Alexey Shved : le retour de la roulette russe

Alexey Shved : le retour de la roulette russe

Qu'Alexey Shved cartonne avec la Russie, c'est une bonne nouvelle, mais pas une surprise. Ça fait longtemps que l'ancien prospect ne tire plus à blanc.

Théophile HaumesserPar Théophile Haumesser  | Publié  | BasketSession.com / MAGAZINES / Portrait
Comme nous vous le disions dans notre Power Ranking de cet Eurobasket 2017, Alexey Shved est clairement l'un des hommes forts de la compétition. Sans parler de renaissance, il faut avouer que ça fait plaisir de le voir évoluer à ce niveau et valider ainsi son récent trophée de MVP de la VTB League, tant les espoirs placés en lui étaient grands. Avant de tenter sa chance en NBA, du côté de Minnesota, il avait fait une très forte impression aux Jeux Olympiques de Londres, en 2012. Nous lui avions d'ailleurs réservé un article dans le numéro 38 de REVERSE. Vu ses performances actuelles, c'était l'occasion de (re)faire connaissance avec ce joueur sans peur.

Alexey Shved : Russian roulette

Alexey Shved n’aime les jeux que s’ils sont dangereux.

Clic. Clic. Clic. Bang ! Le frisson, le goût du risque, le sentiment de jeter sa vie en l’air comme on lance les dés dans une partie de craps, avec ce rush d’adrénaline incomparable qui parcourt l’échine au moment où les cubes, les cartes, la bille ou la balle sont sur le point de se révéler, tous les joueurs connaissent ça. Mais rares sont ceux suffisamment passionnés ou malades pour mettre littéralement leur existence en jeu. C’est pourtant le principe même de la roulette russe. Un barillet qui tourne, cinq chambres vides et une chargée. Un doigt sur la gâchette et la chance, le destin ou le hasard comme seul juge dans une partie d’éclate façon snuff. « Play a game of russian roulette and have a blast », rigolait Method Man avec 2Pac. Un délire particulier dont il est tout de même plus simple d’être spectateur qu’acteur… à moins de s’appeler Alexey Shved. Dans ce cas, la roulette russe n’est plus un défi, un jeu morbide ou une activité délirante, juste une règle de vie élémentaire, une habitude, une seconde nature.

Le joueur

Avoir le ballon en main ou la pulpe de l’index pressée sur la détente, c’est la même chose pour Alexey. Quelle que soit la circonstance ou la pression, le meneur russe n’a jamais peur de tenter sa chance. On peut appeler ça du culot ou de l’inconscience selon les cas, mais Shved ne connaît pas d’autre manière de jouer. Il y a un an, à l’occasion de l’EuroBasket en Lituanie, on avait pu découvrir les coups de pattes imprévisibles de cet arrière félin plein de morgue et de talent. Avec David Blatt aux commandes, la Russie avait d’ailleurs réussi à aller chercher la médaille de bronze, aiguisant encore l’appétit d’Alex. De retour au CSKA, il a pu continuer sa progression, engrangeant des minutes et de l’expérience aux côtés de son nouveau mentor, Andrei Kirilenko, tout en voyant à l’œuvre un autre maître du quitte-ou-double, Milos Teodosic.

« Cette année, le coach m’a vraiment fait confiance », savourait-il. « Il m’a donné plus de temps de jeu, il me laissait libre de jouer le pick-and-roll et de prendre mes tirs. »

En championnat russe et en Euroleague, il a continué de prendre des responsabilités et des risques en fonction des matches et des occasions qui se sont présentées à lui. Car Shved n’est pas un de ces meneurs organisateurs dont la qualité des prestations ne se retranscrit jamais sur la feuille de match. Non, quand Alex est bon, ça saute aux yeux, sans besoin de loupe pour scruter les boxscores… quand il passe au travers aussi. Mais alors que certains joueurs russes ont parfois tendance à disparaître ou à perdre confiance dans les moments difficiles, lui ne semble pas vraiment connaître le doute. A croire que malgré sa dégaine de mousquetaire soigné à la Aramis, c’est dans les albums d’Evidence plutôt que dans les classiques d’Alexandre Dumas ou de Fiodor Dostoïevski qu’il puise son inspiration. « Players don't die, we try our luck at other tables », rappait Ev’ pour expliquer un phénomène simple : les véritables joueurs ne se rangent jamais. Avec son contrôle de balle insolent d’aisance, sa qualité de shoot et son ignorance totale du mot « peur », Alexey Shved ne connaît qu’une seule façon de se remettre en selle quand les choses dérapent : continuer d’attaquer, de shooter, de chercher la passe décisive. Un jeu à haut risque qui peut payer cash ou mener au crash. Surtout qu’avec autant de talent et de potentiel et une aussi jolie montée en puissance depuis une quinzaine de mois, les occasions de se démarquer ne cessent de s’accumuler. Après avoir raflé le spot de meneur titulaire en sélection russe, c’est à la NBA qu’il compte s’attaquer depuis que les Wolves l’ont ajouté à leur roster.

