LaMarcus Aldridge, le héros de Portland

A 28 ans, l'ailier-fort des Blazers joue le meilleur basket de sa carrière. Houston a un problème, mais les Rockets pourraient bien ne pas être les seuls à souffrir dans les jours/semaines à venir... Pendant ce temps-là, Portland rêve.

LaMarcus Aldridge, le héros de Portland
Dire qu'il n'avait signé qu'un seul match à plus de 40 unités en carrière... C'était le 23 janvier, contre Denver (44 points, assortis de 13 rebonds, 5 assists et 2 blocks - les highlights ici). Et franchement, qui aurait pu prédire que LaMarcus Aldridge allait scorer 46 et 43 points - soit les 1ère et 3ème marques offensives en playoffs dans l'histoire de la franchise - pour débuter sa 4e campagne de playoffs ? Chez lui, dans le Texas. La classe. Certes, l'ailier-fort de 28 ans signe actuellement la meilleure saison de sa carrière (23,2 pts & 11,1 rbds en 36 minutes), et son nom figurera en très bonne place dans le tableau des votes du MVP 2014. OK, les Rockets ne sont pas franchement réputés pour leur dureté défensive (103,1 pts encaissés cette saison, soit le 23e bilan de la ligue). Mais quand même… Hausser à ce point son niveau de jeu en playoffs, ce n'est pas donné à tout le monde : seuls Kobe Bryant et LeBron James ont réussi pareilles performances (40 pts coup sur coup en playoffs) parmi les joueurs en activité !
"Il nous a tués", résume tout simplement James Harden dans les colonnes de Sports Illustrated.   "Il rentre des shoots difficiles, il obtient des lancers, il prend des rebonds offensifs (10 en deux matches). Il nous fait la totale et c'est difficile pour nous. On va devoir trouver une solution très rapidement. Soit on gagne le match 3, soit c'est terminé", ajoutait plus tard l'arrière des Rockets sur NBA.com.
Quand on sait que cette saison, Aldridge a établi six de ses sept plus grandes performances au scoring sur le parquet du Moda Center, ça n'augure rien de bon pour Houston lors des matches 3 (ce soir) et 4 (dimanche)…

Une palette offensive XXL

Jusqu'à présent, Kevin McHale n'a pas encore trouvé de solution pour freiner la dynamique du franchise player de Rip City, qui vit sa 8e saison dans le nord-ouest des Etats-Unis.
"On a eu du mal à le gérer toute la saison (26,8 pts & 15,5 rbds en quatre confrontations), et on va devoir essayer de trouver des moyens de l'empêcher d'avoir le ballon dans les mains, parce qu'on n'a pas de réponse contre lui", disait le coach des Rockets après le match 1, qui correspond au record de la franchise pour LMA (46 pts à 17/31), ainsi qu'à la plus belle performance d'un joueur jusqu'ici dans ces playoffs 2014.
Les deux derniers joueurs ayant réussi pareille performance en playoffs (au moins 46 pts et 18 rbds) étaient… Dwight Howard (46-19 le 16 avril 2011 lors d'un Atlanta - Orlando) et Hakeem Olajuwon (49-25 le 15 mai 1987 à Seattle), présent dans les tribunes du Toyota Center la nuit dernière pour supporter ses Rockets et son "élève" Howard.
"On a essayé de changer les choses, parce qu'il nous a eu à l'usure dans la raquette lors du premier match. Ce soir (hier), il a joué sur pick-and-pop et s'est montré mobile, et nous avons eu beaucoup de mal à envoyer du monde sur lui, parce qu'il était en périphérie la plupart du temps. On a essayé de l'empêcher d'avoir le ballon en main autant que possible, mais il a beaucoup utilisé le pick-and-pop", confiait McHale après le match 2.
N'empêche… En tant qu'ancien intérieur, l'ex-Celtic doit se délecter du show Aldridge. Olajuwon aussi. Celui qui permit aux Rockets de signer le back-to-back en 1994 et 1995 aura forcément apprécié l'implication de D12, auteur de 19 points à 8/9 dans le premier acte (32-14 au final). Mais que dire du récital offert par le grand LaMarcus, injouable à mi-distance ? Turnaround jump shots, fadeaway, bras roulés, feintes, pénétrations… La palette offensive d'Aldridge (qui rappelle à Jim Cavan de Bleacher Report celle "du Pat Ewing du début des années 90") est aussi grande que le sont désormais les chances de qualification des Blazers, sur le point de franchir le 1er tour des playoffs pour la première fois depuis 2000 (mais bon, on n'est pas là pour parler des sujets qui fâchent ! - foutu match 7 !!!). Lors des deux premiers matches, LMA a fait preuve de lucidité et s'est adapté - sur les conseils de Terry Stotts, aussi - à la défense texane. Jeu au poste et pénétrations (des exemples ici et ) pour ouvrir le bal, récital à mi-distance pour faire le break avant de retourner dans l'Oregon. Avec quand même, une petite "douceur" pour Omer Asik à l'entame du money-time. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=AYpENOP7cRM[/youtube]   "Délicieuse ironie du sort", comme le fait remarquer Netw3rk de Grantland, Houston et son staff d'analystes férus de 3-pts et de lay-ups (soit les paniers censés être les plus rentables, selon eux) ont péri par le "long-2" honni.
[superquote pos="d"]Que pensent les statisticiens de Houston du récital d'Aldridge à mi-distance ?[/superquote]"Tout le monde a fait beaucoup de boucan sur la façon dont ils allaient défendre sur moi", soulignait LMA après le match 2, dans les colonnes de Sports Illustrated. "J'ai laissé venir le jeu à moi en début de match. J'ai fini par trouvé mon rythme. Le coach a fait un excellent boulot en me faisant changer de position tôt dans le match. Ils ont essayé de faire prise à deux sur moi en début de match, et j'ai pensé que le coach avait une bonne idée en m'envoyant jouer au large. J'ai mis des shoots difficiles. Il n'y avait pas grand chose de facile ce soir."
Ce n'est pas l'impression qu'il a donnée.

