Analyse : Kawhi Leonard, Most Important Player

Kawhi Leonard est un personnage complexe que nous avons voulu déchiffrer. A 22 ans, la star montante des Spurs s'affirme déjà comme le joueur le plus important de San Antonio. Analyse.

Analyse : Kawhi Leonard, Most Important Player
En février dernier, nous avons essayé de présenter Chris Bosh sous un nouvel angle. Erik Spoelstra ne cesse de répéter que son intérieur All-Star est le joueur le plus important du Miami Heat et ce malgré la présence de deux des cinq meilleurs joueurs de tous les temps à leurs postes respectifs. Nous avons donc cherché à comprendre pourquoi et surtout comment Bosh est devenu le MIP – Most Important Player – des doubles champions en titre. Et l’ancienne superstar des Toronto Raptors aura encore un grand rôle à jouer dans la quête d’un nouveau sacre. Voilà pour le Heat mais quid des San Antonio Spurs, adversaires des Floridiens ? Comment décerner un titre honorifique de MIP à une équipe qui prône les valeurs du collectif et le dépassement de l’individu au profit du groupe ? Comment cibler un joueur précis alors qu’aucun des membres de l’effectif n’a passé plus de 30 minutes (en moyenne, évidemment) sur le parquet en saison régulière ? Comment estimer qu’un joueur texan est plus important qu’un autre alors que six d’entre eux cumulent plus de 9 points de moyenne en playoffs ? Tim Duncan, Tony Parker et Manu Ginobili sont tous les trois des futurs Hall Of Famers. La trentaine bien tassée, ils évoluent encore au plus haut niveau. Kawhi Leonard est lui présenté comme leur successeur, comme la « future star des San Antonio Spurs », dixit Gregg Popovich himself. Futur patron… et peut-être déjà le joueur le plus important de la franchise sur le terrain. On tient là notre MIP. Leonard est, à 22 ans, un cadre des Spurs car il est en mesure d’impacter le jeu des deux côtés du parquet. Une qualité assez rare – et donc inestimable – en NBA. Mais comment un jeune californien taiseux est devenu le joueur majeur d’une franchise dont la culture du succès est renommée au-delà de son sport ? Nous avons essayé de comprendre en passant Kawhi Leonard à travers notre décodeur.

Kawhi Leonard, l'arme défensive des San Antonio Spurs

[caption id="attachment_160327" align="alignleft" width="200"] Les mains de Kawhi Leonard... flippant ![/caption] Drafté en quinzième position par les Indiana Pacers en 2011 (à la demande des Spurs) puis envoyé à San Antonio dans la foulée, Kawhi Leonard est arrivé en NBA avec l’étiquette du phénomène athlétique susceptible de s’imposer comme un « stoppeur ». Nous allons donc commencer par la défense, domaine dans lequel il est désormais réputé comme l’un des meilleurs joueurs de la ligue. Après avoir bouclé sa troisième saison NBA, il vient d’être élu dans le deuxième cinq défensif de l’année en compagnie de Patrick Beverley, Jimmy Butler, LeBron James et Roy Hibbert. Kawhi Leonard n’est pas spécialement grand – 2,01 m en chaussures – mais il a des bras gigantesques et des mains immenses de la taille d’un frisbee. Son envergure est donc une arme défensive de premier plan. Lorsqu’il se retrouve face au porteur de balle, il a la possibilité de planter ses pieds à une distance respectable de son vis-à-vis afin de ne pas se laisser déborder tout en gênant le dribble de l’attaquant grâce à ses bras tentaculaires. Sans surprise, Leonard est le meilleur intercepteur des Spurs depuis le début des playoffs (1,72 steal, à égalité avec Manu Ginobili). Il chipe près de deux ballons par match depuis le début de sa carrière si l’on se réfère aux statistiques sur 36 minutes. Ses longs bras et sa mobilité lui permettent également de contester les tirs extérieurs adverses ou de couper les lignes de passes lorsqu’il défend sur un joueur qui n’a pas le ballon. [caption id="attachment_160335" align="alignnone" width="640"] Malgré son temps de retard suite à l'écran, Kawhi Leonard va parvenir à voler le ballon des mains de Kevin Durant dès que la star du Thunder aura posé son dribble.[/caption] Les déplacements latéraux du joueur formé à San Diego State sont rapides et explosifs. Un atout de taille pour défendre sur le pick&roll et les isolations. Même face à des meneurs à priori plus rapides, Leonard ne se laisse pas déborder. Son jeu de jambes est bon et la nouvelle star des Spurs a tendance à passer au-dessus des écrans juste avant que l’attaquant adverse pose le pick. Il garde ainsi le contact avec le porteur de balle grâce à sa vitesse d’exécution. Ce n’est donc pas un hasard si l’on retrouve Kawhi Leonard parmi les 20 défenseurs les plus efficaces de la NBA sur pick&roll, selon Synergy Sports. Lors des derniers matches face au Thunder, Gregg Popovich l’a chargé de défendre sur Russell Westbrook, l’un des arrières les plus rapides de la ligue balle en main. Il a tenu le coup et provoqué des balles perdues. Le jeune homme mixe rapidité, envergure et puissance. Malgré son désavantage de taille, il est capable de contenir certains intérieurs de la ligue actuelle (les moins techniques et les moins lourds de préférence). Cette « puissance » lui permet aussi d’encaisser les écrans posés par les big men adverses lorsqu’il défend sur un shooteur qui évolue sans la gonfle. Malgré les chocs (imaginez donc un écran d’un joueur de 2,10 m et 110 kilos), il garde le contact avec son vis-à-vis avant de contester un tir éventuel grâce à ses longs bras. Leonard est donc en mesure de défendre sur plusieurs postes. Un cauchemar pour les attaquants adverses, comme le prouve cette réaction de LeBron James au moment où il s’aperçoit que Kawhi est de retour sur le parquet. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=TkUxrM2m31s[/youtube]

