Pete Maravich, un virtuose né trop tôt et parti trop vite

Pete Maravich a influencé plusieurs générations d’artistes émerveillés par son génie… et a sacrifié sa carrière pour leur ouvrir la voie en NBA. Il aurait eu 78 ans aujourd'hui.

Pete Maravich, un virtuose né trop tôt et parti trop vite

« Emmenez-moi. » C’est ce que Pete Maravich aurait peint sur le toit de sa maison au plus fort de son marasme à Atlanta, en 1974. Une légende, selon sa femme Jackie. Tout le monde n’est pas de cet avis. Loufoque et incapable d’agir autrement que dans l’excès, Maravich aurait eu une période d’intense croyance dans les OVNIs. Jusqu’à leur adresser ce message, témoin du malaise profond qui l’a rongé durant l’essentiel de sa carrière pro.

Dans la brume électrique

Pete Maravich était détesté par la plupart des joueurs de la ligue, coéquipiers inclus, avant même de poser un pied sur un parquet NBA. La faute à une hype sans précédent et à son contrat rookie historique. Pour ses pairs, il n’est alors qu’un soliste qui s’est gavé de shoots en NCAA en jouant pour son coach de père. Il a encore tout à prouver. Alors que certains vétérans d’Atlanta comme Joe Caldwell se battent pour obtenir une renégociation de leur salaire, le pont d’or offert au gamin blanc est pris comme un affront dont Pete subit l’effet boomerang.

Maravich avait déjà du mal à gérer les attentes placées en lui à la fac, celles du monde pro vont le marquer très vite. A l’ambiance pesante du vestiaire vient s’ajouter la réalité du terrain. Richie Guerin, le coach des Hawks, n’apprécie pas vraiment le côté flashy de son jeu. Ses prises de risque, ses tirs impossibles, ses passes aveugles insensées, tout cela n’a pas sa place dans le basket de l’époque.

« Il y a plus de pression sur Pete que sur n’importe quel autre rookie dans l’histoire des sports pros », déclare même le légendaire Jerry West après leur premier duel.

Les débuts sont laborieux. A trop vouloir bien faire, Pete est systématiquement en décalage. Quant à sa défense, elle est jugée suspecte, au mieux. Ses performances globales restent bonnes, mais sa réputation est faite : Pete Maravich n’est pas un joueur d’équipe.

Cette étiquette va lui coller à la peau toute sa carrière. Pete Maravich attire pourtant les foules partout où il passe, mais il ne parvient pas à trouver sa place entre les attentes du public, qui ne souhaite rien d’autre qu’un festival de points et de passes, et celles de son équipe, prête à lui reprocher son style à la moindre série de défaites. Dépressif, porté sur l’alcool, à la limite de l’hypocondrie, Maravich subit sa carrière plus qu’il n’en profite. Après ses premières années dans la ligue, il lâche d’ailleurs des mots fatalement prémonitoires à un journaliste :

« Je ne veux pas jouer dix ans en NBA et mourir à 40 ans d’une crise cardiaque. »

La pression énorme que son talent sidérant lui fait subir lui fait déjà songer à la retraite. En 1974. Il n’a que 26 ans.

Au nom du père

Il n’a que 26 ans,  mais consacre sa vie au basket depuis la petite enfance. Son père Press, ancien pro aux Pittsburgh Ironmen lors de la première saison de l’histoire de la ligue, lui a transmis le virus dès qu’il a pu. Devant les bonnes dispositions du rejeton, Maravich Sr, futur meilleur coach ACC (l’une des conférences NCAA les plus prestigieuses), met au point toute une série de « drills » pour développer l’adresse et la dextérité de Pete. Le résultat est saisissant.

Le môme suit son père dès qu’il le peut, se met dans un coin du gymnase avec son ballon et travaille. Il dribble, il shoote, il enchaîne des séries de passes dans le dos. Très vite, son instinct et son sens du jeu sont hors du commun pour un gamin de son âge. Pete devient rapidement une légende en Caroline du Nord, où ses cartons lors des tournois l’été n’étonnent plus personne. Il sèche les cours pour se faufiler dans le gymnase, joue du matin au soir même en plein été, et construit sa légende, passe lumineuse après panier irréel.

