Five-by-five, triple-double : ces « statistiques » surfaites qui obsèdent la NBA

ÉDITO — En NBA, les triple-doubles, five-by-five et autres figures statistiques aux noms ronflants sont érigés en monuments sans réel motif.

Five-by-five, triple-double : ces « statistiques » surfaites qui obsèdent la NBA

Les « five-by-five » n’ont aucune valeur. Celui de Victor Wembanyama, vendredi dernier face au Lakers, a pourtant été perçu comme un exploit. Certes, il n’est que le 15e joueur de l’histoire de la NBA, et le plus jeune d’entre eux, à cumuler au moins cinq points, rebonds, passes décisives, contres et interceptions dans un match. Mais la performance a fait bien plus de bruit qu’elle n’aurait dû.

Le rookie est resté insensible à cet accomplissement statistique. « Je ne peux pas être satisfait dans la défaite », a-t-il écarté en conférence de presse. Son coach, lui, n’y accordait pas la moindre importance. « Il a eu un quoi ? », a interrogé Gregg Popovich, manifestement peu familier avec le terme. « Je ne pense pas en ces termes. Je me fiche de ses statistiques tant qu’il joue bien. » Ce discours contraste fortement avec l’émerveillement généralisé des observateurs.

Les five-by-five, triple-doubles et diverses figures au nom ronflant ont-elles plus de valeur que les autres lignes statistiques ? Probablement pas.

Ces étiquettes sont surfaites. Elles ne reflètent rien de ce qui se passe sur le terrain. Comme un papier cadeau, elles enjolivent la performance, mais elles n’ont aucune valeur en elle-même. Simplement, au lieu de jeter l’emballage, on préfère l’admirer.

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Quand l’esthétique trouble les statistiques

Le 22e five-by-five de l’histoire de la NBA a une rareté incontestable. Le 28 décembre, Victor Wembanyama a néanmoins réalisé le 21e match avec au moins 30 points, 6 passes décisives et 7 contres — dans une victoire, de surcroît. Pourquoi n’a-t-il pas suscité autant d’admiration ? Difficile de l’expliquer, si ce n’est qu’il manque une dénomination tape-à-l’œil à cette ligne de stats.

Pourtant, les critères de ce club ne sont pas plus arbitraires qu’un autre. Pourquoi 10/10/10 plutôt que 9/9/9 ? Qu’est-ce qui fait que le 5x5 est si recherché ? C’est purement esthétique. Notre penchant pour les chiffres ronds et la symétrie, ainsi que les noms accrocheurs que nous avons donnés à ces figures, a façonné ces « prouesses » terriblement spécifiques.

Un seul rebond peut faire toute la différence. Un simple fait de jeu distingue un modeste 25/9/10 — traditionnellement accompagné de l’adverbe « presque » — d’un superbe 25/10/10. Il peut propulser un joueur à la une d’ESPN, Bleacher Report ou même de BasketSession. Une unité renverse l’opinion générale.

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Les joueurs et les coaches NBA, eux, ne s’attardent pas sur ces frivolités. « Les gens surévaluent les triple-doubles », écrivait par exemple Larry Bird dans son autobiographie « Drive ». Dans une interview avec ESPN en 1997, Wilt Chamberlain — pourtant troisième au classement All-Time de la statistique à l’époque — dénonçait la « médiocratie » qui attribue les triple-doubles. « On fait croire aux fans que c’est spectaculaire », regrettait-il, reprochant à l’appellation de camoufler des performances médiocres.

Ces étiquettes sont là pour faire sensation. Elles habillent les statistiques, les rendent plus attrayantes, gonflent leur importance. Elles ne sont pas un outil d’analyse, mais un artifice pour les médias et les fans.

Loin de nous éclairer, ces termes brouillent notre perception des performances. On s’y remet par facilité. Ce sont des raccourcis fallacieux, qui nous donnent l’illusion de saisir l’essentiel, alors que l’analyse du basket est bien plus complexe et nuancée.

Réduire ce qui est déjà superficiel

Les five-by-five et triple-double dépendent d’un box score lui-même remis en question à travers la NBA. L’ensemble est attaqué pour son caractère superficiel, de nombreuses statistiques en sont exclues, et celles que l’on y répertorie sont régulièrement critiquées.

« Les passes décisives sont, de toute façon, une statistique discutable », contestait par exemple Larry Bird, pour justifier son aversion envers les triple-doubles, estimant que celles-ci sont attribuées trop facilement. Les objections de la légende des Celtics sont partagées par de nombreux analystes.

Juger une rencontre à travers le box-score est déjà réducteur et imparfait. Se focaliser sur un triple-double ou un five-by-five simplifie le simplisme.

« Et tant qu’on y est, il y a des “triple-doubles” et des triple-doubles. Quand je vois Magic (Johnson) faire un match avec 15 points, 13 rebonds et 17 passes décisives : ça, c’est un triple-double », continuait Bird. Ces catégories mélangent, en effet, des performances hétérogènes et gomment leurs particularités. Elles mettent sur un pied d’égalité des matches numériquement très différents, et qui le sont encore plus au-delà des chiffres.

On applique l’étiquette sans considération pour le contexte. Ces interceptions, ont-elles mené à un panier ? Ces contres, où sont-ils retombés ? Ces passes, à quel point étaient-elles importantes dans la construction de l’action ? Le match est vidé de sa substance, celle que ni le box score ni aucune statistique ne saisit jamais pleinement.

Un machin-double ou un bidule-par-truc n’est pas mauvais pour autant. Généralement, c’est plutôt le contraire. Mais leur valeur réside moins dans l’emballage que dans leur contenu.

Un triple-double ne gagne pas en valeur parce qu’il forme un alignement de chiffres agréable. Le five-by-five n’a aucune valeur intrinsèque. Que la performance porte un nom ou non, qu’il existe une catégorie pour la classer ou pas, sa valeur ne dépend que d’elle-même : de ce qui se passe sur le terrain, et qui ne se reflète que partiellement dans les statistiques, et de manière encore plus partielle dans ces termes.

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