Les retrouvailles avec LeBron James

Kawhi Leonard sera une nouvelle fois chargé de défendre sur le meilleur joueur du monde lors des finales NBA. Il s’est déjà vu confier cette tâche l’an passé lorsqu’il était encore un sophomore et il n’a pas tremblé. Malgré son jeune âge, il est prêt à relever les défis et ne se met pas de pression.
« Je défends toute l’année sur le meilleur attaquant adverse », expliquait-il à la presse en introduction des finales NBA l’an dernier.
N’y voyez pas de la prétention, Leonard éprouve simplement de la fierté à défendre sur les plus grandes stars de la ligue. Si les Spurs ont perdu, il est sorti vainqueur – à titre individuel bien sûr – des dernières finales NBA. Sa défense sur le « King » a été saluée de tous mais si lui « n’avait pas l’impression de défendre si bien », étant donné que James continuait à inscrire ses 20 points par rencontre. Il n’empêche, Leonard est l’un des rares joueurs dans cette ligue susceptibles de ralentir autant que possible LeBron.
« Kawhi est notre seul joueur capable de rivaliser en défense face à LeBron », témoignait Manu Ginobili la saison dernière.
James et Leonard n’ont croisé qu’une fois le fer depuis juin dernier. Il y a quelques mois, le Heat s’est incliné sur le parquet des San Antonio Spurs. La star de Miami a inscrit 19 points en 18 tentatives (6/18), perturbé par la défense du jeune ailier texan… et les maillots à manches. Le terme de « LeBron stoppeur » n’a pas de sens mais Kawhi Leonard est avec Jimmy Butler et Paul George l’un des trois joueurs NBA en mesure de faire vraiment travailler James en attaque. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=NxHQn32wyoA[/youtube] Jusqu’à présent, nous avons surtout mis en lumière les qualités athlétiques de Kawhi Leonard. Mais la défense n'est pas seulement une question d’aptitudes physiques mais aussi de détermination et de mental. Le jeune homme n’a pas peur de monter au charbon sur les meilleurs joueurs adverses. Cela peut paraître normal ou anodin mais ça ne l’est pas. Certains joueurs sont terrorisés à l’idée de défendre sur un attaquant d’exception, par crainte de prendre 60 points sur la tronche et d’être critiqués, jugés ou humiliés sur les réseaux sociaux. Leonard n’a pas cette mentalité. Il n’a pas peur. Outre ses qualités athlétiques supérieures à la norme, il exploite ses fondamentaux et son QI basket pour protéger au mieux son panier. Exemple. [caption id="attachment_160365" align="alignnone" width="640"] Alors qu'il est chargé de défendre sur Westbrook, Leonard a senti que son vis-à-vis était loin de l'action. Il en profite pour aider Tim Duncan, dépassé par Kevin Durant. Leonard ne se jette pas et vient se planter - appuis au sol et bras levé - sur la route de "KD".[/caption] Kawhi Leonard n’est pas seulement un très bon défenseur sur l’homme, c’est un défenseur d’équipe. Il met son sens du placement et ses aptitudes physiques au service de l’équipe.