A 9 ans, Pete Maravich a déjà des années-lumière d’avance. Et le plus grand plaisir de son père est de faire admirer avec une immense fierté les prouesses de son fiston. Lorsque ses amis coaches passent le voir, ils ont droit au récital Maravich : les yeux bandés, le gosse déroule toute sa panoplie de dribbles et de passes avec une maîtrise effarante. Press est comme un savant fou. Mais il sait ce qu’il fait.

« Ne sous-estimez surtout pas la connaissance que Press avait du jeu », a d’ailleurs confié John Wooden, coach le plus titré de NCAA et grand ami de Maravich père.

« C’est vers lui que je me tournais lorsque j’avais besoin d’une analyse sur divers aspects du jeu. »

Press est un formidable technicien et un motivateur hors pair, mais son aveuglement le pousse à façonner son fils jusqu’à en faire un prototype fabuleux, mais inadapté au basket de son époque. Pete est tellement en avance sur son temps qu’il s’attire autant d’admiration de la part des fans que d’incompréhension de la part de ses congénères. Pour un entraîneur quelconque, il n’y a que deux solutions : le regarder jouer ou aller au clash. C’était écrit, Press le coachera à la fac.

Mais Pete n’a pas les résultats requis pour jouer en ACC. Son père quitte donc North Carolina State pour LSU, qui lui offre un salaire plus élevé à condition que Pete l’accompagne. Pour la première fois, Press va pouvoir tester sa machine. Et annonce la couleur dès la première conférence de presse :

« Pete sera une superstar. Attendez juste de le voir... »

Pete Maravich

Natural Born Killer

Pete est maigre et ne ressemble pas à grand-chose, mais il est extrêmement rapide et semble pouvoir courir éternellement sans se fatiguer. Surtout, son feeling pour le jeu est unique. Lorsqu’il pose un pied sur un terrain, que ce soit pour un match de playoffs ou pour un pick-up game de début de saison, c’est pour dominer son vis-à-vis. Et il a tellement travaillé son jeu qu’il a une confiance inébranlable en chacun de ses mouvements.

Offensivement, Pistol n’a aucune limite. Son talent, poussé à l’extrême, devient pure arrogance. Comme lors d’un match à Georgia, dans sa saison senior, où il tue l’horloge en prolongation en se baladant en dribble entre les défenseurs adverses pendant de longues secondes, avant de décocher un bras roulé à 10 mètres au buzzer. Swish ! 58 points, une victoire, et les 11 000 fans adverses debout pour l’applaudir...

Sa carrière universitaire sous les ordres de son père ne sera jamais égalée. Avec plus de 44 points, 6 rebonds et 5 passes de moyenne, Pete pulvérise le record de points en carrière d’Oscar Robertson, et s’assure qu’il ne sera jamais approché. A lui seul, il met LSU sur la carte basket avec une équipe de bras cassés. Les matches des Tigers ont des allures de concert de rock. En trois ans, Louisiana State réussit tout juste à se qualifier une fois pour le NIT, et il n’en faut pas plus pour que Pete soit vu comme un loser. Mais personne ne peut douter de son investissement et de son intensité. Il n’est ni égoïste, ni obnubilé par le spectacle. Seulement, dans une équipe qui vit et meurt par ses coups de génie, il n’a pas d’autre choix que de dégainer et de surprendre la défense par des passes inattendues.

Ceci dit, entre une passe sobre et une passe flashy pour le même résultat, son choix a toujours été clair.

« On ne nous paie pas un million de dollars pour faire une passe à deux mains toute simple », avait-il déclaré pendant sa carrière pro.

Et bien plus que son extraordinaire capacité à scorer, c’est probablement son flair, sa dextérité et son sens de la passe qui ont eu le plus d’influence sur l’évolution du jeu.

