Cet article est une tribune parmi plusieurs que nous a envoyé Aurélien. Si un sujet vous tient à coeur ou que vous avez un avis clivant ou tranchant dessus, n'hésitez pas à nous le faire parvenir pour qu'il soit publié.
Qui était vraiment Kobe Bryant ? Porté aux nues pour son génie, en 20 ans de carrière, il a remporté absolument tout ce qu’il était possible de remporter balle en main. Et ce en plusieurs exemplaires : 5 bagues de champion, 2 médailles d’or olympique, 18 sélections au All-Star Game, 2 titres de meilleur marqueur, 2 maillots retirés par les Lakers...
À jamais dans les livres d’histoire, Kobe Bryant ne doit cependant pas son auréole uniquement à ses exploits sur les parquets. Kobe Bryant, c’était plus que du basket. Kobe Bryant, c’était même plus que du sport. Kobe Bryant, c’était avant tout un état d’esprit.
Figure ultime de l’athlète qui se dévoue corps et âme à sa discipline, il ne doit pas cette image au hasard. Bien contraire, Bryant l’a patiemment construite depuis le 18 juillet 2003, jour où il a été accusé de viol par une employée d’un hôtel du Colorado.
Jusque-là petit prodige chouchou de l’Amérique, le scandale est à l’époque tel, qu’il lui vaut de se faire lâcher par tous ses sponsors tandis que le grand public se détourne massivement de lui.
Profondément meurtri, malgré l’abandon de toute poursuite un an plus tard, Bryant souhaite se réinventer pour mieux rebondir. L’inspiration lui vient en regardant cette scène de Kill Bill Volume 2 de Quentin Tarantino où Budd (Michael Madsen) est attaqué par un serpent venimeux planqué dans une valise de billets verts.
« La morsure, le coup porté, le tempérament, c’était moi. C’était moi ! »
Pourquoi l’histoire du basketball ne serait pas la même sans AND 1
D’un coup d’un seul, il décide de se surnommer Black Mamba (le nom dudit serpent venimeux) et d’adopter la mentalité qui va avec, « la mentalité Mamba ».
Drogué de travail depuis toujours, s’il n’a jamais compté ses heures d'entraînement passées à répéter à l’infini les mêmes mouvements, les mêmes shoots, il s’agit désormais de pousser au maximum les curseurs de son jusqu’au-boutisme... non sans habilement se mettre en scène.
C’est ainsi qu’à compter de cette période pullulent les anecdotes sur son abnégation sans limites/sa soif de victoire jamais rassasiée/son perfectionnisme à toute épreuve.
C’est Kobe qui aux JO se lève trois heures avant ses coéquipiers pour s’entraîner trois heures de plus. C’est Kobe plâtré au bras droit qui s’entraîne main gauche. C’est Kobe qui à la mi-temps d’un match convoque ses coéquipiers pour improviser une session vidéo afin d’adapter en direct leur jeu à celui de leurs adversaires. C’est Kobe qui joue avec le talon d’Achille déchiré. C’est Kobe qui demande à Nike de raboter la semelle de sa chaussure de quelques millimètres au talon afin de « gagner un centième de seconde de réaction au démarrage »...
Bref, toutes ces anecdotes qui tournent en boucle depuis 20 ans et qui forcent l’admiration de ses copains « rich & famous », de Michael Jordan (« le seul qui mérite de m’être comparé »), au rappeur Lil Wayne (qui a dédié un morceau entier à sa gloire), en passant par l’ancien designer en chef d’Apple Jony Ive (qui loue « sa curiosité sans pareil »).
Sauf que bon, le Kobe Bryant sur scène n’est pas l’exact reflet du Kobe Bryant en coulisses.
Docteur Kobe et Mister Bryant
Pour qui s’intéresse plus en détail à la biographie du numéro 24, d’autres épisodes beaucoup moins glorieux (et beaucoup moins storytellés) ponctuent son parcours, et notamment en rapport avec ses coéquipiers.
Soliste dévoré par l’ambition, Kobe Bryant cultivait avec ces derniers un rapport de stricte vassalité. Aucune amitié. Aucune camaraderie. Aucun échange qui déborde du cadre professionnel. Tout juste sur le terrain daignait-il leur passer le ballon quand il ne lui était vraiment pas possible de prendre un tir.
