LeBron James veut changer son histoire

Avec son incroyable performance d’hier soir, LeBron a prouvé une nouvelle fois qu’il était bien un joueur à part.

Y a-t-il déjà eu un joueur aussi polyvalent que LeBron James ? Peut-être. Un joueur aussi fort que LeBron ? Kobe, MJ, Bird… le débat est parti pour faire rage pendant des décennies encore. Un joueur aussi déconcertant ? Probablement pas. Tenter de lire l’avenir de LeBron, c’est comme essayer de trouver du premier coup la combinaison d’un cadenas à 6 chiffres. On sait que c’est possible, mais qu’on a bien plus de chances de se tromper que de tomber juste. Au début de sa carrière, pourtant, le chemin semblait tout tracé : le « chosen one » devait combiner le meilleur de ses prédécesseurs pour devenir LE joueur ultime. Tanké comme un ailier fort, capable de scorer comme un arrière, de prendre des rebonds comme un intérieur et de distribuer comme un meneur, on jurait qu’il donnerait vie à la punchline de Jay-Z « I’m Michael, Magic and Bird, all rolled in one ». Mais au fil des années (c’est désormais sa 9ème saison), des disparitions incompréhensibles dans les matches chauds, des erreurs de communication et des saisons terminées sans bague au doigt, sa destinée semblait de plus en plus écornée. Paradoxe incroyable pour un joueur qui, statistiquement du moins, est déjà parmi les plus grands, il était devenu plus aisé de parier contre LBJ que sur lui. La finale de l’an dernier n’a fait que renforcer ce sentiment et même son nouveau titre de MVP (son troisième), ne parvenait totalement à faire croire qu’il avait passé cet ultime cap psychologique sur lequel il semblait buter. Et puis, il y a eu le Game 6 de la finale de Conférence Est face aux Celtics. Les chiffres (45, 15 et 5) sont déjà suffisamment éloquents pour qu’on n’ait pas besoin de les commenter, mais c’est surtout la manière et le timing qui leur donnent une telle force. Son équipe avait le dos au mur et James savait pertinemment qu’en cas de défaite, c’était sur lui, plus que tout autre (Erik Spoelstra ou Dwayne Wade auraient probablement pris cher aussi), que la responsabilité de l’échec du Heat aurait été placée. Du coup, il a pris le jeu et son destin à pleines mains, sans attendre que D-Wade ou qui que ce soit d’autre ne montre le chemin, exactement comme il l’avait fait à de nombreuses reprises lorsqu’il était esseulé à Cleveland. Car paradoxalement, la dernière prestation de ce type qui nous revient en mémoire remonte au 31 mai 2007, lorsqu’il avait littéralement tué les Pistons à lui tout seul lors d’un Game 5 décisif en finale de conf. Ce jour-là, LBJ avait signé 48 points à 18/33, 9 rbds et 7 pds dans ce match en double prolongation dans lequel il avait réussi l’exploit de planter 29 des 30 derniers points de son équipe pour imposer sa volonté implacable à Detroit. Son supporting cast était pourtant loin de pouvoir se mesurer avec celui, actuel, de Miami (Larry Hughes était alors le deuxième meilleur joueur de l’équipe…) et LBJ savait dès lors que sa seule chance de succès était de prendre les rênes. Depuis, alors que les équipes étaient de plus en plus fortes autour de lui, on a eu l’impression qu’il avait de plus en plus de mal à assumer ce statut de « go to guy ». Pas hier soir.
« Vous avez vu son visage ? », demandait Mario Chalmers après la victoire en faisant référence à l’air sombre et déterminé de LBJ. « Il est comme ça depuis hier soir. On savait qu’il serait prêt à jouer. C’est pour ça qu’il est le MVP. J’appelle ça sa sale tête. » « D’habitude, il est plutôt tranquille, mais cette fois il n’a pas lâché le moindre sourire. Son expression est restée la même toute la journée. Il a montré que quand il fallait faire le taf sérieusement, il n’avait pas son pareil », ajoutait Norris Cole.
Après 9 ans dans la ligue et alors que son équipe était à un match de l’élimination, LeBron James a peut-être compris fondamentalement ce qui faisait de Michael Jordan, Kobe Bryant, Larry Bird ou Tim Duncan des compétiteurs aussi performants. C’est qu’il ne suffit pas de détester perdre ou d’avoir à cœur de bien jouer pour figurer parmi les plus grands, il faut avoir une volonté farouche d’écraser l’adversaire. Pas parce qu’on le déteste fondamentalement ou qu’on a de la haine en soi, mais parce pour des champions de ce calibre, rien de moins que la victoire équivaut à une petite mort.
« Personne n’aime qu’on lui jette de la terre sur le visage avant même d’être mort », expliquait coach Spo. « Ce soir, il est arrivé avec l’envie d’attaquer dès le début. »
Frapper le premier plutôt que pour se défendre, un précepte à ne pas inculquer dans les cours d’école, mais qui est une évidence pour les plus grands champions. Pour LeBron, l’enfant prodige à qui tout est venu tout de suite, il a peut-être fallu le temps de la maturation pour réaliser ceci. Les sourires, les pubs, la hype et les potes, c’est très bien, mais sur le terrain, quand on veut figurer au Panthéon des athlètes de son sport, une seule chose compte : la victoire.
« Ce n’est pas possible de jouer au niveau auquel il a joué ce soir si on a de grosses sautes émotionnelles, qu’on aille trop haut ou trop bas », expliquait son coéquipier James Jones. « On pouvait voir ce soir qu’il était un peu plus concentré à cause de l’importance du match. Même durant les temps morts, il gardait la même énergie, la même activité. Il était remonté comme si la question ne se posait même pas de savoir s’il pouvait jouer chaque minute et chaque seconde où on aurait besoin de lui. Très peu de joueurs peuvent faire ça et il en fait partie. C’est ce qui fait de lui ce qu’il est. »
Ou du moins ce qu’il est devenu. On en aura peut-être la certitude samedi soir pour le Game 7. En tout cas, il a déjà prévenu.
« Je n’aurai pas de regret après le Game 7. »