Une progression constante en attaque

De par son profil défensif, Kawhi Leonard était déjà assuré de se faire une place et une longue carrière en NBA. Mais les grands joueurs se démarquent des deux côtés du parquet. On pourrait le cataloguer parmi les « 3 and D », ces ailiers capables de défendre dur sur le meilleur extérieur adverse et d’arroser derrière la ligne à trois-points, de préférence dans le corner. Ce fut plus ou moins le rôle que lui ont assigné les Spurs lors de sa première saison en NBA.
« On ne voulait pas spécialement en faire un ‘3 and D’. On ne savait même pas s’il était capable de shooter à trois-points », raconte R.C. Buford, le GM des Spurs.
Gregg Popovich a aligné Leonard dans son cinq majeur afin de profiter de ses qualités défensives. En attaque, il évoluait essentiellement dans un rôle de « spot-up » shooteur. Les scouts ne voyaient pas en lui une menace extérieure fiable mais il a tout de même affiché des pourcentages de réussite au tir plus que corrects dès sa première saison NBA (49% dans le champ et 37% à trois-points). On sent l’influence de la formation texane à travers ces statistiques. Les Spurs disposent d’un grand manitou du tir, un certain Chip Engelland, dans leur staff. L’assistant coach est un maniaque du shoot et Tony Parker lui doit une partie de sa progression. De plus, les défenses se concentrant essentiellement sur TP et Tim Duncan, Leonard a pu bénéficier de tirs ouverts. En tant que role player, il n’a pas eu le droit à « ses » systèmes lors de ses deux premières saisons NBA. Leonard est donc aussi habitué à aller chercher ses points tout seul. En transition par exemple, après une interception ou suite à un rebond offensif. Ses longs bras punissent les défenseurs inattentifs qui ne verrouillent pas la raquette. Mais pour incarner « le futur des Spurs », Kawhi Leonard se devait de prendre une autre dimension en attaque. Il a travaillé son dribble. Il a travaillé son tir. Et Gregg Popovich l’a fait monter en puissance délicatement.
[superquote pos="d"]"'Pop' est prêt à lui confier des responsabilités"[/superquote]« ‘Pop’ a confiance en lui et il est prêt à lui confier plus de responsabilités, cela ne fait aucun doute », témoigne R.C. Buford.   « J’espère qu’il y aura des systèmes pour moi », expliquait Kawhi Leonard avec un ton toujours aussi peu expressif.
Les Spurs ont d’abord profité de son adresse au tir pour alimenter leur ailier en sortie d’écran. Leonard a tendance à partir du corner – avec le ballon à l’opposé – et de bénéficier de deux écrans successifs afin de couper et de récupérer la gonfle autour de la ligne des lancers-francs. Deux options s’offrent alors à lui : a) il peut driver vers le cercle et finir en layup ou en dunk – c'est l’un des 50 joueurs les plus efficaces sur une coupe – ou b) shooter en extension dès la réception du ballon. Ce tir, bien que proche du cercle (entre 4 et 6 mètres) est assez difficile car il nécessite un équilibre parfait. Grâce au travail effectué avec Chip Engelland, Leonard est performant dans une telle situation. Il réceptionne la balle, place ses appuis face au cercle et décolle. Son bras reste aligné avec son épaule. Le gainage fait le reste. D’ailleurs, la star montante de San Antonio est l’un des attaquants les plus efficaces de la ligue, la preuve en chiffres. Isolation : 1,06 point rapporté par possession, sixième de la ligue. Pick-and-roll, porteur de balle : 1 point par possession, troisième de la ligue. Post-up : 1,11 point rapporté par possession, sixième de la ligue. Sortie d’écran : 1,23 point rapporté par possession, cinquième de la ligue. (toutes les statistiques sont fournies par SynergySports). Ces chiffres s’expliquent également par les tentatives limitées de Kawhi Leonard qui ne dispose pas encore de la même quantité de tickets shoots que les superstars. Mais elles soulignent ses progrès depuis son arrivée dans la ligue, notamment en ce qui concerne les actions balle en main. Les Spurs s’appuient de plus en plus sur lui pour créer du jeu, pour lui et pour les autres, en début et en fin de match. Leonard est de plus en plus agressif sur demi-terrain et il n’a pas peur d’attaquer son vis-à-vis en dribble. Que du bonus pour San Antonio. L’agressivité de Leonard oblige la défense adverse à se concentrer sur plusieurs joueurs en même temps. Même s’il a encore tendance à partir à droite, sur sa main forte, comme la plupart des jeunes joueurs, Kawhi a de plus en plus de facilités à se créer son propre tir, condition obligatoire pour être considéré comme l’un des meilleurs joueurs de la NBA. Il a même son mouvement signature : il part sur sa main gauche, sa main faible donc, puis effectue un spin move au moment où son adversaire pense pouvoir lui prendre le ballon. Grâce à son jeu de jambes et à sa vitesse d’exécution, il est alors en bonne position pour foncer au cercle.
« Les gars en NBA sont aussi athlétiques que vous. Il faut savoir changer de rythme pour dépasser son adversaire », explique-t-il.
A vitesse réelle, cela donne ça. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=9w_6okdZ-vo[/youtube] Comme en défense, Kawhi Leonard met également à profit sa lecture du jeu. Il n’a pas la vista de Tony Parker ou Manu Ginobili mais il est capable de lire les mouvements de la défense et de s’adapter en conséquence, ce qui le rend redoutable sur les coupes au panier. Mais il sait aussi reconnaître lorsqu’il a un avantage de taille et de puissance et il en profite pour jouer dos au panier. [caption id="attachment_160391" align="alignnone" width="640"] Reggie Jackson a t-il une chance face à Kawhi Leonard ?[/caption]

