Chris Paul prendra donc sa retraite à la fin de la saison. Avec lui s’en ira définitivement une certaine idée du basket qu’il était depuis quelques années le seul à entretenir. Chris Paul qui s’en va, c’est toute une époque qui se referme. Celle du meneur de jeu traditionnel, stratège, leader, qui dictait le tempo et la façon dont son équipe devait jouer. Celle où le classement des assists était squatté par les point-guards. Celle où, si les points étaient marqués par les intérieurs ou les ailiers, puis les arrières-shooteurs, le meneur était le général, le Roi même, sur le terrain : celui qui décidait de tout, y compris de la manière dont les scoreurs scoraient.
Comme souvent avec les Rois, c’est une révolution qui a eu raison d’eux. Mais ici pas de putsch ou soulèvement soudains. Plutôt un mouvement de fond, d’abord discret, qui s’est accéléré progressivement avant de finir par devenir un raz-de-marée. Chris Paul a pu étendre son règne dans une époque qui n’était déjà plus vraiment la sienne. Ça a commencé avec l’isolation, qui a réduit le rôle des meneurs dans certaines équipes, sans les exterminer totalement. C’est désormais le spacing extrême, le déclin du mid-range et l’avènement du trois-points, la surathlétisation des basketteurs, le tall-ball et la polyvalence qui ont mis fin à la monarchie des joueurs, souvent de petite taille, qui décidaient de tout.
Alors forcément, on aborde cette nouvelle ère avec un brin de nostalgie. Il y avait quelque chose de beau à voir ces despotes éclairés évoluer. A les voir imposer leur vision, leur voix, leur rythme et leurs lectures de jeu. A voir une équipe, et un coach, leur faire pleinement confiance pour les guider vers le succès. Car ces meneurs, du moins les meilleurs, œuvraient avant tout pour le collectif, pour l’équipe, pour le progrès. Avec John Stockton, Isiah Thomas ou CP3, on était plus proche de Frédéric II que Louis XIV ou de tyrans façon Mussolini ou Kim Il-Sung.
Cette nouvelle ère, sans véritable meneur-patron-tyran, on l’aborde aussi avec excitation. Aussi éclairé qu’il fut, Frédéric II restait un monarque absolu. Ses réformes, certes très importantes dans l’émancipation de son peuple, servaient avant tout ses intérêts, lui qui possédait encore une grande partie du sol prussien. Sans aller jusque-là, le meneur classique avait, sous prétexte de servir l’équipe, le beau rôle. Forcément, c’était magnifique de voir un spécialiste de la création délivrer son art match après match. Mais aujourd’hui, tout le monde peut être créateur, décideur, dans le jeu moderne, et c’est particulièrement excitant.
C’est l’évolution logique des choses dans tous les domaines. De la monarchie absolue, on est passé au despotisme éclairé, pour aboutir aux démocraties. Tout le monde peut désormais s’exprimer et faire porter sa voix. Dans l’art, même évolution. En musique par exemple, on est passé du compositeur et du chef d’orchestre qui dirigeait aux groupes où tout le monde peut créer, apporter sa pierre à l’édifice. En sport et au basket, c’est la même. Avant, le meneur, c’était Beethoven qui écrivait la partition que les autres exécutaient. Ou Herbert von Karajan qui faisait jouer à son orchestre la partition rédigée par le coach. Aujourd’hui, chaque joueur peut apporter sa touche de création et de playmaking comme dans un groupe moderne. Une équipe ressemble plus de nos jours aux Beatles (ok, pas le groupe le plus récent, mais il est finalement éminemment moderne) où tout le monde apporte à la création. Même Ringo Starr a pu écrire Octopussy’s Garden, c’est dire…
Tout ça pour dire que le playmaking est devenu un état d’esprit collectif, désormais. Et que le niveau du basket est d’autant plus impressionnant. Pour que ça marche, dans un monde où tout le monde est plus ou moins libre, peut improviser et décider, les joueurs doivent être forts et complets, aussi bien techniquement, que physiquement et intellectuellement. Alors, logiquement, le spectacle proposé par cette nouvelle ère du basket est encore meilleur. Pour notre plus grand plaisir.
Et puis, qu’on ne s’y trompe pas, il y a toujours un leader qui se détache. Ou parfois un peu plus, ce qui peut s’avérer compliqué. Faire cohabiter Lennon et McCartney ou Durant, Booker et Beal, ce n’est pas simple tous les jours. Ça fait partie des limites du nouveau modèle, la cohabitation. Comme dans notre société : tout le monde a le droit à la parole, à sa liberté, c’est bien ; mais, mal maîtrisé, ça peut générer des tensions, créer, après les « rois », des enfants-rois qui veulent tout tout de suite, se croient tout permis et au final se foutent du collectif. LaMelo Ball ou Ja Morant sont-ils de ceux-là ? L’avenir nous le dira.
Bref, il ne s’agit pas de dire que le basket sans meneur à l’ancienne (ou que la société moderne), c’est mieux. Ou que c’est moins bien. C’est juste différent. Et c’est surtout très excitant. Parce qu’aujourd’hui, l’autorité a laissé la place à plus de créativité ; le contrôle à plus d’improvisation ; et le meneur unique à la création collective. Et comme on le disait un peu plus haut, il y a de toute façon toujours un leader qui finit par se détacher. Sauf que maintenant, ça peut être n’importe qui. Un grand « meneur » pas très rapide de 2,03 m aux Lakers, un gars de 1,98 m à OKC qui aurait été shooting guard il y a dix ans ou un pivot serbe un peu rondouillard qui devient tout rouge au bout de deux allers-retours. Mais probablement plus de « petit gabarit » d’1,85 m. Et c’est peut-être bien la seule raison d’être réellement triste : le jeu comme la société ont sans doute progressé mais au final il y en a toujours qui restent sur le carreau.
🎙️ Quelle trace laissera Chris Paul dans l’histoire de la NBA ?

C'est effectivement l'évolution du jeu qui veut la disparition des meneurs gestionnaires, moins de jeu posé, plus de transition rapide même si parfois au détriment du jeu collectif, bien entendu certaines équipes ont un vrai beau fond de jeu mais pour d'autres c'est assez dur à regarder un jeu sans aucune organisation, j'ai parfois l'impression de voir l'équipe de mon fils en U9 où tout le monde prend la balle chacun son tour pour essayer de faire son truc :-)
Oui pour certaines, c'est pas toujours très beau à voir, je suis d'accord. L'avantage, pour ton fils, c'est que lui il va passer en U11, puis U13, etc. Alors que LaMelo je pense qu'il restera U9 toute sa vie !