[Pour rappel, Bryant était de loin, avant que LeBron ne l'ait à l'usure, le recordman, du nombre de tirs manqués dans l’histoire de la NBA.]
On se souvient évidemment de sa relation épineuse avec Shaquille O’Neal dont il jalousait le leadership, au point d’en arriver aux mains avec lui, puis de provoquer par un coup de billard à trois bandes son transfert. On se souvient aussi de Paul Gasol qu’il n’avait pas hésité à envoyer à terre aux Jeux olympiques de Pékin (non sans inciter en parallèle Dwight Howard et Chris Bosh à « le cogner à la moindre occasion ») alors même que le reste de l’année il jouait avec lui aux Lakers.
Plus généralement, Kobe Bryant, à la manière d’un Michael Jordan avec Kwame Brown, dénigrait/moquait/brimait/insultait ses coéquipiers à la moindre occasion – mais aussi les membres du staff, ses adversaires et ses entraîneurs.
Interrogé un jour par Phil Handy, assistant coach des Lakers, sur la raison pour laquelle il se comportait « comme un trou duc’ », Bryant répondit tout de go « qu’il ne respectait ni leur éthique de travail, ni ne leur faisait confiance ».
Hermétique au qu'en dira-t-on, « Kobe avait les yeux tellement rivés sur son objectif qu’il froissait un nombre incalculable de gens » résumera un jour Tex Winter, le père de l’attaque en triangle qui l’a bien connu.
Moins diplomate, l’ex-Clippers Darius Miles le qualifiera en 2015 de « psychopathe sur le terrain », de « serial killer à la Dexter ».
Prompt à se décrire comme « un tueur » sitôt un micro tendu, Kobe Bryant n’a absolument pas mal pris la chose, bien au contraire, lui qui avant chaque match faisait tourner « en boucle » dans son casque audio... la musique du film d’horreur Halloween.
« Ça me rend psychotique. Ça me renvoie au masque vide d’émotion de Michael Myers. »
Un brin flippant.
Kobe Bryant, un cas clinique ?
Aussi infect avec son entourage que déterminé à écraser la concurrence, selon l’acceptation courante, Kobe Bryant coche toutes les cases du psychopathe qui s’ignore (froideur émotionnelle, absence d’empathie, absence de remords...).
Plus précis, le DSM 5, le manuel de référence en psychiatrie, tendrait lui plutôt à faire pencher le diagnostic du côté du trouble de la personnalité antisociale, le terme qui caractérise désormais la sociopathie – cette tendance générale au mépris et à la transgression des droits d'autrui, « pouvant conduire à des comportements agressifs, sans prise de conscience ni responsabilité » dixit la psychologue Johanna Rozenblum.
Cliniquement parlant, il n’existe toutefois pas de différence fondamentale entre un sociopathe et psychopathe, les experts n’opposant ces deux troubles (il ne s’agit pas de maladies, le discernement n’est pas altéré) que sous l’angle de l’impulsivité (le psychopathe serait un être plus calculateur, alors que le sociopathe serait guidé par sa fougue) et les faisant correspondre à toute une batterie de critère communs.
Parmi eux, bon nombre s’appliquent parfaitement à l’ami Kobe.
- un masque social purement de façade (fausses émotions, charisme calculateur...) : lire ce papier de 2020 où un journaliste qui l’a côtoyé durant toute sa carrière raconte comment il imposait ses réponses aux questions qui lui étaient posées pour coller à l’image qu’il voulait donner de lui
- une très forte estime de soi : trouver insupportable d’être considéré comme moins bon que Michael Jordan, se surnommer d’après un animal qui « touche sa cible à 99% »...