Ses inspirations balle en main tenaient plus de l’artiste que de l’athlète. Dans ce sens, Pistol Pete était un jazzman dans un orchestre classique. Impossible de le quitter des yeux. Elgin Baylor, le légendaire ailier des Lakers qui a coaché Maravich pendant trois ans, ne s’y est pas trompé :

« Oscar Robertson est le meilleur arrière contre qui j’ai joué, Jerry West le meilleur avec qui j’ai joué, et Pete Maravich est le meilleur que j’ai jamais vu. »

Le plus fou, c’est que Maravich n’aurait jamais dû jouer au basket. L’infarctus qui l’a foudroyé à 40 ans, à la fin d’un pick-up game tranquille avec des hommes d’affaires, était dû à une malformation cardiaque qui aurait dû lui être fatale avant même ses 20 ans. Incompris, tombé au mauvais endroit au mauvais moment, il était un showman à une époque qui n’y était pas préparée, et n’a pu donner la pleine mesure de son génie qu’à la fac. Il ne reste que des flashs incroyables de ce qu’il aurait pu être. C’est suffisant pour savoir ce qu’on lui doit...

68

« Sa performance est la meilleure que j’aie jamais vue pour un arrière. »

Pourtant, Red Holzman, coach Hall-of-Famer qui a conduit les Knicks aux deux seuls titres de leur histoire, en a vu un paquet. Mais la démonstration de Pete Maravich face à ses joueurs un soir de février 1977 est inoubliable. Motivé par son duel avec Walt Frazier, l’un des meilleurs défenseurs de l’époque, Pistol entre en transe. Tout son arsenal y passe ; les Knicks sont impuissants. 26/43 aux tirs, 16/19 aux lancers, Pete aligne missile sur missile.

Avec la ligne à trois-points, instaurée deux ans plus tard, il aurait passé les 70 points. Sans forcer. Il aurait d’ailleurs dû les dépasser sans une 6ème faute sifflée sur un passage en force imaginaire avec panier à la clef. Son compteur restera bloqué sur 68. Jamais un arrière n’avait marqué autant. Et si David Thompson, Michael Jordan et Kobe Bryant ont finalement dépassé son total, aucun d’entre eux ne peut se vanter de l’avoir fait face à cinq Hall-of-Famers.

A lire et à voir

Le fascinant talent de Pistol Pete continue d’inspirer. Ainsi, deux excellents livres sont sortis depuis son décès : « Pistol : The Life Of Pete Maravich », de Mark Kriegel (voir REVERSE 21), qui cherche avant tout à comprendre toute l’ambiguïté du personnage, et « Maravich », écrit par Wayne Federman et Marshall Terrill avec la collaboration de Jackie Maravich, veuve de Pete. Ce dernier bouquin, plus consensuel, est toutefois beaucoup plus fourni en détails sur sa carrière de joueur. Mais les deux se complètent parfaitement et sont déjà des classiques.

Les fans les plus coriaces pourront aussi se procurer son autobiographie, « Heir To A Dream », et surtout le fameux téléfilm « A toi de jouer, petit » (« The Pistol, The Birth Of A Legend », en VO), coproduit par Pete avant sa mort. Enfin, pour ceux qui n’arrivent pas à se contenter des nombreux highlights de YouTube, de nombreux matches de Pete tournent sur le web, dont ses 68 points... A voir absolument !

Pete Maravich en NBA

Stats en carrière : 24,2 pts à 44,1%, 4,2 rbds et 5,4 pds en moyenne

Drafté en 3ème position en 1970 par les Atlanta Hawks, avant d’être tradé au Jazz de New Orleans en 1974 et de finir sa carrière à Boston en 1980. 5 fois All-Star, élu dans la All-NBA 1st team en 1976 et 1977 (2nd Team en 73 et 78), sélectionné parmi les 50 plus grands joueurs de l’histoire, il est entré au Hall Of Fame en 1987.

Cet article sur Pete Maravich est issu  du numéro 22 de REVERSE.