Maudits soient les yeux fermés

Un nouvel édito consacré à ce qui se passe actuellement aux quatre coins du monde. Parce qu'en tant que média, nous avons un devoir de parole qui dépasse le basket.

Maudits soient les yeux fermés
« REVERSE, arrêtez la politique et concentrez-vous sur le basket. » Un commentaire Facebook parmi d’autres, sous l’une de nos publications concernant la mort de George Floyd, ses conséquences dans le monde entier et les réactions des joueurs NBA. Mais comment se concentrer uniquement sur le basket alors que les populations s’unissent aux quatre coins du monde pour réclamer de la justice, du changement et mènent la lutte contre les discriminations ? Le basket, déjà relégué au second plan suite à l’épidémie de coronavirus, est une préoccupation de plus en plus dérisoire. Bien sûr que nous voulons tous revoir du basket. Nous sommes des passionnés. Mais aujourd’hui, l’actualité, elle est ailleurs. Et elle est bien plus importante. Et pour preuve, les joueurs NBA troquent leur tunique de basketteur pour leur premier costume, celui de citoyen. Ils s’engagent. Mènent les manifestations, comme Jaylen Brown à Atlanta. Ils s’expriment. Ou appellent au vote, comme Dwyane Wade ou Stephen Curry. Ils s’activent. Profitent de leur influence, de leur plateforme, pour essayer de faire évoluer les mentalités. Doivent-ils se concentrer sur le basket eux aussi ? Doivent-ils la fermer et se contenter de dribbler, comme le réclament les éditorialistes d’extrême droite ? C’est évident que non. Les acteurs de la ligue montrent, pour la très large majorité, un visage exemplaire en ces temps difficiles. Leur prise de parole, leur prise de position, peut parfois révolter certains ignorants, pour qui les athlètes « profitent du système pour devenir riches » pour reprendre les mots d’un utilisateur de Twitter critique envers Rudy Gobert. Ce n’est pas parce qu’ils disposent d’une excellente situation financière que les sportifs, ou les artistes ou acteurs, actrices, réalisatrices, doivent rester silencieux. Bien au contraire. Bien au contraire. Comme répondait parfaitement Gobert, il ne s’agit pas d’eux. Il s’agit de ceux qui ne sont jamais entendus. Si ceux qui sont opprimés et discriminés ne peuvent être défendus par ceux qui ont une voix, alors qui le fera pour eux ? C’est même une responsabilité. Un devoir. C’est pourquoi nous avons été critiques envers James Dolan et les New York Knicks, l’une des rares franchises à avoir évité le sujet en tant qu’ORGANE. Ce que les membres du staff et les joueurs vivent mal. Parce qu’ils se sentent bafoués par leur ORGANISATION. Celle qu’ils représentent. Mais qui ne les représente pas en retour. Dolan, qui, en tant que propriétaire, parle au nom des Knicks, rappelons-le encore une fois, est resté muet sur le sujet et il a même envoyé un mail pour expliquer pourquoi il ne voulait pas prendre position. Parce que, selon lui, « en tant qu’entreprise dans l’industrie du sport et du divertissement, nous ne sommes pas plus qualifiés qu’un autre pour donner notre opinion sur des sujets de société. » Encore une fois, c’est tout le contraire. La franchise de Manhattan est la plus cotée de la NBA. Elle pèse plus de 4 milliards de dollars. Elle a un rôle à jouer dans le combat contre les inégalités et les injustices. Parce que si l’on suit le raisonnement, alors, oui, concentrons-nous seulement sur le basket. Taisons-nous et dribblons. Admirons des joueurs, quasiment tous noirs, et fermons les yeux sur les violences policières envers cette communauté et toutes les formes de racismes dont elle est victime un peu partout sur la planète. Concentrons-nous sur le sport, c’est ça ? Mais comment le faire pleinement en réalisant qu’un LeBron James, icône adulée, serait peut-être en danger en sortant simplement de chez lui s’il n’était pas à même de dunker et de jouer au basket au plus haut niveau ? Plus qu’un athlète, c’est ce que le King revendique. C’est ce qu’ils revendiquent tous. Et c’est ce que nous revendiquons aussi : plus que du basket. Et ça le devient quand un commentateur des Kings, Grant Napier, finit par être poussé vers la sortie après des propos très limites sur la question. DeMarcus Cousins, malin, lui a demandé ce qu’il pensait du mouvement « Black Lives Matter. » Napier a répondu en citant « All Lives Matter. » Seulement une maladresse ? Probablement pas. Certainement une incompréhension beaucoup plus profonde. Il est évident que toutes les vies humaines comptent, et le mouvement « Black Lives Matter » ne remet absolument pas ça en question. Répondre « All Lives Matter » est une aberration (tout comme Dolan s’est empressé de dire qu’il combattait « le racisme envers tout le monde »). C’est renier les injustices et les discriminations subies par les noirs. Il y en a pour qui les vies noires ne comptent pas. Il est donc impossible de militer pour « All Lives Matter » à partir du moment où un groupe de personne est constamment ciblé pour sa couleur de peau. C’est pourquoi, nous, vous, avons une responsabilité. Si vous trouvez injuste de devoir répondre des actes racistes des autres, sachez que c’est pourtant ce qu'il est demandé - à tort - aux musulmans en les appelant à se désolidariser du moindre attentat. Dans l'absolu, personne ne devrait avoir à se désolidariser des agissement d'autrui, mais c'est parfois une nécessité justement parce que d'autres font des amalgames. Si vous êtes fatigués d’entendre les revendications des noirs et bien sachez qu’ils sont eux fatigués de subir ce racisme au quotidien. Imaginez seulement le poids que cela représente. Il y a des privilégiés dans ce monde et c’est parce que nous jouissons de ce privilège que nous ne pourrons jamais complètement comprendre. Mais c’est justement pourquoi il faut écouter. Pourquoi il faut partager. Pourquoi il faut relayer. Aller bien au-delà du basket. Parce que renier cette responsabilité, ne pas se sentir concerné, c’est faire partie du problème. Manifester sa solidarité n'est pas une obligation mais c'est certainement une source de force et c'est plus que jamais nécessaire aujourd'hui. « REVERSE arrêtez de tout confondre, on ne peut pas comparer la France et les Etats-Unis. » En substance, un autre commentaire sur les réseaux sociaux. Et en réalité un avis malheureusement partagé par un (trop) grand nombre. Déjà, comparer ce n'est pas forcément mettre sur un pied d'égalité ! On sait que les cas sont plus nombreux aux Etats-Unis. Et alors ? Ignorer que les mêmes questions se posent en France, c’est encore une fois faire partie du problème. Comparer la mort de George Floyd à celle d’Adama Traoré en pointant tous les petits détails pour essayer de justifier le fait que ce sont deux contextes différents – en refusant de montrer que l’origine profonde est la même – c’est faire partie du problème. Alors, non, il est inconcevable pour nous de se concentrer seulement sur le basket. Parce que nous avons la chance d’avoir une voix, aussi modeste soit-elle. Arrêter la politique ? Pour faire quoi, la laisser uniquement aux politiciens ? N’est-ce pas risqué ? Après tout, l’essence même de la Démocratie n’est-elle pas de confier la politique au peuple ? Les plus sceptiques et les moins concernés insisteront sur le fait que les mots ne peuvent pas changer le monde. Pris hors de leur contexte, ils ne le peuvent pas. Mais les mots, et le sens qu’on leur donne, avec des actions qui en découlent, peuvent renverser des montagnes. Militons. Combattons. Donnons raison à Gianna Floyd, quand elle dit « papa a changé le monde. »