« J’adore Alex ! L’an dernier, il a vraiment commencé à percer au CSKA et maintenant il est prêt à rejoindre la NBA. Ses performances durant les Jeux Olympiques sont un signe qu’il est prêt à évoluer au plus haut niveau », nous a promis AK47 à Londres.

« Le potentiel est clairement là. Il a du jeu ! On se moque de lui en lui disant qu’il a un corps en gelée (rires). Tu ne peux pas vraiment l’arrêter en le collant de près ou en jouant physique, parce qu’il est trop fluide, trop fuyant. Ça va vraiment l’aider. Il a de de supers moves qui lui permettent de créer pour lui ou pour ses partenaires. C’est un talent très intéressant pour la NBA. »

Certes, mais à condition que Rick Adelman ait autant le goût du jeu que David Blatt.

Crime et châtiment

Son succès et sa progression, Shved les doit en grande partie à son génial mentor. Si tout le monde savait manier la nitroglycérine aussi bien que Blatt, il y aurait sans doute moins d’estropiés à travers le monde. Car pour développer un talent tout feu tout flamme comme celui-ci, il faut savoir utiliser à la fois le soufflet et l’éteignoir. Donner le goût de la liberté en rappelant les responsabilités qu’elle implique. A Londres, Shved a débuté sur les chapeaux de roues avant de connaître un grand trou et de finalement rebondir superbement. Un parcours en dents de scie qui a permis à Blatt de faire une magnifique analogie avec un mythe antique.

« Vous connaissez l’histoire d’Icare ? », nous a un jour demandé le technicien américano-israélien.

« Il s’était confectionné des ailes en se collant des plumes dans le dos avec de la cire. Il s’est mis à voler en pensant qu’il devenait quasiment surhumain et, brutalement, la lumière du soleil a fait fondre la cire et il s’est écrasé au sol. Il faut reconnaître qu’Alexey a fait un superbe début de tournoi, mais il a été trop bon et trop rapide pendant trop longtemps et, soudainement, il l’a moins été. »

Après avoir dominé pendant trois matches (16 pts, 6 rbds et 13 pds face à la Grande-Bretagne, 14 pts et 6 pds contre la Chine, 17, 3 et 6 face au Brésil), Alex se retrouve dans le rôle de simple spectateur (7 minutes) pour voir son équipe renverser l’Espagne in extremis en poule. Il a ensuite dû attendre les quarts de finale pour retrouver un temps de jeu plus conséquent.

« J’adore ce gamin, mais il ne joue pas toujours aussi bien qu’il le pourrait ou qu’il le devrait », nous avait expliqué Blatt pour justifier cette reprise en main. « Je suis très exigeant avec lui parce qu’on a énormément besoin de lui. Il lui arrive de trop garder le ballon et ça nous empêche parfois de mettre en place notre attaque suffisamment rapidement. »

Par orgueil, il n’était pas rare, c’est vrai, de voir Alexey Shved remonter la balle en dribble face à une presse, tenter des tirs difficiles ou des passes que les pauvres Sasha Kaun ou Timofey Mozgov seraient déjà bien incapables de capter sans opposition. Car le risque quand on a autant de ballon, c’est de vouloir le prouver à chaque possession. Mais au lieu de s’apitoyer sur son sort ou de se braquer, Alexey a tiré son temps comme un bonhomme, déterminé à ne pas retourner au trou. Après avoir connu un match très compliqué en demi-finale contre l’Espagne, durant lequel il a manqué cruellement de réussite (2 pts à 1/6 aux tirs, mais 7 pds), il a sorti le meilleur match de son tournoi dans le game pour la troisième place, face à l’Argentine. Alors que les deux équipes étaient au coude à coude dans dernier quart-temps et qu’El Manu pensait avoir mis la main sur une nouvelle médaille olympique, Alexey a haussé d’un coup son niveau de jeu et sa mise, prenant et surtout rentrant un tir à trois-points crucial.

« C’était un tir compliqué, parce que si je le loupe, on est morts », rigolait-il après coup.

Mais ses 16 points dans les 6 dernières minutes ont totalement changé la donne et ont offert à la Russie la première médaille olympique de son histoire. Au final, il termine le tournoi sur une ligne pleine de classe : 25 pts à 8/16, 5 rbds, 7 pds, 1 steal et 1 seule balle perdue. David Blatt en rayonnait de fierté.