- une indifférence face au danger : vouloir défier mano a mano Shaq, 2m16, 140 kilos
- une incapacité à respecter la loi et les normes sociales : sa reconnaissance de l’absence de consentement de la part de la plaignante qui l’a accusé de viol (« I now understand how she feels that she did not consent to this encounter »)
- un mépris caractérisé des autres/zéro empathie : son agressivité à l’égard de ses coéquipiers, son irritabilité quand aucune caméra n’est à l’horizon
- un goût pour la manipulation (dissimulation, mensonge...) : coucou Shaq, coucou Vanessa
- des relations sociales compliquées : aucun ami chez les Lakers en 20 ans à l'exception de Pau Gasol.
- une absence de remords ou de culpabilité (rationalisation de ses actions) : le traditionnel « C’est mon job » pour justifier son obsession de « tuer la compétition »
Bien sûr, s’il existe également des critères dont Kobe Bryant est exempt (incapacité à assumer un emploi, incapacité à assumer ses obligations financières, toxicomanie...), et s’il n’appartient pas à un article de vulgarisation de répondre de manière tranchée et définitive sur ce sujet, il n’empêche que, psychopathe ou pas psychopathe, sa personne interroge.
Vous avez dit troublant ?
Mettre Kobe Bryant sur un piédestal, ce n’est pas mettre sur un piédestal seulement le basketteur, c’est aussi mettre sur un piédestal les valeurs qui l’animent.
Face A, c’est le beau geste, le travail, la passion, la gagne.
Face B, c’est ce darwinisme social (la survie des plus aptes passe par l’élimination des moins aptes) qui, sous couvert de la victoire à tout prix, justifie tous les travers, à commencer par ce besoin pathologique de rabaisser l’autre.
Se pâmer devant le talent de Kobe Bryant et s’aveugler sur son côté sombre, c’est passer un peu vite sur le fait que « la Mamba mentality » pouvait n’être qu’un prétexte pour se comporter comme le dernier des conn*rds.
Oubliez le strass et les paillettes pour vous imaginer un instant n’importe quel n+1/collègue de travail agir de la sorte avec vous. Toléreriez-vous une telle toxicité ?
Et puis franchement, entre jouer avec un Kobe ou jouer avec un LeBron ou un Steph, dont les palmarès ne rougissent pas de la comparaison, et qui, sans être moins obsédés par la victoire, ont quand même l‘air sacrément plus cool, le choix est vite fait, non ?
Mais pourquoi tout le monde détestait Christian Laettner dans les années 90 ?

Et pourtant il est souvent dans la conversation juste derriere MJ et LBJ, un peu l'impression qu'il a su se vendre bien mieux que d'autres, Shaq, Duncan ou Nowitzki par exemple.
En tant que belge, j'en ai pour preuve qu'il a plus d'une fois vanté les mérites et la mentalité de Didier "DJ" Mbenga alors même que celui-ci n'était qu'un joueur de bout de banc sur les titres de 2009 et 2010 des Lakers... avec DJ en tout cas il y avait une franche camaraderie, il n'est donc pas impossible qu'il ait quand même eu d'autres "amis" que Gasol lors de sa carrière
Il se trouve que je travaille moi même auprès de personnes atteintes de psychopathologies et au risque de vous déplaire, la psychopathologie est une vraie maladie. Bryant n avait, à ma connaissance, pas été diagnostiqué comme tel.
Je crois qu'il faut faire attention aux mots que l' on utilise. Kobe était un homme milliardaire qui avait certainement des accointances pour l effort physique et mental, comme beaucoup de personnes. Mais de là à en faire un psychopathe. Non.
C était certainement un connard, pas un psychopathe.
Mais merci beaucoup.
Soit dit en passant, le DSM 5 est largement, totalement, complètement dépassé aujourd'hui.
Je conçois que Google peut être pratique, mais attention !!
Bien à vous.
Steph celui qui chambre quand il est certain de gagner le match ? On est loin de Kobe qui avait plus de corones.
Lebron ? Le pro de la com' qui ramène tout à lui et n'hésite pas à dire qu'il est le goat ?
Kobe était comme Jordan, très exigeant avec lui-même et avec ses coéquipiers. Je ne sais pas si Steph et Lebron sont plus cool mais il ne faut justement pas l'être. Perso je préfèrerais jouer avec quelqu'un qui me pousse (même si Kobe comme Jordan sont allés trop loin, l'idéal étant quelqu'un comme Bird).