L'attitude d'un grand joueur

Avoir des dons naturels ne suffit pas à faire de vous un grand joueur. Le mental, l’attitude et le travail font la différence entre les bons et les très bons. La capacité à se dépasser et à répondre présent dans les grands événements font la différence entre les très bons et les grands. L’an passé, Kawhi Leonard a surpris son monde en finale. Il a été impressionnant lors des deux derniers matches, portant les Spurs – avec Tim Duncan – des deux côtés du parquet. Le tout à seulement 20 ans. Seul un grand joueur est capable de ça.
[superquote pos="d"]"Il est le futur des Spurs" Gregg Popovich.[/superquote]« Je pense que Kawhi est la relève de Parker, Duncan et Ginobili. Il est formé dans le même moule. Ce sera bientôt lui la star du show. Il a été phénoménal et il a progressé plus vite que n’importe qui, » expliquait alors Gregg Popovich.
Celui que Shaquille O’Neal surnomme affectueusement « Sugar K » a effectivement été formé dans le même moule que Tim Duncan, un gars qui a l’âge d’être son père. Comme le futur Hall Of Famer, Leonard est discret en dehors du terrain. Il ne s’exprime pas beaucoup en conférence de presse et ne laisse rien paraître. Pas même lorsqu’il claque un dunk de mammouth sur un joueur qui lui rend une dizaine de centimètres.
« Il y a des gars qui sont attirés par la lumière et d’autres non. On n’a rien fait pour le transformer, il était déjà comme ça en arrivant. Il est calme, humble et il veut être un grand joueur. Il travaille dur avant et après l’entraînement », poursuit Gregg Popovich.
Le coach des Spurs raconte qu’il est parfois obligé de le virer de la salle afin que Leonard prenne un peu de repos. Le garçon est calme mais il a de l’ambition, beaucoup d’ambition.
« Je veux devenir un grand joueur, c’est pour ça que je joue. Je m’entraîne tous les jours pour être le meilleur. »
Le meilleur, ça attendra. Mais à nos yeux, Kawhi Leonard est déjà le joueur le plus important des San Antonio Spurs. Le système des Texans, axé en priorité sur le collectif, ne lui permettra pas d’afficher des statistiques propres aux superstars. Mais les vrais grands joueurs font gagner leur équipe. Et pour vaincre le Miami Heat et espérer décrocher sa cinquième bague, la franchise aura plus que jamais besoin d’un grand « Sugar K ». Il est prêt à relever le défi. Comme toujours, en fait.