« La performance qu’a donnée Alexey aujourd’hui est historique », savourait-il, rappelant que, souvent, le plus beau dans un périple, ce n’est pas la destination, mais le voyage en lui-même.

« Il a dû apprendre à jouer au sein de l’équipe, pour l’équipe, et à le faire des deux côtés du terrain. La plupart des gens considéreront que sa performance lors de ce match est ce qu’il a accompli de plus fort dans sa carrière, mais pour moi, le plus important, c’est surtout qu’il a appris comment jouer de la bonne façon. Ça lui servira durant tout le reste de sa carrière. »

http://www.dailymotion.com/video/x5zy6bj

Du danger de se livrer à des rêves ambitieux

Désormais, c’est de l’autre côté de l’Atlantique qu’Alexey va devoir poursuivre sa route et satisfaire sa dépendance aux pics d’adrénaline. Même si c’est le lot de tous les Européens qui tentent leur chance en NBA, les Russes semblent avoir plus de mal que les autres à passer de l’autre côté du mur. Kirilenko a su y briller, mais Sergei Monia et Viktor Khryapa en sont revenus défaits.

« Ils n’ont jamais pu s’habituer au style de vie américain, mais Alexey pourra compter sur Andrei, dont il est très proche, pour l’aider à s’adapter », espère la journaliste russe Nadia Perepechko, qui regrette tout de même que Shved ne soit pas resté au moins un an de plus au CSKA pour y parfaire sa formation.

« Avec le retour d’Ettore Messina, il aurait pu apprendre encore beaucoup de choses et gagner en expérience avant de faire le grand saut. Ça aurait été très intéressant de voir ce que leur collaboration aurait pu donner à Moscou. »

Malgré tout, on ne pouvait pas imaginer meilleur scénario pour Alexey Shved. Non seulement il a décroché un contrat ferme, mais en plus il va atterrir dans l’équipe qui, avec les Spurs, propose ce qui se fait de plus proche du jeu européen en NBA.

« Ce qui sera bien pour lui, c’est quand Ricky Rubio reviendra de blessure », anticipe déjà Ian Thompsen de Sports Illustrated.

« S’il peut devenir leur deuxième meneur, avec sa vitesse, sa taille, sa fluidité et sa qualité de tir, il sera dans une situation très favorable. Il n’a pas un gros contrat, donc il aura très peu de pression. En plus, il va jouer pour un excellent coach. Il ne pouvait pas mieux tomber. »

Pour un meneur qui a autant besoin du ballon pour briller et apporter à l’équipe, les minutes ne seront pourtant pas faciles à gagner, surtout maintenant que Minnesota vise les playoffs. D’un autre côté, ses coups de sang pourraient tout aussi bien jouer en sa faveur si la chance décidait de continuer à lui coller au train. Quand on voit à quelle vitesse Jeremy Lin avait su charmer le public par sa fraîcheur et son audace, on se dit que Shved aurait tort d’être frileux. Ça tombe bien, de toute façon, ça n’est pas dans sa nature. Blatt a d’ailleurs une anecdote tout à fait révélatrice au sujet de sa confiance actuelle.

« Il y a deux ans, quand il est arrivé au rassemblement, il avait les cheveux longs et je lui ai dit “Si tu ne les coupes pas, tu peux rentrer chez toi”. Il s’est coupé les cheveux. Cette année, même chose, il arrive avec sa tignasse. Je lui dis “Coupe tes cheveux” et il me répond “Non coach, pas cette fois”… J’ai dit “Ok” (rires). »

On ne sait pas quelles sont les préférences capillaires de Rick Adelman, mais s’il a suivi les J.O. de près, il pourrait avoir envie d’envoyer un petit mot de remerciement à son homologue du Maccabi Tel Aviv.

« La chose la plus importante de ce que nous lui avons apporté, c’est sans de toute d’accepter d’être coaché et de comprendre comment apprendre de ses erreurs sans se frustrer. Il a énormément mûri durant ces douze derniers mois. Il est en train de devenir tout ce que nous avions rêvé qu’il puisse être un jour. C’est quelque chose de très fort de pouvoir voir un gamin grandir devant vos yeux et de savoir qu’il est en chemin pour réaliser des choses plus grandes encore. »

Une ligue, un défi, des gains et des risques plus importants que tout ce qu’il a pu connaître jusqu’ici, un joueur invétéré comme Shved doit déjà en avoir la main qui tremble…

Bonus : Le carton d'Alexey Shved contre la Grande Bretagne

http://www.dailymotion.com/video/x5zy5dn Crédit photos : FIBA
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