A gauche toute !

Le véritable tour de force d'Aldridge ? Réussir à rendre un "long-2" aussi fiable. Un constat assez amusant, quand on sait que pendant longtemps, certains ont critiqué son goût trop prononcé pour les shoots à mi-distance, au détriment de son jeu au poste. Mais il faut bien le reconnaître : côté gauche, à 4-5 mètres, le 2e choix de la draft 2006 est dans son jardin. Son geste, sûr et précis, rappelle la maîtrise d'intérieurs du calibre de Tim Duncan, Dirk Nowitzki et Kevin Garnett, des futurs Hall-of-Famers aux jeux fluides et réfléchis. La shot chart du "Rocket Killer", vu par Kirk Goldsberry de Grantland : A l'inverse, par exemple, d'un Roy Hibbert, géant en panne totale de confiance, LMA est en feu.
"Que fais-tu quand ta maison brûle?", demandait avant-hier Charles Barkley à Kenny Smith, à l'occasion d'une conversation portant sur l'intérieur des Blazers. Réponse de Smith : "Tu dois sortir les enfants de la maison." Sir Charles : "Et bien la maison brûle, en ce moment."
Pendant que l'on cherche toujours à comprendre le sens de cette conversation lunaire, on peut se demander si les "enfants" en question, qu'on imagine être les vis-à-vis d'Aldridge, ne sont pas partis pour traverser une très pénible série de playoffs. Lors du match 2, l'association des "twins towers" Howard - Asik n'a pas enrayé la machine LMA. Pourquoi ne pas envoyer le grand Dwight sur LMA, en espérant que James Harden retrouve de sa superbe offensivement (8/28 puis 6/19 lors des matches 1 et 2) pour contre-balancer la débauche d'énergie de son pivot en défense ? Ou systématiser les prises à deux lors des prochains matches ?
"Terrence Jones est trop petit pour défendre sur lui, et Asik est trop lent", estime Barkley. "Je pense que Dwight doit s'en occuper. Mais le fait de faire prise à deux sur Aldridge pose un problème, parce qu'il ne poste pas vraiment dans la raquette, il poste en dehors. Donc la défense aura beaucoup de chemin à parcourir."

