que ce soit reproduit avec un club comme le PSG, qui a des fans partout dans le monde. Nous, si on fait ça, c'est parce que l'on croit vraiment dans le fait qu'impliquer les fans est fondamental. Ce sont eux et les joueurs qui sont les membres les plus importants d'une organisation. D'ailleurs, tous les employés, de la star Brandon Jefferson à la personne qui nettoie le parquet, vont recevoir un token. Tom Huston : Au bout du compte, la Silicon Valley a établi des standards dans le monde en ce qui concerne les sociétés où les employés sont impliqués dans l'actionnariat. L'industrie du sport est en crise parce qu'il y a un changement du paysage médiatique et que le coût des équipes est absolument astronomique. Le modèle traditionnel ne fonctionne plus. Donc comment fait-on ? Je ne parle pas que des mastodontes qui luttent eux-mêmes pour maintenir leurs budgets scandaleusement astronomiques, mais de tous les autres échelons du sport où le modèle doit changer. Là, on parle du basket, qui n'est pas le sport le plus populaire de France ou sur ce continent. Si on peut prouver que notre modèle peut apporter facilement et rapidement des capitaux, tout en créant un gros engagement pour les fans et de l'attention médiatique, on aura réussi. Vendre un pourcentage du capital au public de manière digitale rend la tâche beaucoup plus simple ensuite pour les dirigeants.
A Marseille, il a parfois été reproché à Frank McCourt de trop déléguer et de ne pas être assez présent. D'autres repreneurs américains ont eu le problème inverse. Quel est ton ressenti personnel sur ton implication et quelle est la perception des gens à Pau ? Tout dépend à qui tu demandes. Ma femme trouve que je suis beaucoup trop impliqué et aimerait que je le sois moins, mais elle n'a jamais trop compris ce que je faisais depuis le début de ma carrière donc ce n'est pas trop grave (rires). Plus sérieusement, évidemment que les choses seraient plus simples si j'étais là plus souvent, mais en arrivant ici on a fait une sorte de pacte. Ma plus grande peur, c'était que les gens nous prennent pour une nouvelle bande de - pardonne-moi l'expression - connards américains qui s'accapareraient le club et ne feraient les choses qu'à leur façon. Du coup, pour éviter cette perception, on a pris un recul important - peut-être trop important, qui sait ? - pour que les gens sachent bien que c'est toujours leur club, leur équipe. C'est aussi pour ça que l'on met ces tokens en vente. On veut que les gens participent au sein de leur équipe. Et pourquoi ne le voudraient-ils pas ? Ma posture est la suivante : il y a une différence culturelle, c'est indéniable. Mais l'avantage que l'on a, c'est que l'on est dans un sport américain. On parlerait de foot, je ne serais pas serein. Mais là, je suis capable d'avoir un avis et de parler de basket avec n'importe qui en toute confiance. Je ne veux pas paraître arrogant, mais le basket est un peu notre jeu et on sait comment fabriquer le produit autour. Tu as déjà été voir des matches NBA, donc tu sais de quoi je parle. On veut pouvoir implémenter des éléments du produit NBA à Pau, sans perdre l'identité et l'histoire. Tom Huston : J'ajouterais que où que vous vous trouviez, quand il y a un nouveau management qui arrive, surtout avec l'aspect international de la chose, il y a une période où la confiance doit se bâtir. Pau est situé dans un coin très particulier de la France. Quand on est arrivé, les gens ne nous ont pas accueilli comme des messies. Les événements récents du côté des Girondins de Bordeaux avec King Street et les mauvais investissements américains ailleurs ne nous ont pas aidés, mais on est en train de surmonter ça. Les premiers mois ont été très difficiles, mais je dirais que l'on arrive à une certaine normalité, surtout maintenant que les gens retrouvent un mode de vie normal post-crise du Covid. On a construit une relation avec les gens et ils ont compris qu'on allait bien faire ce que l'on avait dit en arrivant. Ce n'était pas juste des paroles. L'équipe joue bien et est allée en finale de la Coupe (l'interview a été réalisée la veille du sacre contre Strasbourg, NDLR), même si c'est au staff qu'il faut attribuer ça et pas à nous. Stu Jackson et Takwa Pinero ont aidé à ce que l'équipe aille dans la bonne direction. Après avoir rencontré plein de surprises, de problèmes et de progrès, je suis heureux de la situation qui est la notre aujourd'hui et pour la saison prochaine.History is being made in France 🇫🇷 for the first time ever a professional sports team is offering an economic interest to fans. @EBPLO @LNBofficiel pic.twitter.com/PWF7kwV7yK
