US SHAME

Battu par la France en quarts de finale de la Coupe du Monde, Team USA doit se remettre en question à l'heure où son programme est boudé par les stars.

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Pour les Bleus, c’était une mission. Mais, avouons-le, voir un jour l’équipe de France de basket venir à bout d’un Team USA entièrement composé de joueurs NBA était d’abord un rêve. Un fantasme presque réalisé par Laurent Sciarra et ses partenaires en finale des Jeux Olympiques de Sidney en 2000, inaccessible depuis et enfin devenu réalité hier soir à Dongguan, en Chine. Pour les Américains, aller chercher le titre mondial n’est évidemment pas un rêve. Pas même un objectif. Plutôt une formalité. Une tâche réduite en cendres par les guerriers Rudy Gobert, Evan Fournier, Frank Ntilikina, les expatriés chefs de file, ainsi que tous leurs coéquipiers. Leur quête d’un troisième sacre consécutif a explosé en plein vol. Explosé, comme les mentions du journaliste US Kurt Helin, qui a eu le malheur d’annoncer avec trop d’assurance une victoire états-unienne qui était pourtant tout sauf acquise, et est désormais inondé de messages d’une horde de supporters français qui l’incitent à gentiment saupoudrer ses défunts avant de les déguster tout en buvant leur sang. Le trop-plein d’optimisme américain n’était pas justifié sur cette compétition. L’équipe D de la plus grande nation basket du monde avait déjà été battue en préparation par l’Australie et les Turcs de Cedi Osman sont passés à quelques lancers-francs près de la faire tomber en phase de poules. La sentence a finalement été infligée en quarts de finale avec cette belle victoire française, 79-89. Une chute après treize années d’invincibilité et cinquante-huit succès de suite pour le programme USA Basketball. Le dernier traumatisme remonte donc au Championnat du monde 2006, au Japon. Pourtant menés par le « Banana Boat » (LeBron James, Chris Paul, Dwyane Wade et Carmelo Anthony), les Etats-Unis s’étaient inclinés en demi-finale contre la Grèce. Un séisme. Surtout que deux ans plus tôt, aux Jeux Olympiques d’Athènes, ils avaient déjà mordu la poussière contre une incroyable équipe d’Argentine en demi-finales ! Mais le pire avait eu lieu en 2002. Sur ses terres, à Indianapolis, la sélection américaine avait pris la porte dès les quarts de finale, éliminée par la Yougoslavie, future vainqueur du tournoi. Comme en 2019. Souhaitons le même destin à l’équipe de France. La honte absolue au pays. Perdre. Et en plus à domicile. C’est donc après cet enchaînement de contre-performances que Jerry Colangelo a tapé du poing sur la table. Il a repris en main Team USA, nommant Mike Krzyzewski sur le banc. C’était une question d’honneur. La NBA est la plus grande ligue du monde, ses vedettes se devaient de briller à l’international en roulant notamment sur les formations européennes. Colangelo a redonné un sens et un attrait à la sélection nationale. Et ça a marché. Revanchards, fiers, les superstars sont parties en reconquête en… Chine. Champions Olympiques en 2008. Champions du monde en 2010. Puis trois nouvelles médailles d’or : Jeux 2012 à Londres, Coupe du Monde 2014 en Espagne puis encore les JO en 2016 à Rio. En dominant assez largement à chaque fois. Et pourtant, les premiers signes du déclin se sont manifestés bien plus tôt que ce que l’on pourrait penser. Peut-être même dès 2014. Les joueurs majeurs, poussés dans leurs derniers retranchements par les Espagnols lors de la finale des Jeux de Londres, ont préféré faire l’impasse sur cette compétition. Pas de LeBron James, pas de Kobe Bryant ni même de Dwyane Wade ou de Carmelo Anthony. Ce sont les jeunes qui prennent la relève. Des certains Stephen Curry et James Harden. Les noms sont clinquants aujourd’hui. Moins à l’époque. Ils n’étaient pas encore MVP. Les intérieurs inexpérimentés DeMarcus Cousins, Andre Drummond et Anthony Davis s’ajoutent à l’effectif, tout comme un Kyrie Irving souvent critiqué, un Klay Thompson sous-estimé, des plus obscures Rudy Gay, DeMar DeRozan et Kenneth Faried ou encore un Derrick Rose invité pour se refaire une condition physique après