"Incontrable", comme Dirk

Sachant que les Blazers possèdent plusieurs gâchettes à 3-pts (Lillard, Batum, Matthews…), l'opération semble kamikaze - et encore, Portland ne tourne pour l'instant "qu'à" 34% (17/50) derrière l'arc depuis le début de la série. Alors, insoluble, l'équation Aldridge ? D'une certaine manière, on peut aussi considérer que la défense de Houston a réussi son boulot en le maintenant loin du cercle (LMA a tenté 19 de ses 28 shoots loin de la peinture, mais il en a rentré 13 !). Ce que l'on voit, c'est que du haut de ses 2,11m, son shoot est (quasi-)"incontrable", un peu à l'image du shoot sur un pied en reculant de "Wunder Dirk" (et de Durant, désormais).
"J'ai été contré la nuit dernière... mais j'étais fatigué. Par Davis (pas Glen, hein, Anthony - ndlr). Il a de longs bras, et j'étais fatigué ! Je pensais pourtant l'avoir eu avec un petit step-back", plaisantait l'an passé LMA, dans une interview donnée à Grantland. "Quand je verrouille bien mon geste, il est "incontrable", parce que le ballon est trop haut (2,26m d'envergure, ça aide ! - ndlr), et que je suis en fadeaway."
Résultat : avant-hier, même en plantant 38 points de plus que leurs hôtes dans la raquette, même avec un D12 à 32 points, les Rockets ont pris l'eau sous l'avalanche de shoots à mi-distance du "Mr. Fundamentals" de Portland. Une insolence qui rappelle aussi celle d'un certain Rasheed Wallace, le dernier à avoir vécu un deuxième tour avec Rip City. Et qui font dire à certains fans des Blazers - pas forcément objectifs, of course - que la manière dont LMA débute ses playoffs rappelle celle dont Nowitzki a entamé les siens en 2011… contre Portland et Aldridge (24,3 pts & 7,8 rbds sur la série pour l'Allemand, 4-2 pour les Mavs). Si d'aventure Portland franchit l'obstacle Houston (ce n'est pas fait, mais c'est bien parti), on a hâte d'assister à un duel Aldridge - Duncan - voire Aldridge - Dirk, si Dallas bouscule la hiérarchie. Dans les deux cas, ça vaudra le détour, le grand LaMarcus faisant depuis plusieurs mois honneur à ses deux glorieux aînés.
"Tout le crédit lui revient", souligne Terry Stotts sur NBA.com. "Il a attendu ce moment tellement longtemps, et il relève le défi."
LMA, lui, remercie ses partenaires.
"L'équipe croit fort en moi, et elle surfe tellement bien la vague. Même quand je suis à 1 sur 15 au shoot, ils m'encouragent tous, et me disent de continuer à shooter. Si je refuse un shoot, ils sont tous énervés contre moi. Avoir 15 mecs derrière soi comme ça, c'est génial."

Son nom dans l'Histoire de Portland ?

Le show Aldridge ne revêt pas seulement un caractère particulier parce qu'il fait écho à celui de la légende locale Clyde Drexler, dernier Blazer à scorer au moins 30 unités dans deux matches de playoffs consécutifs. Ou parce qu'il est le premier joueur depuis Michael Jordan à signer un 80-15 minimum lors des deux premiers matches d'une postseason (avril 1997, face aux Bullets). Non, le plus enivrant, c'est que la révolte de LaMarcus coïncide avec l'apparent changement d'ère de la franchise de Portland, dont on se demandait en janvier dernier si elle allait enfin "voir la vie en rose", après des traumatismes à répétition (blessures de Brandon Roy et Greg Oden, époque JailBlazers, draft de Sam Bowie…). Une belle campagne de playoffs pourrait donner des idées à l'ailier-fort, qui sera en fin de contrat à l'été 2015 (il avait signé en octobre 2009 une extension de contrat à 62,5M sur 5 ans, effective en 2010). Si Damian Lillard incarne le futur - souhaitons-le à long terme - de Portland, LMA incarne son présent et son futur à moyen terme (à 28 ans, dans la force de l'âge, il a encore de belles années devant lui). Et s'il continue sur sa lancée actuelle, il aura l'opportunité d'inscrire son nom dans l'Histoire de son club - et dans les stats de la franchise, dont il est actuellement le 3e scoreur (derrière Drexler et Terry Porter), 5e rebondeur et 7e contreur. Qu'elle semble lointaine, l'époque où les médias faisaient vent de son spleen dans l'Oregon ! L'épanouissement de LMA est aujourd'hui une bénédiction pour cette ville qui vit au rythme de son équipe NBA. L'envie de marquer l'Histoire des Blazers sera-t-elle un facteur déterminant aux yeux d'Aldridge, au moment de prendre sa décision de rempiler à Portland... ou non ?
"Oui. Mais j'y penserai le moment venu. Mais oui, je le pense", confie-t-il à Jason Quick, de l'Oregonian.
Tout vient à point à qui sait attendre. Jadis dans "l'ombre" du spectaculaire Brandon Roy (ce qui était assez logique, compte tenu du statut et des performances de "Mr. Comeback"), pas forcément friand des plateaux TV et des spotlights (les médias parlent davantage de l'ailier-fort Blake Griffin, par exemple), LMA a l'occasion d'endosser sur le terrain les rêves de gloire d'un petit marché ambitieux et habilement géré par Paul "Microsoft" Allen et son bras droit, le GM Neil Olshey. En attendant la starification - un processus déjà en cours - de Lillard ?
"C'était l'une des choses auxquelles j'étais habitué (évoluer au second plan - ndlr)", explique LMA, que l'on imagine lucide et professionnel dans son approche de la hiérarchie passée. "Je n'aurais sûrement pas dû m'y habituer, mais ça m'a motivé à travailler plus fort chaque été, et à devenir meilleur chaque année, afin de montrer à la ville de Portland qu'elle avait encore un très bon joueur. Parce que j'ai eu le sentiment que lorsqu'on a perdu Brandon, tout le monde pensait qu'on était finis. Je voulais montrer que j'étais encore là. (...) Ça fait maintenant longtemps que je suis là, et je commence à trouver ma place aujourd'hui."
Et pas seulement à 4-5 mètres, côté gauche. Bon courage, Houston.