— Greg Heuss (@grheuss) April 26, 2022
Bezos ou quelqu'un d'autre mettra forcément 2 milliards pour ramener les Sonics. Pourquoi on ne viendrait pas mettre les 500 millions restants grâce aux fans en les laissant réellement faire partie de la franchise ?Tom, ce n'est pas trop compliqué de gérer une équipe basée en France avec un propriétaire aux Etats-Unis et toi-même qui est basé en Suisse ? Je fais ça depuis très longtemps (plus de 20 ans dans le sport européen, notamment pour développer des événements comme la Ligue des champions, NDLR) et ce n'est pas la première fois que je me trouve au sein d'une équipe multiculturelle. Ce n'est pas un problème pour moi, même si je ne parle pas français. Je sais comment naviguer dans le bain européen, mais surtout comment identifier le talent en termes de management et de direction. C'est quelque chose qui n'est pas simple dans le marché qu'est Pau, avec des gens qui n'ont pas forcément une énorme expérience. Pourtant, le talent est là et il y a plein de jeunes doués mais qui ont besoin d'être formés, c'est comme dans n'importe quel business. Pour créer et répliquer le succès, il faut une philosophie et on l'a. Greg parlait de l'envie de s'impliquer éventuellement dans le retour d'une franchise à Seattle... Greg Heuss : Je veux croire que l'on pourrait le faire si l'occasion se présente. J'aimerais que notre modèle fasse partie du prochain groupe d'investisseurs à Seattle, mais je sais que la vente se fera aux alentours de 2.5 milliards de dollars, ce qui est totalement fou. Je ne crois pas que l'on pourra vendre assez de tokens pour atteindre 2.5 milliards (rires). Cela dit, Jeff Bezos ou quelqu'un d'autre mettra forcément 2 milliards de dollars sur la table. Pourquoi on ne viendrait pas compléter les 500 millions grâce aux fans et les laisser réellement faire partie de leur franchise ? En NHL, les Seattle Krakens ont vendu 30 000 billets de pré-saison en 15 minutes pour leur première saison. Et on parle juste de gens qui veulent acheter une place ! Il y a quelques jours, on apprenait que Angel McCoughtry, la star WNBA, rejoignait le groupe d'actionnaires de l'Elan Béarnais et entendait s'impliquer sur le plan sportif. De quelle manière est-ce que cela se traduira ? Greg Heuss : Il y a une connexion qui s'est faite avec Louisville, une université dans laquelle Rick Pitino, Takwa Pinero et Angel McCoughtry sont allés tous les trois, ainsi qu'un autre de nos investisseurs. C'est Takwa qui nous l'a présentée parce qu'ils sont allés à la fac en même temps. C'est une joueuse WNBA dominante, elle a joué en Europe et est très réputée. Quand on a commencé à lui parler il y a quelques mois, on savait qu'il fallait attendre que le timing soit bon pour elle. Elle a déjà investi dans plusieurs choses, un peu comme Jamal Mashburn, qui est l'un des anciens joueurs NBA avec le plus de succès dans les affaires en post-carrière. Angel se rapproche de la fin de sa carrière et a voulu se diversifier. Elle ne voulait pas seulement associer son nom au projet, mais aussi contribuer. Elle le fera via le développement de l'académie et auprès des jeunes, puis son souhait, qui est aussi le notre, sera d'avoir une équipe féminine professionnelle. Pour nous, ce serait génial d'avoir Angel qui gère ça d'ici et nous dise ce dont elle a besoin. Je sais que le basket féminin grandit vite en France et que le niveau des joueuses est de plus en plus fort. Le rêve d'Angel est aussi de venir en France pour jouer les JO avec Team USA en 2024, puis petit à petit de se concentrer sur les opérations basket à Pau. --- La vente des tokens de l'Elan Béarnais Pau-Lacq-Orthez est accessible sur la page du club.