des nombreux pépins de santé. Ce n’était clairement pas un Team USA impressionnant sur le papier, encore une fois dans le contexte d’il y a cinq ans. Mais la suite nous a prouvé que ces gars étaient déjà bien trop forts, nous le savions juste pas encore. Ils ont facilement remporté la Coupe du Monde. Mais plus que l’épilogue de ce mois de septembre 2014, il faut retenir les joueurs qui se sont fait porter pâles. Ils étaient encore nombreux à renoncer au voyage au Brésil en 2016. James Harden, Russell Westbrook, LeBron James ou encore Kawhi Leonard ont passé leur tour. Mais un Kevin Durant extraordinaire suffisait à faire gagner le gros lot. Ce n’était qu’une question de temps avant que les Américains se plantent. C’est donc arrivé en cette fin d’été 2019, seulement trois ans plus tard. Avec cette fois-ci un groupe sans locomotive. 100% de joueurs NBA, certes, mais pas de MVP. Seulement quelques All-Stars. Au final, pas grand-chose de plus que certaines nations comme l’Australie ou la France. Il n’y a pas que le résultat final qui rapproche cette Coupe du Monde de l’édition 2002. L’effectif de Team USA aussi. Il y avait des bons joueurs, des Michael Finley (Khris Middleton ?), Paul Pierce (Jayson Tatum ?), Baron Davis (Kemba Walker ?) à la tête de l’équipe. Mais les cadres, les Tim Duncan, Jason Kidd, Kobe Bryant, Shaquille O’Neal et autres Kevin Garnett ont préféré faire l’impasse pour se reposer à l’époque. Même constat cette année. Même désillusion. Les meilleurs joueurs du monde ont tous fait forfait le même été, celui des uns entraînant d’ailleurs celui des autres parce que « personne ne veut être le visage d’une équipe qui perd », dixit C.J. McCollum. Et le couperet tombe. Dignes, Donovan Mitchell et Gregg Popovich ont eux refusé de mettre en avant les absents, reconnaissant plutôt le niveau de jeu de la France. C’est tout à leur honneur et ça en dit long sur la classe de ces deux hommes-là. Mais il est quand même important de parler de ça. Non pas pour enlever du prestige à la victoire des Bleus. Ni même pour justifier la défaite US. Ce n’est pas ça l’élément-clé du sujet. Non, il faut en parler pour se poser la question : pendant encore combien de temps ce programme va-t-il attirer les superstars NBA ? On a presque l’impression que les Américains n’ont rien à gagner ! S’ils viennent et repartent avec l’or, c’est juste… normal. Et dans les débats ESPN (et autres) qui rythment les saisons, un titre mondial ne pèse pas lourd. Tout le monde oublie, tout le monde s’en fout. Il n’y a que la NBA. Que les bagues qui feraient donc les grands. Un ramassis de bêtises servies à la sauce Stephen A. Smith – brillant et hilarant dans son rôle cependant – et consorts et qui imbibent la tête des jeunes prospects qui grandissent avec ça. Une Coupe du monde, c’est moins de vacances. Moins de temps avec sa famille. Un enchaînement de matches qui viennent s’ajouter à une saison déjà beaucoup trop longue. Un déplacement à l’étranger. Tout ça pour une compétition qui n’apporte finalement pas grand-chose au prestige américain. Alors, qu’au contraire, une défaite vous propulse sur le banc des accusés. Vous devenez la risée du pays. Parce que les Américains ne sont pas censés perdre. C’est paradoxal pour une nation qui  a une fibre patriotique qu’elle clame et met en avant constamment, qui se vante d’être la première en matière de basket, et qui n’a finalement pas la même culture que les équipes européennes dont les joueurs sont habitués à venir en sélection. Alors, oui, il y aura un sursaut d’orgueil. Avec sans doute une armada envoyée aux Jeux Olympiques de Tokyo dans un an. Mais combien de temps ça va tenir ? Combien de temps avant de revivre un même échec ? Il y a des conclusions bien plus profondes à tirer. Ne nous enflammons pas, la NBA restera le championnat le plus relevé du monde avec une large majorité de joueurs américains. Mais les internationaux poussent de plus en plus. Le MVP était grec. Le DPOY était français. Le ROY était slovène. Le champion était canadien. La NBA ne doit pas se remettre en question pour autant. Le Team USA, par contre, a un chantier devant lui.